L'Europe en crise : sommes-nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente Ans ? (3ème partie)<!-- --> | Atlantico.fr
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"Historiquement, il semble que l’Europe réagisse à un changement de civilisation par des guerres et des révoltes."
"Historiquement, il semble que l’Europe réagisse à un changement de civilisation par des guerres et des révoltes."
©Reuters

Quand l'Europe bascule

De Hambourg à la Suisse, l'histoire est riche de situations conflictuelles et d'enseignements sur ce qu'il pourrait arriver en Europe si la crise venait à attiser les tensions. Episode 3/3.

Bernard Wicht

Bernard Wicht

Bernard Wicht est privat-docent à l'Institut d’études politiques et internationales, au sein de l'Université de Lausanne.

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A lire également :
L'Europe en crise : sommes nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente Ans (partie 1)
L'Europe en crise : sommes nous menacés d'une nouvelle Guerre de Trente Ans (partie 2)

Voici une série de réflexions menées en 2010 par Bernard Wicht – Privat-docent à l’Université de Lausanne et spécialiste de questions stratégiques – autour du lien conjoncturel qui pourrait exister entre la méga-crise financière que traverse actuellement l’Union européenne et un hypothétique conflit en Europe, en l’occurrence comment un conflit serait-il susceptible d’apporter une contribution majeure à la résorption du marasme actuel ? Cet article a été publié préalablement sur le blog alupus. Le texte qui suit est le dernier épisode (3/3).

Alors maintenant, si on additionne chaos systémique et changement macro-historique d’outil de production, on pourrait effectivement déboucher sur une période de vacance hégémonique prolongée. Dans ces circonstances, l’Europe subissant d’abord un « décentrage » avec le chant du cygne du projet moderne, pourrait ensuite vivre un « recentrage » (= renaissance) une fois les anciennes structures hiérarchiques suffisamment nettoyées pour permettre l’éclosion de la société de l’information (suite à la nouvelle Guerre de Trente Ans). L’Europe a suffisamment de matière grise et d’esprit d’initiative pour relever le défi de la société de l’information ; ce qui bloque actuellement ce sont précisément les anciennes institutions sociales et politiques de l’ère industrielle. Mais pourquoi pas la Chine ?

Historiquement, il semble que l’Europe réagisse à un changement de civilisation par des guerres et des révoltes, certes très douloureuses, mais qui permettent aux nouvelles structures de se mettre en place. Il semble en revanche que la Chine cherche plutôt à étouffer ces tensions par le recours à un pouvoir très fort (empire) qui évite l’éclatement, mais empêche l’éclosion des nouvelles structures. 

Cinq grandes tendances : 

En résumé, dans l’optique de la longue durée historique, on peut tenter de dégager les tendances suivantes à la lumière de la crise actuelle : 

1) un changement macro-historique d’outil de production avec l’émergence de la société de l’information succédant à la société industrielle ;
2) la crise de la zone Euro comme chant du cygne du projet moderne (structures hiérarchiques, etc.), lui-même expression de la société industrielle ; 3) une période de vacance hégémonique avec une situation de chaos systémique prolongé, en lien avec le changement macro-historique susmentionné ; 
4) une nouvelle Guerre de Trente Ans pour la liquidation de la société industrielle et l’ « accouchement » de la société de l’information ; 
5) un décentrage-recentrage de l’Europe conduisant, à terme, à une forme de renaissance. 

Un dernier point qui n’apparaît pas dans les réflexions ci-dessus, est celui de la « vitesse » à laquelle cette évolution pourrait se dérouler. Le passage de la société féodale-agraire à la société moderne-industrielle a pris au moins deux siècles. Aujourd’hui, si transformation il y a, combien de temps faudra-t-il ?Il est tentant d’avancer l’hypothèse d’une accélération de l’histoire (parfaitement en adéquation avec les paramètres de la société de l’information) : ce qui a pris 200 ans pourrait n’en prendre que 20 !

Rappel des destins des villes de Magdebourg et de Hambourg durant la Guerre de Trente Ans – du type de guerre qui pourrait émerger dans une Europe en crise et en butte à un affaiblissement général de l’autorité de l’Etat. 

Magdebourg ou Hambourg ?

Deux villes ayant vécu un destin totalement différent au cours de la Guerre de Trente Ans : la première sera mise à sac et sa population largement décimée, la seconde échappera à toute conquête et bénéficiera pendant cette période d’un véritable essor économique.

Pourquoi comparer ces deux villes ? Si nous pensons que la crise actuelle pourrait déboucher sur une ou des guerres de type « Guerre de Trente Ans », il importe alors de se demander quelles formes pourraient prendre les combats et quelles sont les chances de succès. C’est pourquoi nous opposons Magdebourg et Hambourg ; un anéantissement désastreux d’un côté, une stratégie conduisant à la sauvegarde de l’autre.

Le sac de Magdebourg est suffisamment connu pour ne pas y revenir. En revanche, les raisons du succès de Hambourg sont moins connues. 

Hambourg, le « safe haven ». Le grand port hanséatique fait un gros effort de fortification : une ceinture bastionnée – richement dotée en artillerie – entoure la ville, englobant en outre un terrain non encore construit qui permettra l’expansion urbaine en cours de conflit. A cela s’ajoute un important contingent de milice bougeoise bien équipé, renforcé par une troupe professionnelle soldée par la ville elle-même. Les armées de Tilly n’oseront pas s’y attaquer et se contenteront du paiement d’une rançon en échange de l’abandon du siège.

