Valeurs : quelles sont les lignes rouges que la droite et la gauche ne doivent par franchir pour rester dans le jeu démocratique et républicain ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Extrêmes de gauche ou de droite, quels sont les partis, les valeurs ou les idées qui se situent du mauvais côté de la ligne rouge du champ républicain et démocratique français ?
Extrêmes de gauche ou de droite, quels sont les partis, les valeurs ou les idées qui se situent du mauvais côté de la ligne rouge du champ républicain et démocratique français ?
©Flickr / Patrick.Mtl.

Do not cross

Plusieurs dirigeants de l'UMP ont appelé à un débat sur le thèmes des valeurs de leur parti confronté à la question de l'acceptabilité ou non d'éventuels accords électoraux avec le Front National. Tout en soulignant que cette question pouvait aussi se poser au sujet des alliances de la gauche modérée avec l'extrême gauche.

André Sénik  et Christophe Prochasson

André Sénik et Christophe Prochasson

André Sénik est agrégé de philosophie et avoue un passé communiste, version italienne, dans les années 1960. Christophe Prochasson est historien et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Plusieurs dirigeants de l'UMP, notamment Alain Juppé, ont demandé qu'une discussion ait lieu sur le thème des "valeurs" de leur parti. Où se situe la ligne rouge entre ce qui appartient au camp républicain et ce qui ne l'est pas ?

André Sénik : La droite de gouvernement devrait, et elle le peut aisément, définir les lignes rouges qui délimitent ses alliances possibles ou impossibles sur sa droite.

Rappelons d’abord qui elle est, et ce qu’était l’extrême droite des années 30.

Cette droite de gouvernement, en France et en Europe, n’est absolument pas suspecte d’être contaminée ou contaminable par les idées de l’extrême droite d’avant-guerre, contrairement à ce que la gauche adorerait faire croire.

Elle adhère au moins autant que la gauche à tous les fondements de notre société, à tous ses principes et à toutes ses valeurs : les droits de l’homme, la démocratie représentative, l’État de droit. Elle n’a donc dans ses gènes aucune porosité avec l’extrême droite des années trente.

Celle-ci n’était pas seulement raciste, antisémite et xénophobe : elle était hostile aux droits de l‘homme et à la démocratie libérale. C’est pourquoi elle se proclamait ouvertement révolutionnaire, aussi révolutionnaire en somme que son symétrique en totalitarisme, l’extrême gauche de cette époque. 

Cela dit, pour faire pièce aux mauvais procès des nostalgiques du front antifasciste, cette manoeuvre qui a servi à blanchir les staliniens, la droite de gouvernement pourrait établir une charte indiquant les conditions de possibilité – et d’impossibilité – de ses alliances. Cela permettrait de définir les idées et les valeurs qui constituent les lignes rouges à ne pas franchir, au lieu d’ostraciser a priori et par réflexe les personnes, les courants et les partis qu’on fait passer pour les revenants de l’extrême droite raciste et fascisante, sans analyser leur idéologie réelle et leur évolution.

La droite de gouvernement n’ayant pas de proximité idéologique avec ce qu’on nomme l’extrême droite, elle n’a pas à se définir sur ce terrain. Aujourd’hui, comme à chaque étape de son histoire, elle a certainement à (re)définir son identité, son idéologie, son programme et sa stratégie, et elle peut le faire en référence au socle des valeurs démocratiques qui est celui de la gauche de gouvernement.

Elle n’a pas à montrer patte blanche, mais elle peut exiger de ses alliés éventuels qu’ils professent ouvertement le rejet du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie, l’acceptation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. Et qu’ils se déclarent non révolutionnaires.

Christophe Prochasson : Ce qu'il faut avant tout comprendre, c'est que l'adhésion à la République est un peu le ticket d'entrée nécessaire à qui veut s'exprimer et intervenir dans la vie politique française.

Autrement dit, la question de la République ne fait plus problème : elle ne divise plus la vie politique comme elle l'a longtemps fait entre une droite et une gauche. Par exemple jusqu'à la fin du XIX ème siècle, la droite n'était pas ralliée complètement au camp républicain. Depuis, elle l'est totalement. Y compris dans sa dimension extrême : en France, même l'extrême droite est républicaine.

