La Turquie : un tigre de papier au Moyen-Orient ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
La Turquie : un tigre de papier 
au Moyen-Orient ?
©

Minou minou...

Depuis plusieurs décennies, la majorité des observateurs présente la Turquie comme une nouvelle puissance incontournable. Mais le crash du Phantom F4 abattu par la Syrie a enfin laissé apparaître les évidentes faiblesses du tigre de l'Orient.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

Voir la bio »

Ainsi la Turquie ne rugirait-elle pas si fort que cela… Voilà des décennies que des observateurs appellent, par pragmatisme disent-ils, à l’adhésion de ce pays à l’Union européenne pour des motifs stratégiques, eu égard à ses prétendus puissance de feu et intéressant positionnement moyen-oriental qui « protègeraient » le Vieux continent (de quoi ? la question ne leur est jamais posée).

Voilà des années que les mêmes interpellent l’opinion et les dirigeants français sur la nouvelle politique de « puissance et d’indépendance » turque de M. Davutoglu, un ministre des Affaires étrangères par eux admis comme une sorte de Clausewitz d’Asie mineure, dans l’ensemble du monde arabo-musulman et au-delà. Voilà des mois que les mêmes encore insistent sur le caractère « incontournable » d’Ankara dans la crise syrienne, s’étant souvent prévalu de cet argument pour s’opposer à la loi de pénalisation de la négation du génocide arménien, au cours des débats de l’hiver 2011-2012.

Las ! Avec le crash du Phantom F4 turc abattu par un missile syrien bien qu’évoluant seul, sans armement et apparemment hors espace aérien national – le tigre turc laisse apparaître au grand jour les quenottes qui lui tiennent lieu de crocs. Car non seulement la Turquie, en dépit des rodomontades de son bouillant premier ministre Tayyip Recep Erdogan, n’est en rien parvenue à infléchir la répression féroce que l’ancien allié méridional fait subir à sa population depuis quinze mois, mais encore le gouvernement islamo-conservateur d’Ankara a fait montre d’une hallucinante valse-hésitation durant les 24h ayant suivi l’attaque sur son chasseur bombardier. Pire encore ; au terme de cette cacophonie, le « protecteur » de l’Europe en appelait, penaud, à la concertation de l’ensemble de ses alliés de l’OTAN via l’article 4 du Traité.

Epilogue de l’incident : une sévère remontrance d’Erdogan assortie de menaces à l’endroit de l’ancien ami Bashar el Assad désormais affublé de tous les noms d’oiseau, et une restriction partielle de la fourniture d’électricité à la Syrie, c'est-à-dire à sa population civile à laquelle on rend de vibrants hommages mais qui sera la seule à en pâtir.




Mais au-delà de l’anecdote – grave car impliquant un acte de guerre – la question est désormais posée de savoir si l’ensemble de la nouvelle diplomatie turque n’est pas en train de s’effondrer. In fine, si la Turquie s’avère incapable d’empêcher un afflux de réfugiés indésirables dans une région pauvre du sud anatolien, de repousser l’épée de Damoclès d’une nouvelle instrumentalisation du PKK kurde par Damas, et d’éviter d’en appeler à ses alliés occidentaux (par ailleurs si souvent vilipendés, comme en Libye en 2011 !) quand ses appareils de combat et canots de secours sont visés, comment pourrait-elle prétendre résoudre le conflit israélo-palestinien ou s’interposer dans le lourd contentieux nucléaire iranien ?

Concernant du reste ce dossier, les difficultés pourraient bien provenir de Washington dès cet automne ; en effet si le candidat républicain à la présidence Mitt Romney parvenait à la Maison Blanche, peut-être serait-il moins patient qu’un Obama qui, déjà en 2010, avait pourtant dû rappeler à l'ordre l’allié turc qui s’autorisait des libertés vis-à-vis de Téhéran (proposition turco-brésilienne). De toute façon, le soutien indéfectible de la Russie envers son partenaire syrien (le Phantom F4 turc a sans nul doute été abattu par du matériel russe) entrave toute possibilité pour Ankara de pousser trop loin ses feux et la renvoie constamment à son appartenance occidentale. Il n’est pas jusqu'au Caucase où la Turquie piétine face à une Arménie rivale qui signait, en 2010, un accord d’assistance militaire pour quarante ans avec… Moscou ! 

Dans Le Monde daté du 10 juin 2010, l’auteur de ces lignes doutait de la montée en force géopolitique réelle de la Turquie, intitulant sa modeste tribune « La marche à la puissance turque trouvera ses limites ».

Nous y sommes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !