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Égypte, Tunisie, Maroc, Libye : 
le hold-up des Frères musulmans 
sur le printemps arabe
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Haut les mains !

En Égypte, mais aussi en Tunisie, au Maroc et dans une moindre mesure, en Libye, les Frères musulmans exercent une influence certaine. Plus que le programme du parti islamiste, c'est le vide de la politique de ses opposants qui pousse les électeurs à leur faire de plus en plus confiance.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Dès les commencements tunisiens et égyptiens de ce qui allait devenir le printemps arabe, à partir de décembre 2010, un phénomène intéressant inquiétait le politologue : l’absence sémantique de corpus réellement révolutionnaire. Car pour être spontanée, forte, jeune, plutôt instruite et largement féminine, la foule des contestataires semblait arc-bouter ses slogans sur le fameux « Dégage ! » adressé à ses tyrans respectifs, et concentrer ses revendications sur les essentielles mais minimalistes dignité et à la liberté. Ici – en Tunisie ou en Egypte – la contestation semblait surtout portée par l’exaspération sociale ; là – en Libye ou en Syrie – la cruauté du pouvoir paraissant constituer son principal moteur.

Mais quid de l’après ? Quel cadre politique ou institutionnel revendiquait-on pour obtenir et protéger ces dignité et liberté tant réclamées ? De quelle nature politique ou idéologique était la révolution ? Et en était-ce seulement une, ou plutôt un « simple » mouvement de révolte éphémère ?

Dix-huit mois précisément après le début du printemps arabe, force est de constater que si l’expression d’objectifs institutionnels précis fut si rare, c’est parce que l’offre manquait. Autrement dit, en Egypte et en Libye on ne voulut pas  revenir aux respectives royautés de Farouk et d’Idriss Senoussi, mais on ne proposa pas d’alternative novatrice et attirante. Au Yémen, ou le watan, la notion de nation, est traditionnellement faible, la contestation s’inscrivit rapidement dans un clivage identitaire local (sud contre nord) et clanique. En Tunisie, les jeunes tombeurs de Ben Ali proposèrent souvent un modèle hybride, tout à la fois arabe et occidental.

Or la « culture du ressentiment » (selon la juste formule d’Abdelwahab Meddeb) qui caractérise le monde arabe depuis des décennies, concerne en premier lieu l’Occident ; s’en prévaloir n’est politiquement guère payant… 

Restaient donc les islamistes, au premier rang desquels on trouve les Ihwan, les Frères musulmans. Forts de leur virginité politique – ils n’avaient détenu le pouvoir, pourchassés depuis les années 1940 dans la plupart des Etats arabes – et d’une réputation (méritée) de militants sociaux dévoués, ils proposèrent, eux, une offre politique et idéologique forte et complète : retour aux valeurs de l’Islam avec application (plus ou moins) stricte de la charia, système socio-économique plus égalitaire, implacable combat anti-corruption, solidarité inter arabe et inter islamique, répression sans scrupules contre les déviants (homosexuels notamment) contestation de la suprématie occidentale, absence de paix ou de simples contacts avec Israël. Flanqués des salafistes – islamistes fanatiques fantasmant le retour aux salaf, les compagnons du Prophète – les Frères l’ont largement emporté ou sont en passe de triompher à chaque scrutin libre organisé. En Egypte bien entendu, où ils jouent en quelque sorte à domicile puisque c’est là que la confrérie s’est créée en 1928, mais aussi en Tunisie et au Maroc dans une moindre mesure, et sans doute bientôt en Libye. Dans les autres Etats arabes (Syrie, Jordanie, Soudan, etc.) si des élections avaient lieu actuellement, les Frères ou de semblables mouvements l’emporteraient assurément.

Car peut-être davantage encore que le caractère alléchant de leurs propre programme (plus ou moins sincère et réaliste), c’est le vacuum de leurs opposants politiques laïcs qui pousse les Frères au pouvoir et risque de les y maintenir longtemps. Pour les contrer, faut-il alors revenir au panarabisme laïc de type nationaliste façon Nasser, exhumer les monarchies d’antan, réinventer le progressisme marxisant des années 1970 ? Sans doute les jeunes révolutionnaires arabes, catastrophés par l’avènement des Frères, ne pourront-ils faire l’économie d’une construction idéologique et intellectuelle de fond pour parachever ce qu’ils ont courageusement entamé en 2010-2011, pour incarner enfin la modernité arabe en lieu et place des islamistes.

Pour l’heure, dans le monde arabe contemporain comme souvent, la révolution a dévoré ses propres enfants… Jusqu’au prochain printemps ?

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