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Explosion de la “bulle de la normalité” : les hebdos déjà lassés de François Hollande ?
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Une presse normale

Les hebdomadaires français se seraient-ils donné le mot cette semaine - comme souvent ? Le Point, L'Express, Le Nouvel Observateur et Marianne ont brusquement retourné leur veste, à l'unisson, pour vilipender un François Hollande qu'ils soutenaient plutôt jusqu'ici. Jean-François Kahn revient sur ce phénomène de "panurgie" et le malaise de la presse de gauche...

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Lire la Revue de presse des hebdos de cette semaine



Atlantico : Les hebdomadaires français, plutôt enthousiastes et cléments envers François Hollande depuis son élection, ont cette semaine brusquement retourné leur veste. A l’unisson, leurs Unes deviennent plus virulentes… Comment expliquer une telle concomitance, et pourquoi aujourd’hui ?

Jean-François Kahn :C’est une réaction, d’une part à l’affaire touchant celle que j’appelle Valérie « Tweetweiler », un incident inconcevable. Et d’autre part au fait que la gauche au pouvoir va être confrontée à la nécessité de prendre des mesures, en particulier de réduction des dépenses publiques, des coupes sombres qu’ils n’avaient pas annoncées dans leur programme. En cela les journaux font leur boulot ! Et c’est très intéressant que parmi les plus incisifs il y ait deux journaux réputés de gauche, à savoir Marianne et Le Nouvel Observateur. Ils font leur travail. La question qu’il faut se poser aujourd’hui est pourquoi ce travail n’a pas été fait il y a 5 ans par rapport à Nicolas Sarkozy ?

On peut prendre deux exemples. Tout d’abord l’affaire « Tweetweiler » est absolument comparable à celle de Cécilia Sarkozy en 2007. Les histoires de Disneyland surviendraient aujourd’hui avec Hollande, la presse s’en donnerait à cœur joie, et elle aurait raison. Pourquoi n’y a-t-il pas eu des débats à la radio, à la télévision, à l’instar de ce qu’il s’est passé ces jours-ci ? C’est une question que tout esprit libre devrait se poser.

De la même façon, la presse a raison de fustiger les coupes sombres dans les dépenses qui étaient imprévues, voire exclues par un programme électoral qui annonçait l’inverse. Elle a raison de mettre en lumière le caractère inapplicable du programme de François Hollande, qu’il doit lui-même reconnaître aujourd’hui. Cependant, quand Nicolas Sarkozy a creusé les déficits en arrivant au pouvoir, la presse aurait pu dire « Vous faites fausse route, vous creusez les déficits » ! La presse de droite aurait pu s’en charger… Dieu sait que la presse de gauche m’énerve très souvent, mais il faut reconnaître qu’en l’occurrence, le Nouvel Observateur et Le Monde, en tête, font leur boulot avec ces critiques, ce que Le Figaro n’a pas fait pendant 5 ans !

Ces rapports entre presse et pouvoir politique caractérisent-ils un phénomène nouveau ?

Non, l’exception est vraiment Nicolas Sarkozy. Tout d’abord parce qu’il y a eu un engouement et une dynamique extraordinaires pour ce dernier, qu’on ne retrouve pas pour François Hollande aujourd’hui. Par ailleurs, Nicolas Sarkozy s’occupait de la presse, y intervenait : pour ses problèmes sentimentaux, il a quand même fait virer le patron de Paris Match, et des sanctions ont été prises contre le journaliste du Journal du Dimanche qui avait affirmé que sa femme n’avait pas voté pour lui. Imagineriez-vous des sanctions contre un journaliste qui se moque de l’affaire Trierweiler ? Heureusement non…

