Leïla Ben Ali était-elle plutôt une femme soumise ou une éminence grise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"La réalité est que j’étais loin de faire la pluie et le beau temps dans la politique tunisienne..."
"La réalité est que j’étais loin de faire la pluie et le beau temps dans la politique tunisienne..."
©Reuters

Girl power

Leïla Ben Ali revient sur son exposition sur la scène médiatique tunisienne. Elle se défend toutefois d'avoir été la "tête pensante" de son mari, se qualifiant elle-même de "femme soumise et heureuse de l'être". Extraits de "Ma vérité" (2/2).

Leïla Ben Ali

Leïla Ben Ali

Leila Ben Ali est la seconde épouse de Zine el-Abidine Ben Ali, ancien président de Tunisie. Elle a été la Première dame de Tunisie de 1992 à 2011.

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À peine étais-je installée à Carthage que la légende courut selon laquelle je décidais de tout. Je nommais tout le personnel de la République, du chaouch 1 d’administration au ministre, je soufflais les avancements et les limogeages, j’assurais le succès ou la ruine des carrières. Il se trouve que je n’ai jamais nommé ou « dénommé » un responsable quelconque. Je n’entrais d’ailleurs jamais en contact avec eux, ce domaine relevant des prérogatives du Président. Prétendre que j’influençais mon mari dans ses décisions, que je m’immisçais dans son domaine personnel, c’est oublier que le général Ben Ali, connu pour son fort caractère, n’aurait jamais laissé personne décider pour lui en politique, et encore moins sa femme. Comment moi qui ne suis même pas autorisée à m’habiller comme je le veux, ni à sortir librement, aurais-je su décider des affaires de l’État ? J’étais une femme soumise et heureuse de l’être, comme l’a toujours constaté mon entourage.

La réalité est que j’étais loin de faire la pluie et le beau temps dans la politique tunisienne, et il est pour le moins ridicule de me prêter des manoeuvres comme le limogeage de tel P-DG ou tel commis de l’État, voire telle pression sur le corps enseignant – pour faire réussir mes filles… Dans ce cas, pourquoi ne serais-je pas intervenue en faveur de l’une de mes nièces, la fille de ma soeur défunte Mounira, qui a obtenu son bac à la troisième tentative ? Quand je voulais protester contre de telles allégations, les conseillers de mon mari m’en empêchaient : « Il ne faut surtout pas prêterl’oreille à ces ragots ! » Nicolas Sarkozy lui-même était de cet avis. Pour preuve, apprenant, sans doute via le Parquet, que nous voulions intenter une action en justice lors de la sortie du livre de Nicolas Beau, Sarkozy a téléphoné à Ben Ali pour l’en dissuader. Un drôle de paradoxe : il est quand même le président français qui, de toute la Ve République, a le plus souvent saisi la justice de son pays.

Plus grave que d’exercer le contrôle sur les décisions de Ben Ali, l’on m’a progressivement prêté la volonté de me mêler moi-même de politique, dans la mesure où je prenais la parole lors de cérémonies officielles. L’on peut légitimement me poser la question : pourquoi quelqu’un qui affirme ne pas s’occuper de politique irait-il présider des inaugurations et prononcer des discours ?

Je peux esquiver en répondant que rien n’interdit qu’une femme de chef d’État participe à la vie publique de son pays. De même que je peux rappeler n’avoir pas fait une seule apparition publique pendant les treize premières années aux côtés du Président. J’avoue que, une fois sur scène, je pouvais savourer la perspective de faire enrager les conservateurs de tous bords pour lesquels une femme moderne, engagée dans la vie de la cité et défendant la cause féminine, est à abattre. Qui plus est, une femme du peuple, devenue Première dame, en tenant le haut du pavé, ne pouvait qu’agacer l’arrogance des bien-nés.

J’ai commencé à apparaître lors de la création de l’Organisation des femmes arabes. Mais, en réalité, je n’ai jamais aimé la vie publique et je ne détestais rien tant que les cérémonies officielles. Je n’acceptais qu’une invitation sur dix, mais c’était déjà une de trop. Chaque fois les conseillers de Ben Ali étaient là, s’obstinant à me pousser sur le devant de la scène. Ce n’était pas pour mes beaux yeux : ils avaient trouvé ainsi le moyen de flatter le Président en le persuadant de me « montrer » en public. Les cabinets des ministères, l’Union des femmes, les associations renchérissaient, affirmant qu’il était tout à fait normal pour une Première dame d’être présente aux côtés de son mari.

C’est ainsi que l’on me « sortait », notamment pour les campagnes électorales de Ben Ali. L’organisation en était confiée au chef de la Sécurité présidentielle, Ali Seriati, au chef du Protocole du moment, ainsi qu’aux conseillers du Président.

La première fois que l’on m’a demandé de faire un speech, j’étais morte de peur. Les conseilleurs se fichaient de mes états d’âme, ils avaient choisi et préparé les discours, je n’avais plus qu’à les lire. Immanquablement, je rentrais chez moi lessivée, à bout de nerfs.

L’on peut me rétorquer avec raison, là aussi, que j’ai cédé à la volonté de ceux qui me poussaient sur scène et que je n’avais qu’à me rebiffer. Sans doute. Mais je peux affirmer que ce n’était jamais par volonté délibérée, ni de gaieté de cœur. Je préférais de loin m’occuper de mes associations, hors caméra, car je prenais davantage plaisir à dresser l’inventaire des besoins, à faire les enveloppes et à préparer les dons qu’à me faire applaudir par des publics de circonstance.

Le rythme s’est accéléré au cours de la période 2010–2011. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai fait beaucoup trop d’apparitions, même s’il s’agissait du congrès de l’Organisation des femmes arabes que Tunis devait accueillir ces années-là.

Désormais, je découvrais tous les jours ma photo à la une des journaux, parfois des éditoriaux me prêtaient des mots que je n’avais jamais tenus. J’en ai parlé à mon mari et, un soir, j’ai appelé moi-même chez lui notre conseiller Abdalwahab Abdallah. C’était la première fois de ma vie. J’ai demandé pourquoi je figurais quotidiennement en ouverture des journaux. Il s’est défaussé sur le directeur de l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE), Oussama Romdhani, devenu par la suite ministre de la Communication.

Ce que je sais aujourd’hui, c’est que j’aurais dû m’abstenir de prononcer des discours. Mais surtout j’aurais dû m’interroger sur la fréquence à laquelle, en cette année précédant la « Révolution », on m’a tant exhibée. Cela faisait sans doute partie de « leurs » plans…

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Extrait de "Ma vérité", Editions du Moment (21 juin 2012)

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