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"Travailler est-ce seulement être utile ?" Un philosophe a planché sur le bac de philo... voici sa copie
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Maïeutique

Au programme du bac de philo 2012, des questions autour du travail, de la vérité et de l'Etat. Bertrand Vergely s'est penché sur l'un des sujets proposés à la section ES sur l'utilité du travail. Si le travail a toujours eu une utilité sociale, il peut aussi bien avoir d'autre buts. D'autant que l'utilité ne réside pas seulement dans cette activité.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Ce sujet nous invite à réfléchir sur les relations entre travail et utilité Sa formulation fait ressortir deux l’idées : 1) D’abord, l’idée présentée sous la forme d’une évidence comme quoi travailler consiste à être utile. 2) Ensuite, l’idée selon laquelle il pourrait avoir un autre sens que l’utilité. Ces deux idées sont problématiques et ne vont pas de soi. Pour deux raisons.

Poser que le travail a comme sens d’être utile est flou. Utile pour qui ? Utile pourquoi ? Utile selon quels critères ? Un travail peut ne servir à rien. Pour celui qui le fait, parce que celui-ci n’est pas heureux de le faire. Pour ceux à qui il est destiné, quand ce travail est mal fait. Autrement dit, un travail n’est pas utile quand il n’est pas porteur de qualité comme action et comme occupation. Il y a là une indication intéressante. Il faut de la joie pour qu’un travail apparaisse comme utile. Le travail seul ne suffit donc pas à définir l’utilité. 

En outre, à l’inverse, il arrive qu’en ne travaillant pas on soit très utile. Qui ne fait rien évite de mal faire. Il vaut mieux parfois ne rien faire que faire. On fait moins de mal. Par ailleurs, se reposer n’est pas inutile comme faire la fête. C’est ainsi que l’on se régénère en faisant le plein d’énergie.

Il importe de ce fait de réviser notre pensée concernant le travail. Celui-ci n’est pas forcément utile. Et, à l’inverse, le non-travail n’est pas forcément inutile. Comme le non-travail n’est pas forcément inutile.

Dans le même ordre d’idées, poser que le travail puisse avoir un autre sens que l’utilité est tout aussi flou. On voit mal un travail n’être utile à rien ni à personne. Un travail sert au moins à gagner de quoi subsister. Il a toujours, d’une manière ou d’une autre, une utilité sociale. Quand bien même une telle utilité n’apparaît pas tout de suite, elle n’en est pas moins réelle. Qui sait où va ce que l’on fait ? Pour soi. Pour les autres. Sans compter qu’un travail peut avoir une utilité tardive. C’est dire si l’utilité est complexe en étant imprévisible.En ce sens, il en va du travail comme e l’inconscient. On n’aperçoit pas ses effets directement mais indirectement, de façon souvent latérale et après-coup. Ce qui est logique. Travailler voulant dire pétrir et en pétrissant transformer, le travail est un processus de longue haleine comme l’accouchement qui On s’en aperçoit, le travail est surprenant, rien ne se passant comme prévu. On attend qu’il soit utile ; Il ne l’est pas. On attend qu’il puisse avoir un sens autre que l’utile. Ce n’est pas possible ; Que penser dès lors ? Une seule chose. Voir là un signe. 

Si le travail échappe, c’est qu’il ne renvoie pas à une tâche que l’on exécute mais à la manière dont on exécute cette tâche et à la manière dont elle est reçue. En cela, le travail requiert un geste de la part de celui qui le fait et une parole de la part de celui qui le reçoit. Il requiert donc une culture, le geste et la parole étant au fondement de la culture comme le rappelle Leroi-Gourhan. Autrement dit, un travail est utile quand il faut vivre la culture. Et ce parce qu’il est une culture et que la culture est le travail même, rien ne travaillant mieux que ce qui cultive l’existence.

De même, si l’utile et le travail sont indissociables, cela vient de la profondeur du travail, travailler n’étant jamais neutre. Témoin l’inconscient ou l’accouchement qui travaillent et qui, en travaillant, montrent que le travail touche le vivant dans ses profondeurs et pas simplement l’économie. D’où un autre sens du travail consistant à faire vivre la vie. Et cette indication. Le travail sert toujours la vie. Il est toujours utile à celle-ci, la vie ne cessant de travailler.

On comprend dès lors mieux ce qui invite à réfléchir sur le travail. Celui-ci ne se situe pas où on l’attend. On pense qu’il est de l’ordre de la tâche et du faire. Il est de l’ordre de la vie et de la culture en jouant le rôle de médiateur entre les deux. Outre qu’il a du sens en faisant vivre une culture, il en a en s’enfonçant dans la vie. En fait, le travail bien pensé n’est pas autre chose que la vie. Il est la vie même qui se travaille à travers la vie, à travers le travail, à travers la culture. L’art en est l’illustration en étant ce travail de la vie même que l’artiste expose et que nous trouvons beau.  Et pour cause ! Il est toujours beau de voir la vie se dévoiler et apparaître dans sa force. Et c’est le travail qui nous ouvre les portes d’une telle beauté. 

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