L’autre raison est que le rapport de la presse, de droite et de gauche, à un gouvernement, de droite ou de gauche, est différent. Je ne partage aucune des deux démarches : la presse de droite considère déjà que la droite doit légitimement être au pouvoir, et dès lors qu’elle est au pouvoir, cette presse défend l’idée que la cohérence, le sens de l’Etat et le patriotisme exigent qu’elle la soutienne. Tandis que la presse de gauche, qui met souvent l’accent sur la fonction critique du journaliste, a un malaise par rapport au soutien au pouvoir. Ils ont un esprit oppositionnel qui fait qu’ils sont gênés d’être dans cette situation de soutien au pouvoir. Ils soutiennent un candidat et son arrivée au pouvoir, et dès que celle-ci s’est produite ils cherchent à s’en démarquer, en raison de ce malaise, mais également pour des raisons de vente. Pourtant, les lecteurs du Figaro trouvent cela normal que « leur » journal soutienne Sarkozy lorsque celui-ci est au pouvoir ! Au Nouvel Observateur, on a bien vu qu’en 1981 ils soutenaient le gouvernement et ont subi une dégringolade de leurs ventes un an après. Le Monde avait été considéré comme trop favorable à la gauche et avait subi le même sort. Le journal Le Matin, qui avait pourtant bien démarré, n’y avait d’ailleurs pas résisté. Prenant conscience de cela, la gauche a tendance à se démarquer d’un pouvoir qu’elle a soutenu…

Ce phénomène touchant la presse (du moins celle de gauche) est-il une spécificité française ?

Le problème est que la presse de gauche française n’est peut-être pas idéologiquement indépendante, mais du moins elle n’est pas une presse de parti. A l’inverse, le Mirror en Angleterre est quasiment l’organe du Parti travailliste. En France, la presse est plus indépendante des partis constitués.

Peut-on penser que la « bulle de normalité » qui entoure François Hollande, et qu’il a lui-même revendiquée, est en train d’exploser ?

Oui. C’est la Une que faisait Marianne... Pour illustrer mes propos, je voudrais vous rappeler que l’un des journalistes les plus engagés dans l’anti-sarkozysme radical était Edwy Plenel avec son site Mediapart. Le même Edwy Plenel, lorsqu’il était à la tête de la rédaction du Monde, fut le tombeur de Mitterrand, celui qui avait eu les attaques les plus saillantes, notamment sur la polémique des écoutes ou l’affaire Bérégovoy. C’est leur culture...

Autant je trouve normal qu’un journal de droite soutienne un gouvernement de même couleur politique, autant je ne m’explique pas comment Le Figaro a pu soutenir certains aspects de la politique de Nicolas Sarkozy qui allaient contre leurs convictions. Il a laissé se creuser des déficits, il a rétabli l’étatisme et la politisation des médias, et Le Figaro aurait dû, normalement, s’y opposer. D’un autre côté, cette posture de la presse de gauche qui consiste à dire « On a voulu ce gouvernement, on l’a mis au pouvoir mais ce n’est pas bon pour nos ventes de le soutenir » me parait critiquable.

Sur un plan plus médiatique, cette concomitance au sein de la presse vous semble-t-elle normale ? Ne caractérise-t-elle pas un mouvement un peu « moutonnier » des organes de presse ?

Il est de toute façon évident qu’il y a un problème de panurgie extraordinaire dans la presse… Je suis choqué par les soirées électorales du 2ème tour, au cours desquelles on écrase les vaincus : le plus bel exemple est celui de Nadine Morano. On l’invitait dans tous les débats, elle était la vedette politique. Aussitôt qu’elle est battue, elle devient une serpillère qu’on piétine, qu’on lacère, brusquement. Il en va de même pour Jack Lang. Cette tendance à effectuer un véritable lynchage du vaincu est un peu choquante.De la même manière, il suffit qu’un journal annonce une « vague rose » pour que tous reprennent en cœur, alors qu’il suffit d’étudier les chiffres pour s’apercevoir que le système électoral démultiplie le succès socialiste. En réalité il n’y a pas de vague rose, tout juste un 49 % / 51 %... Les Unes des hebdos de cette semaine suivent exactement ce schéma.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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