De ce point de vue là, la République ne constitue plus une ligne de fracture entre la droite et la gauche. Elle ne constitue plus une identité politique de la gauche - car il faut rappeler que la République est née à gauche - contre une droite qui serait anti-républicaine. Nous sommes dans une situation nouvelle.

Justement, qu'est-ce qui fait que la situation a évolué à ce point ?

Christophe Prochasson : Le drapeau tricolore y est pour beaucoup. Au fond, ne pas être républicain, c'est être rejeté dans une sorte d'enfer politique. D'un point de vue rhétorique, il est utile de rejeter ses adversaires en dehors de la République, mais quand on y regarde de plus près, on constate que personne ne remet en cause la République.

Ce qui a changé, c'est l'émergence depuis une trentaine d'années d'une force politique à l'extrême droite, qui ne remet pourtant pas en cause la République en temps que telle. Il ne s'agit pas d'une volonté de retour à la monarchie ou à un régime non démocratique ! La question qui surgit est celle de l'immigration et de la ligne de conduite à adopter à l'égard des populations qui arrivent sur notre territoire.

Il existe plusieurs réponses : une première qu'on pourrait qualifier d'humaniste et qui consiste à dire que nos sociétés sont désormais ouvertes. Puis une autre réponse : celle qui consiste à dire que cette circulation met en péril l'unité nationale, et qu'il convient de la réguler. Or ce discours-là peut prendre des formes extrêmes, qui touchent à le xénophobie.

Mais où se trouve précisément la différence entre préférence nationale et racisme, ou entre régulation des flux migratoires et repli sur soi ? Quelle est la limite à ne pas dépasser ?

Christophe Prochasson : La différence tient dans le discours qui est adopté. Par exemple, on sent très bien que tout un courant qu'on appelle la droite populaire – et qui a d'ailleurs subi un échec électoral – développait un discours franchement xénophobe, c'est-à-dire de rejet de l'autre.

Dans ce cas, je crois que la différence principale se joue dans un discours qui consiste à dire "nous, Français, sommes menacés par des populations envahissantes". On n'est donc plus du tout dans le cadre de la régulation des flux migratoires, ce que tout le monde fait d'ailleurs.

Malheureusement, l'Histoire montre que la République n'a pas toujours été indemne de ce genre de discours. Des républicains authentiques ont même pris en charge ce type de discours. C'est le cas par exemple de Maurice Barrès : il n'était pas contre la République. Pour autant, il était anti-dreyfusard et a développé un discours sur la nation extrêmement exclusif, et enfermant l'autre dans ses origines nationale ou ethnique.

Sur quelle base un parti politique pourrait-il rédiger une charte de ses valeurs, expliquant noir sur blanc ce qui est républicain et ce qui ne l'est pas ? 

Christophe Prochasson : Mais cette charte existe ! Il s'agit de la déclaration des droits de l'Homme. C'est en quelque sorte le dénominateur commun à tous les partis s'ils veulent rester dans le cadre de la République, et même au-delà de la République puisqu'il s'agit d'un texte universel. On se situe là dans un horizon moral qui nous lie les uns aux autres en tant qu'Hommes, respectables et dignes.

C'est plutôt cela qu'il faut défendre, au lieu de s'enfermer dans un discours – très français d'ailleurs – de défense des valeurs républicaines, que personne de toute façon ne remet en cause explicitement.

Quid de la gauche ? Jusqu'où peut-elle aller ? Le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon se trouve-t-il derrière cette ligne rouge ?

André Sénik : Du côté de la gauche, les choses se présentent différemment. La gauche n’a pas rejeté le communisme comme la droite a condamné le fascisme et le nazisme. En France, elle a tout de même fini par se rendre autonome politiquement du PC et du Front de gauche, mais sans oser faire le ménage idéologique, sans faire son congrès de Bade-Godesberg, au cours duquel les socialistes allemands ont répudié le marxisme, à l’époque il est vrai où, pas loin de chez eux, Angela Merkel vivait réellement le communisme.

Mais il est vrai aussi que l’extrême gauche française n’est plus ce qu’elle était avant la guerre. Elle ne répudie plus les droits de l’homme et l’État de droit, elle accepte le pluralisme politique et l’alternance, bref elle a laissé tomber la dictature du prolétariat, et elle n’est plus révolutionnaire pour de vrai.

