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Les effets pervers de la carte scolaire
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Scolarité à la demande

Le redécoupage de la carte scolaire, l'un des plus vieux débats de l’Éducation nationale, sera de nouveau abordé dans le rapport de la sénatrice socialiste Françoise Cartron. Objectif : adapter l'offre des établissements aux besoins des familles.

Agnès  Van Zanten

Agnès Van Zanten

Agnès Van Zanten est sociologue, directrice de recherche au CNRS. Elle travaille dans le cadre de l'Observatoire sociologique du changement et au laboratoire de recherche de l'Institut d'études politiques de Paris associé au CNRS.

Elle a publié de nombreux ouvrages d'analyse sur l'école parmi lesquels Choisir son école (PUF, 2009), ou Sociologie du système éducatif (PUF, 2009). Elle publiera en septembre 2012, L'école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue aux Presses Universitaires de France

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Atlantico : La réforme ou la suppression de la carte scolaire, un des débats récurrents de l’Education nationale, sont-elles des gages de l’égalité des chances ?

Agnès Van Zanten : Il est très compliqué d’adopter une position tranchée sur ce sujet car la carte scolaire est un instrument qui a des effets très différents selon les lieux sur lesquels elle s’applique. Elle implique que les enfants doivent fréquenter l’établissement proche de leur domicile attribué par l'administration. Or certains territoires, très ségrégués, ont une forte concentration de populations défavorisées économiquement, ou souffrent de ségrégations raciales et ethniques, ou parfois concentrent ces deux facteurs. Dans ces zones, l’application de la procédure de la carte scolaire revient à reproduire la ghettoïsation de l’habitat à l’école. En revanche, avec des zones d’habitats plus mixtes, la carte scolaire découpée de telle ou telle manière peut faire cohabiter au sein des écoles des populations différentes.

Enfin, en milieu rural, la carte scolaire n’a aucun effet, car souvent seul un collège regroupe les élèves d’un même secteur. Même s’il en existe d’autres plus ou moins loin, le plus accessible sera de toute façon privilégié. 

La carte scolaire a eu de fervents militants pour sa suppression. Un tel projet est-il envisageable ?

En France, la réforme engagée en 2007 a été plutôt timide, car il s’agissait d’un assouplissement et non pas – comme initialement prévu par Nicolas Sarkozy à l’époque – une abolition. Il y avait une carte scolaire, mais avec des possibilités plus importantes de dérogation, et les demandes étaient considérées de manière plus bienveillante.

L’objectif de cet assouplissement était de faire un appel aux familles des classes moyennes qui se plaignaient de ne pas pouvoir accéder aux meilleurs établissements et d’aller dans le sens de l’égalité des chances en priorisant cet accès aux élèves boursiers. Voilà ce qui en était quant à la théorie.

La pratique en revanche a laissé transparaître des résultats très différents pour plusieurs raisons.

  • La place disponible dans les établissements : on a mis en place cette réforme sans rien changer à l’offre des établissements scolaires. En France, notamment dans le secteur public, il y a une hiérarchie et non pas une diversité d’établissements, on a rapidement constaté que la plupart des parents souhaitent le même type d’établissement. Ainsi sur une commune, un ou deux établissements seront très demandés et quelques uns seront fuis, et ce seront toujours les mêmes. Le problème de manque de place apparaît donc très rapidement avec une élasticité de la demande qui n’est pas suivie par une élasticité de l’offre. 
    Comme on continue de donner la priorité aux élèves du secteur, il arrive qu’il n’y ait que dix places pour une centaine de familles dans le collège considéré comme le meilleur. Cette situation génère très rapidement une frustration chez les parents de la classe moyenne qui mobilisent ce levier pour améliorer l’éducation de leurs enfants, mais aussi chez les classes populaires qui se sont senties trompées car elles n’ont pas pu choisir.
  • Le manque d’information : on s’est rapidement aperçu que la réforme était difficile à mettre en œuvre et impopulaire, les autorités locales ne s’en sont pas emparé avec enthousiasme. Conséquence : elles n’ont pas suffisamment informé les classes populaires. Les familles ont bien reçu un papier précisant leur droit de demander une dérogation, mais la marche à suivre n’a pas été indiquée et les changements d’application de la réforme n’ont pas été renseignés. On a donc constaté que les classes populaires étaient assez peu demandeuses, et que seules les classes moyennes ont pu profiter des nouvelles dispositions.

On ne peut donc pas se contenter de donner une entière liberté aux parents sur les lieux de scolarisation des enfants sans augmenter les moyens de mise en œuvre ?

C’est cela. Au regard des études qui ont été menées aux Etats-Unis ou en Angleterre afin de comparer les effets des politiques de libre choix, en l’absence d’une politique ambitieuse d’information, seules les catégories favorisées qui peuvent s’emparer des renseignements, et qui disposent d’un capital culturel élevé profitent des dispositions des réformes. Pour que les catégories défavorisées en profitent il faut les informer, les accompagner et leur donner des possibilités de s’exprimer.

Vous avez précisé que les effets de la carte scolaire dépendent du visage de son territoire. Ainsi une carte scolaire efficace serait une carte scolaire à l’image des conditions de vie des habitants du secteur. Mener une telle réforme est-il envisageable ?

Oui, mais cela suppose des acteurs locaux plus à même de prendre cette question à bras le corps et capable de découper la carte de façon optimale. Il faudrait aussi faire un monitoring sur le terrain grâce à de petits observatoires capables de dire s’il y a une fuite scolaire, et d’analyser les pratiques des familles. Or, ce dispositif n’existe pas dans de nombreuses communes. Le deuxième problème est un manque de coordination entre les différentes catégories d’acteurs.

Actuellement, pour le collège en tout cas, la carte scolaire c’est d’un côté un découpage des secteurs par le Conseil général et de l'autre la gestion de l’affectation et des dérogations des élèves par l’Education nationale. Ces deux acteurs se coordonnent assez peu et cela crée des conflits entre leurs politiques. Mais c’est un problème récurrent, inhérent à la décentralisation française.

La carte scolaire souffre-t-elle d’un positionnement partisan ?

En effet. Si on fait une comparaison rapide avec d’autres pays, à droite dans les pays où l’accent a été mis sur les bénéfices de la carte scolaire, le débat s’est concentré sur l’impact de cette mesure sur l’efficacité des établissements et leur réactivité vis-à-vis des parents, dans une logique de compétition (quand ils s'aperçoivent qu'ils perdent des élèves, ils vont faire en sorte de se mettre au niveau d'exigence des parents).

En revanche, du côté de la gauche, on argumente très peu sur le lien entre égalité, mixité et cohésion sociale. D’une certaine façon, l’idéal de liberté du côté de la droite, et l’idéal d’égalité du côté de la gauche sont deux arguments qui sont insuffisamment mis en valeur dans les débats au regard des effets de l’assouplissement ou du renforcement de la carte scolaire défendue par les uns et les autres.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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