Oubliez la “gauche plurielle”, place à la “gauche au singulier” qui gouverne sans ses alliés <!-- --> | Atlantico.fr
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Théoriquement, le PS qui dispose de la majorité absolue a les mains libres pour gouverner seul.
Théoriquement, le PS qui dispose de la majorité absolue a les mains libres pour gouverner seul.
©Reuters

Babordage

Les communistes ne participeront pas à la nouvelle équipe du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. François Hollande qui dispose de la majorité absolue à l'Assemblée nationale semble opter pour un remaniement a minima. "La gauche plurielle" du gouvernement Jospin n'est plus qu'un lointain souvenir.

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj est chargé de recherche à Sciences Po. Diplômé et docteur en science politique de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il est spécialisé dans les comportements électoraux et politiques en France, en Europe et aux Etats-Unis et la psychologie politique,

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Atlantico : Le remaniement annoncé jeudi s'annonce très limité. Théoriquement, le PS qui dispose de la majorité absolue a les mains libres pour gouverner seul. Mais politiquement, François Hollande peut-il se permettre de se passer de ses alliés ? 

Vincent Tiberj :  François Hollande a tout de même fait entrer dans le gouvernement des personnalités du Parti radical de gauche, comme Christiane Taubira, et d’Europe Ecologie-Les Verts, comme Cécile Duflot. Il y a une volonté de créer une majorité sociale qui dépasse la majorité politique. François Hollande désire également se démarquer de l’ « omni-président » Nicolas Sarkozy. Pas sûr qu’il réussisse. Ce travail de consensus est difficile dans la société française où la logique d’affrontement bloc contre bloc prédomine.

Par ailleurs, il faut se souvenir de l’échec de l’expérience de "la gauche plurielle" en 1997. Les alliances avec les Verts et le PC étaient asymétriques et les partenaires du PS ont avalé des couleuvres sans réussir à faire appliquer leurs programmes. Sous un gouvernement de gauche comme sous un gouvernement de droite, c’est le parti majoritaire qui décide. C’est la logique des institutions.

François Hollande tire-t-il les leçons de « la gauche plurielle » qui avait conduit à l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle 2002 après les candidatures de Christiane Taubira ou de Jean-Pierre Chevènement ?

Est-ce que la gauche plurielle était vraiment responsable de l’élimination de Jospin en 2002 ? A mon avis le problème essentiel de l’élimination de Jospin est d’avoir voulu faire une campagne au centre plutôt qu’à gauche. Au gouvernement, les alliés de Jospin ont eu énormément de mal à faire passer leurs propositions. A part Noël Mamère qui a réussi à dépasser les 5% pour les Verts, les autres candidats de gauche ont fait de mauvais scores. En réalité, c’est l’ensemble de la gauche qui a été sanctionnée.C’est sans doute la raison pour laquelle le Front de gauche n’est pas pressé de rentrer au gouvernement.

Il y avait deux possibilités : recréer la gauche plurielle ou proposer une autre alternative à la manière de Die Linke en Allemagne. C’est cette solution qui l’a pour l’instant emportée. Le Front de gauche veut faire entendre un autre projet à la gauche de la gauche.  

Comment les alliés du PS peuvent-ils peser malgré leur absence au gouvernement et leurs mauvais résultats à la présidentielle et aux législatives ?

Le Front de Gauche comme EELV risquent de se retrouver dans la situation politique de François Bayrou en 2007. Ce dernier était capable de peser dans le débat médiatique, beaucoup moins dans la réalité politique. Mais le Front de gauche comme EELV peuvent exercer le magistère de la parole. C’est déjà beaucoup.  

Le rapport de force sera-t-il le même avec les écologistes qui dispose d’un groupe à l’Assemblée nationale qu'avec le Front de gauche qui n’a pas réussi à constituer un groupe?

Avoir un groupe ne suffit pas pour exister. Cela permet seulement d’influencer à la marge en proposant  des lois ou des amendements. C’est la différence entre la vie politique française et la vie politique dans les autres pays européens où le parlement est élu à la proportionnelle. Les éventuels accords seront conditionnés à la volonté du PS d’être plus ou moins ouvert. Mais l’accord entre le PS et EELV est déjà une petite révolution pour les écologistes. Les Verts ont longtemps été jusqu’au-boutiste notamment sur la question du nucléaire. Cet accord reflète l’évolution du mouvement vers un certain pragmatisme. Ils vont exister politiquement par leurs postes de députés et leurs postes au gouvernement. Toutefois, si le gouvernement Hollande déçoit, il n’est pas sûr que cette ligne-là tiendra.  

