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FN : 
“Casse-couilles démocratiques" non, 
"casse-couilles médiatiques", oui !
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Rien de nouveau sous le soleil

A quoi pouvait bien penser Gilbert Collard, élu député frontiste en déclarant qu'il comptait être avec Marion Maréchal-Le Pen des « casse-couilles démocratiques » à l'Assemblée ?

Serge Berstein

Serge Berstein

Serge Berstein est un historien français du politique. Docteur ès lettres, il enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris. Membre des conseils scientifiques de la Fondation Charles de Gaulle et de l'Institut François-Mitterrand, il est  également l'auteur de nombreux ouvrages.

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Atlantico : Le FN compte désormais deux sièges à l'Assemblée (trois en comptant Jacques Bompard, ancien du FN). Gilbert Collard prévient et insiste sur la volonté des députés frontistes à se comporter comme de véritables « casse-couilles démocratiques ». En position ultra-minoritaire, comment le Front national entend-il jouer ce rôle ?

Serge Berstein : L’expression employée par Gilbert Collard montre à la fois ce qu’il veut faire, mais aussi les limites de ce qu’il peut faire. Il est clair que sur 577 députés, trois députés d’extrême-droite ne vont pas faire beaucoup bouger les lignes.

Au fond, la seule possibilité de ces gens-là est de prendre la parole, et d’essayer d’exister par le verbe. Autrement dit, politiquement, cela n’a aucune signification. Il est évident que le rôle qu’ils peuvent jouer est on ne peut plus limité. Ils voteront probablement contre un grand nombre de décisions en mêlant leurs voix à celle de l’opposition représentée par l’UMP et le nouveau centre.

Mais trois voix ne pèsent pas vraiment, étant donné l’équilibre des forces tel qu’il résulte du second tour. Par conséquent la seule possibilité est de faire entendre leur voix au Parlement, sauf que l’écho de celle-ci porte peu dans le pays s’il est sans conséquence. C’est ce qui va se produire.

Ne peuvent-ils pas assurer un blocage systématique des votes, en ralliant à leur cause un certain nombre de députés de droite ?

L’un des épisodes auquel il faut s’attendre est qu’à deux ou trois, ils ne peuvent pas débaucher grand monde. Même en tenant compte des positions parfois voisines de certains députés, ceux-ci ne vont probablement pas faire la cour au FN. En effet, les élections législatives ont montré que ceux qui avaient osé se rapprocher du Front national n'en ont pas nécessairement tiré un véritable profit électoral...

Sur ce plan-là, il va donc y avoir une mise au point nette : l’UMP a tout intérêt à faire barrage au Front national si elle ne veut pas imploser. Si une grande partie de la base est prête à aller vers le FN, c’est avant tout du fait de la stratégie de campagne de Nicolas Sarkozy.

Compte tenu des nouveaux élus d’extrême-droite, et des presque 18% de Marine Le Pen, le problème est de savoir si le FN a fait exploser l’UMP pour attirer à lui les membres de la droite populaire ou ceux de la droite sociale de Laurent Wauquiez. Ou si au contraire c’est l’UMP qui va continuer, en dressant des barrages solides, à laisser le Front National dans le quasi-isolement qui est le sien aujourd’hui. Le vrai problème est là. Si Alain Juppé insiste sur les valeurs, c’est parce qu’il entend que les choses soient mises noir sur blanc.

En 1986, le FN avait obtenu 35 députés à l’Assemblée. Quel rôle avaient-ils joué à l’époque ? Avaient-ils été le "poil à gratter" de l’Assemblée ?

Pas du tout. Ce qui a le plus frappé dans l’action des députés du FN à l’époque est leur absentéisme. Un grand nombre d’entre eux, contrairement à Gilbert Collard aujourd’hui, n’avaient pas du tout la fibre parlementaire et étaient donc déconcertés par le style et l’ambiance de l’Assemblée. Ils ont essayé une fois ou deux de faire des blocages, cela n’a pas vraiment marché, et on ne les a plus vraiment entendus après cela. Ce fut un grand coup d’épée dans l’eau. Les seuls qui étaient présents n’ont pu peser dans les débats, parce qu’ils étaient minoritaires et isolés. Gilbert Collard, lui, sait parler et s’adresser à une assemblée. Mais que peut un homme seul face à 577 députés ?

Je pense que ce que vont essayer de prouver Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, c’est qu’ils peuvent jouer un rôle au Parlement en n’étant précisément pas des bloqueurs systématiques. En effet la stratégie de dédiabolisation du Front national est une opération qui consiste à banaliser ce parti, et montrer qu’il a sa place aussi bien dans les choix électoraux des Français qu’au Parlement, voire au Gouvernement.

De ce point de vue, ce que pourraient faire de plus intelligent les députés d’extrême-droite est de montrer qu’ils sont capables de jouer le jeu parlementaire, qu’ils sont républicains et qu’ils acceptent les règles du jeu de la démocratie. En outre, je ne pense pas que ce soit ce que cherche Marine Le Pen, qui veut lisser l’image de son parti et mettre en avant son côté républicain. De toute façon ce n’est pas à deux personnes qu’on bloque une assemblée.

Enfin, Jean-Marie Le Chevallier en 1997 n’a pas laissé une grande empreinte à l’Assemblée. La faiblesse du nombre est évidemment une cause d’inefficacité au Parlement.

Au-delà de leur poids politique à l’Assemblée, leur véritable influence ne sera-t-elle pas médiatique, en particulier avec Gilbert Collard qui est un habitué des caméras et des déclarations… bruyantes ?

C’est effectivement possible, compte tenu du personnage. C’est un habitué de la presse et il a, professionnellement et culturellement, le poids nécessaire pour se faire écouter.

Mais je le répète, il ne fera pas de bruit pour rien. La stratégie de Marine Le Pen est plutôt de montrer qu’après tout, ce sont des hommes politiques comme les autres, qui s’expriment de manière cohérente et prennent les problèmes à bras-le-corps.

Si Marine Le Pen avait été élue à Hénin-Beaumont, le retentissement médiatique des députés FN au Palais Bourbon en serait-il plus retentissant ?

Un peu, en ce que son poids médiatique est devenu important. Il est frappant de voir que jadis on n’invitait pas Jean-Marie Le Pen, ou si on l’invitait, c’était dans l’attente du scandale qu’il allait provoquer.

Aujourd’hui, Marine Le Pen est invitée régulièrement dans les médias, et elle s’exprime au fond comme les autres hommes politiques. Son discours est même parfois à l’antithèse de celui de son père, elle évite les provocations, n’évoque plus la Seconde Guerre mondiale... Elle est une femme politique comme les autres, dirige un parti et met en avant des idées qu’on peut considérer comme simplistes mais qui, pour une partie de l’opinion, vont de soi.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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