Il n’y aurait donc pas lieu de s’indigner du compagnonnage de la gauche avec les héritiers du totalitarisme communiste, dans la mesure, et dans la mesure seulement, où ces derniers s’avoueraient des rejetons infidèles. Mais il y a encore porosité avec les miasmes des années 30 de ce côté de l’échiquier politique, comme on s’en aperçoit quand il arrive à la gauche de reprendre les anathèmes contre le marché, la finance, et les riches, sur l’air de la Carmagnole.

La morale de cette histoire des extrêmes d’aujourd’hui, qui ne sont pas ceux d’hier, c’est qu’on peut défendre des idées stupides, à droite de la droite et à gauche de la gauche, et ne pas être infréquentables, pourvu seulement qu’on soit explicitement clairs sur les valeurs des démocraties libérales, et qu’on défende ce régime que le fascisme, le nazisme et le communisme ont combattu, et par lequel ils ont été vaincus militairement et idéologiquement.

Christophe Prochasson : Personnellement je suis très critique à l'égard de ce face-à-face qui oppose extrême gauche et extrême droite. Il y a autant de ridicule à exclure l'extrême droite de la République, qu'à assimiler le Front de gauche au péril soviétique. Pour moi, l'extrême droite est une force politique tout à fait détestable mais qui est républicaine. Pour ce qui est de l'extrême gauche, il faut d'abord noter que le rapport de forces ne joue pas en sa faveur : certes M. Mélenchon a fait un score très honorable (ndlr : 11%) mais qui reposait essentiellement sur son talent personnel et non sur des valeurs idéologiques. Jean-Luc Mélenchon c'est le succès d'un spectacle et non d'une idéologie.

Aujourd'hui le programme du Front de gauche est irréaliste, abusivement simplificateur, sans doute économiquement risqué, mais ce n'est pas un programme qui rompt avec des valeurs humanistes. Pas un gramme de xénophobie dans le programme du Front de gauche. Et ce qu'ils mettent en avant c'est la République ! Ce n'est plus le communisme, ce n'est même pas le socialisme. Ces mots ont disparu au profit du terme "gauche".

Comment cette ligne rouge a-t-elle évolué au fil du temps, aussi bien pour la gauche que pour la droite ? 

Christophe Prochasson : Concernant la gauche, cela fait plus de 20 ans que le bloc soviétique s'est effondré. Nous ne sommes plus dans la situation des années 70, où le parti communiste était à 15% et très lié au bloc soviétique qui était une force politique importante et même menaçante dans le monde, et qui se référait à un modèle dangereux pour les libertés. Tout cela est révolu.

Pour ce qui est de la droite, je ne crois pas qu'on puisse parler d'une droite. Il existe des droites, comme il y a des gauches. Aujourd'hui les droites sont en pleine recomposition et, c'est peut-être la nouveauté, beaucoup plus divisées qu'elles ne l'étaient au moment où Nicolas Sarkozy a été élu. Sa force a été de parvenir à réunir les droites dans une droite avec une identité forte. Sa disparition de la scène politique laisse un paysage plus fragmenté et on se retrouve dans une situation où les droites l'emportent sur la droite.

La question de la relation au Front national et aux valeurs politiques qu'il représente constitue un clivage fort, qui est un facteur de scissions au sein des droites.

Le rapprochement de la gauche vers Mélenchon est souvent moins décrié qu'un rapprochement de l'UMP vers le FN. La droite doit-elle davantage "montrer patte blanche" que la gauche, qui semble pouvoir fleurter avec son extrême sans qu'on lui tombe dessus à bras raccourcis ? 

Christophe Prochasson : Historiquement, la République est née à gauche, et c'est la droite qui s'est ralliée à la République. Il est vrai que sur la longue durée, la légitimité de la droite par rapport à la République est moindre que celle de la gauche. La gauche est naturellement républicaine, parce qu'elle est fondatrice de la République. Mais tout cela est de la vieille histoire.

Aujourd'hui, le débat n'est plus là. Ce n'est pas un "brevet républicain" qui est en jeu, c'est l'adhésion aux droits de l'Homme. Je ne pense donc pas que sur la question de la relation aux autres et sur les thématiques de l'immigration et des étrangers on puisse mettre sur la même ligne Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. On peut les rapprocher sur d'autres choses, par exemple la politique économique, mais sur le rapport aux autres et la gestion des immigrés, les réponses sont très différentes. Et on ne peut pas renvoyer l'un à l'autre sur ce point.

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