La stratégie sera sans doute différente avec  Le Front de gauche…

Le point faible du Front du gauche, c’est la disjonction entre le parti comme organisation dont l’ossature est celle du Parti communiste et le parti dans l’électorat qui est dominé par la figure charismatique de Jean-Luc Mélenchon. Lorsque les gens pensent Front de gauche, ils pensent  « Mélenchon ». Mais l’organisation du PC est derrière lui. C’est d’ailleurs l’une des raisons de la déroute du Front de gauche aux législatives. La plupart des candidats qui se sont présentés étaient des communistes qui incarnaient le vieux PC. L’insuccès du Front de gauche tient à l’incapacité du Parti communiste  à se renouveler.  Le PC peut mettre des bâtons dans les roues à Jean-Luc Mélenchon. C’est toute la difficulté de cette organisation. François Hollande en est conscient.

Jean-Luc Mélenchon sera-t-il un "boulet" pour François Hollande ?

Jean-Luc Mélenchon sera très dur à canaliser. C’est un électron libre. Pour l’instant, il laisse le PS s’installer au pouvoir tranquillement. Mais il peut jouer le rôle d’aiguillon. D’autant plus que les électeurs de gauche sont parfaitement capables d’adresser des messages de défiance  au PS en mobilisant d’autres alternatives politiques. Le Front de gauche peut en être une. Par sa politique, considérée par les électeurs comme trop centriste,  Lionel Jospin avait ressuscité Lutte Ouvrière et la LCR de Besancenot. Cela lui avait coûté la qualification au second tour de l’élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon part de plus haut et peut faire encore plus mal. Le destin du Front de gauche n’est pas scellé aux résultats des législatives. Bien au contraire, tout commence…

L’opposition peut-elle aussi venir de l’intérieur même du PS ? Martine Aubry voire Ségolène Royal peuvent-elles jouer ce rôle ?

Pour l’instant François Hollande, en bon connaisseur du PS, a su satisfaire tous les courants. A titre d’exemple, l’entrée au gouvernement de Benoît Hamon, qui représente l’aile gauche du parti, n’est pas un hasard.C’est un moyen de satisfaire à la fois Martine Aubry et Henri Emmanuelli. Mais lorsque l’on reparlera de politique d’immigration ou de fiscalité, il devrait y avoir quelques grincements de dents. Une majorité n’est rien d’autres que l’addition de plusieurs courants. Il y  a eu des débats internes à la majorité de droite. Avec la gauche,  qui est traditionnellement moins disciplinée, il y en aura encore plus.

L’UMP a phagocyté ses alliés, mais se retrouve déchirée par des querelles internes et manque de réserves de voix au centre. Le PS, aujourd’hui tout puissant, pourrait-il de connaître une évolution similaire ?

L’UMP est victime de son héritage politique puisque le mouvement résulte de la synthèse entre l’UDF, qui avait une tradition de courants, et le parti gaulliste, à la tradition plus bonapartiste. Dans L’UMP, on retrouve l’affrontement entre la tradition humaniste du centre et la culture politique plus autoritaire des gaullistes. La différence avec le PS, c’est que l’UMP était vu comme une machine à éliminer tout ce qu’il y avait autour. C’était le parti unique de la droite. Le PS est moins dans cette logique là, mais il y a tout de même une volonté hégémonique qui peut poser problème. Tout dépendra de la capacité de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault à trouver un consensus.

N’assiste-t-on pas tout simplement à la bipolarisation de la vie politique française ?

En 2007, on pouvait l’évoquer car le Front national et la gauche de la gauche s’étaient effondrés. Certes, François Bayrou, qui incarnait une différence, a disparu des radars. Mais le FN est plus que jamais là et Jean-Luc Mélenchon incarne une alternative à gauche. Le mode de scrutin fait que le pluralisme s’exprime surtout lors du premier tour de l’élection présidentielle. Aux législatives, le mécanisme institutionnel favorise plutôt les deux grands partis.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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