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Prostitution : "Le bilan de l'expérience suédoise montre l'hypocrisie de la pénalisation des clients"
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La ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem a relancé dans le Journal du Dimanche le débat sur le statut pénal de la prostitution. "La question n'est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution - la réponse est oui - mais de nous donner les moyens de le faire", a déclaré la ministre. Le PS pourrait s'inspirer du modèle suédois qui criminalise l'achat de services sexuels.

Marie-Elisabeth  Handman

Marie-Elisabeth Handman

Marie-Elisabeth Handman est une sociologue, spécialiste de la prostitution. Elle est maître de conférence à l'EHESS ( l'École des hautes études en sciences sociales).

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Atlantico : La ministre du Droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a affiché sa volonté d'"abolir la prostitution". Elle pourrait s’inspirer du « modèle suédois » qui criminalise la prostitution et pénalise le client. Ce modèle est-il un succès ?

Marie-Elisabeth Handman : Le système suédois est incroyablement hypocrite et j’espère qu’un tel système ne sera jamais mis en place chez nous. Dire que la prostitution est un esclavage est une prise de position idéologique. Quand les femmes affirment avoir fait ce choix pour être libres, les socialistes parlent d’« aliénation ». Il faut écouter ce que disent les prostituées elles-mêmes.

La pénalisation des clients appauvrit considérablement les prostituées qui, du coup, sont beaucoup moins regardantes sur l’utilisation du préservatif et doivent se cacher. Par ailleurs, dans ce cas-là, les mafias s’en donnent à cœur joie car elles trouvent des lieux où la prostitution n’est pas surveillée. Par exemple en Suède, les malheureuses filles de l’Est amenées par la mafia russe se retrouvent sur les bateaux qui font des croisières sur les Fjords. La traite des êtres humains est la seule chose contre laquelle il faut lutter.

Le rapport de la mission parlementaire sur la prostitution présidée par la députée PS Danielle Bousquet, qui préconisait de s’inspirer du modèle suédois, précisait que les députés qui avaient rédigé le rapport avaient été heurtés par la condition des prostituées espagnoles.

En Espagne, le syndicat des hôtels bars s’était débrouillé pour que la prostitution de rue soit interdite de manière à ce que toutes les prostituées soient dans la main des propriétaires de bars. Les femmes étaient «  le pot de terre » contre le « pot de fer » des propriétaires de bars. L'Espagne n’est pas un exemple à imiter non plus.

Le gouvernement suédois affirme que la prostitution a diminué de moitié depuis le durcissement de la loi en 1999 ?

Ces chiffres sont contestés par les prostituées elles-mêmes. Les évaluations ont été conduites par ceux qui ont fait voter la loi. On ne peut pas être à la fois juge et partie.

Le rapport gouvernemental suédois rédigé par Anna Skarhed paru en juillet 2010 a également été vivement critiqué par plusieurs chercheurs et scientifiques indépendants 

Elle avait pour prémisse de ne pas remettre en question le bien-fondé de la loi et de ne proposer qu’un renforcement ou un statu quo. Elle s’est concentrée uniquement sur son aspect dissuasif sans s’intéresser à l’impact sur les prostituées suédoises.

Devant ces critiques, Anna Skarhed a admis que la méthodologie scientifique n’était pas le but premier de son évaluation. La seule chose que nous savons de Suède est que la prostitution de rue dans les grandes villes a diminué depuis la loi, le seul secteur de l’industrie du sexe suédoise visible de la police et des autorités. Pourtant, la prostitution de rue n’a jamais été très importante en Suède où il neige près de la moitié de l'année. Où sont donc allées ces personnes ? Le rapport ne le dit pas.

Comment voyez-vous l’évolution des choses si le client vient à être pénalisé?

Il y aurait énormément de manifestations dans les rues. Les prostituées commencent à être bien organisées, notamment à travers leur syndicat : le STRASS (Syndicat du Travail Sexuel). Les prostituées en ont marre d’être traitées comme des victimes. Elles ne s’estiment pas du tout victimes ! Pour moi, c’est faire fi du droit des femmes. Ça me désole de penser que le ministère du droit des femmes s’attaque de cette manière-là à des femmes qui choisissent librement cette activité. Les prostituées ont beaucoup plus de  liberté que des femmes qui travaillent à l’usine.

Vouloir abolir « le plus vieux métier du monde » est-il illusoire ?

C’est totalement illusoire.On ne peut pas abolir les désirs, notamment des personnes qui n’ont pas de compagnes ou de compagnons à la maison. Le recours à des services sexuels continuera nécessairement à exister.

L’important c’est de faire en sorte que les personnes qui rendent des services sexuels le fassent dans les meilleures conditions possibles. Lorsque les prostituées ou leurs clients sont harcelées par la police, elles se cachent et ne prennent pas les précautions nécessaires pour éviter les maladies sexuellement transmissibles. Vouloir harceler les prostituées, c’est les condamner à tomber malades ou à être victimes de malfaiteurs. Il faut permettre à la prostitution de s’exercer dans de bonnes conditions. Lorsque c’est le cas, les mafias ont beaucoup moins d’emprise sur les prostituées. Les mafias se créent toujours dans un contexte d’interdiction ou de prohibition.

Assiste-t-on à un retour du puritanisme ?

Il y a un moralisme qui revient toujours au galop durant les périodes de crise. Ce moralisme a commencé à exister au milieu des années 70 après le choc pétrolier. A mes yeux, c’est lié. Dès qu’il y a une crise, les gens ont peur : peur du déclassement, peur de l’étranger. Ils se rabattent naturellement sur des valeurs qui ne coûtent pas cher. Ça ne coûte rien de dire qu’on est contre la prostitution. Les prostituées qui vivent bien leur métier disent : « mon corps est à moi ! ». Les prostituées sont des adultes consentantes. L’abolition de la prostitution viendrait contredire le code pénal qui admet les actes sexuels entre adultes consentants.

La France devrait-elle, à l’inverse, se tourner vers un régime plus souple comme en Allemagne?

Les prostituées doivent pouvoir exercer dans les conditions qu’elles choisissent. Certaines préfèrent êtres salariées comme dans un « éros center » allemand. D’autres ont choisi la prostitution pour être libres et ne pas avoir de patron sur le dos. On doit également leur permettre de s’organiser sur une base collective, comme les cabinets d’avocat ou de médecine. De cette manière, elles pourront se protéger entre elles.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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