Pendant toutes ces années, Hambourg deviendra en quelque sorte un « safe haven » ; le terrain non construit à l’intérieur des fortifications permettra une forte expansion de la population et assurera ainsi l’essor économique de la ville. Le contraste est frappant, alors que Magdebourg disparaît presque de la carte, Hambourg connaît un développement sans précédent dans son histoire. Il y a donc bel et bien des leçons à tirer du sort de ces deux villes. 

« Une nouvelle Guerre de Trente Ans – si tel devait malheureusement être le cas – ne se déroulerait sans doute pas selon les canons de la Deuxième Guerre mondiale ou de la Guerre froide. »

En effet, il y a plutôt lieu de penser – étant donnée la faiblesse actuelle des armées conventionnelles et le développement inversement proportionnel d’une violence anarchique faite de brigandages et de règlements de compte – à des formes plus moyenâgeuses de conflits : rezzous criminels et rapines de grande envergure, bandes et gangs terrorisant les populations. A cet égard, il faut s’imaginer – à grande échelle – des opérations de vol et de brigandage telles que celles commises ces derniers temps, en Suisse, par les bandes de la banlieue lyonnaise. La violence de ces actions et leur rapidité d’exécution pourraient décupler en cas d’affaiblissement général de l’autorité de l’Etat en Europe : on pourrait assister ainsi aux retour des « routiers », à l’instar de ceux qui ravagèrent les campagnes entre le XIIe et le XVe siècle.

Rappelons également dans ce sens, les chevauchées du Prince Noir (1355) pendant la Guerre de Cent ans ou encore l’expédition des Gugler (1375) dans le Seeland. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agissait pas de conquérir des territoires, mais de les dévaster pour s’enrichir et appauvrir l’adversaire. 

En conséquence, la physionomie du champ de bataille risque d’être fort différente de celle que l’Europe a connu au XXe siècle : peu de fronts, pas de barrages antichars sur la frontière, pas de défense nationale au sens de l’armée 61, mais des raids éclair à travers le pays progressant par les grandes pénétrantes que sont les autoroutes et les autres voies de communication rapide – tout ceci se déroulant dans le climat « pseudo-normal » d’une activité sociale et économique presque régulière.

Alors, la meilleure réponse à ces menaces semblerait être « hambourgeoise » : les villes et les gros villages se protégeant eux-mêmes de ces attaques en barrant les entrées par des check-points, en mettant sur pied des patrouilles avec les pompiers et quelques citoyens volontaires, en installant un système de surveillance 24/24 permettant d’alerter rapidement les forces de police en cas de besoin. Une sorte de « défense territoriale NG (non gouvernementale) » adaptée au Nouveau Moyen Age. 

Un délire survivaliste ? 

Certains le penseront et s’y opposeront sans doute pour cette raison et pour toutes celles conduisant aujourd’hui une partie de l’opinion publique à prendre systématiquement le parti des criminels, comme le montre les réactions et les manifestations suite à l’intervention policière contre les bandes de la banlieue lyonnaise. C’est probablement là le point le plus problématique : organiser la protection d’une ville ou d’un village contre des bandes de pilleurs ne pose pas de difficulté insurmontable, en convaincre tous les habitants du bien fondé représente, dans le climat actuel, un véritable défi et la source potentielle d’un échec.

Les bourgeois de Magdebourg étaient depuis longtemps en opposition et en désaccord profond avec le Conseil de la ville, cette dissension interne a probablement joué un rôle important dans l’affaiblissement de la volonté de résistance de la cité !

Dans l’histoire, la question de la nécessité de résister apparaît régulièrement, en particulier lors de sièges : « Ne vaut-il pas mieux s’accommoder d’une occupation plutôt que d’encourir le risque de graves destructions matérielles ? » Il faut cependant se souvenir que le genre de menaces évoquées ici est sans merci lorsqu’on ne s’y oppose pas fermement, tandis qu’une résistance résolue (même peu nombreuse et mal équipée) suffit habituellement à dissuader l’agresseur, le but de ce dernier étant de s’enrichir facilement et non de conduire une bataille rangée qui pourrait s’avérer coûteuse.

A titre d’exemple, un château défendu, en tout et pour tout, par trois chevaliers suffit à bloquer la chevauchée du Prince Noir. De même, si les Gugler s’avèrent capables de rançonner les habitations isolées, ils se montrent incapables d’enlever les petits bourgs défendus ; ceci conduisant d’ailleurs au final à la déroute de l’expédition. 

« Ce type de guerre ne répond plus aux principes de la stratégie moderne : la cible des opérations devient la population. »

En effet, il ne s’agit pas d’anéantir l’armée adverse, ni de démanteler son système de commandement et de contrôle, ni comme on l’a dit précédemment de conquérir ou d’annexer des territoires. Ce type de guerre ne poursuit plus d’objectif politique ; il développe en revanche sa propre économie basée sur la dévastation et la prédation sauvage des groupes en lutte (pillages, rançons, brigandages). C’est la population qui devient la cible des opérations et, par conséquent, c’est la substance de celle-ci qu’il faut protéger en priorité. Comment ? 

A ce sujet, une étude des conflits prémodernes (de la fin du Moyen Age à la Guerre de Trente Ans) laisse ressortir deux préoccupations fondamentales : la « protection » et le « harcèlement ».

Par protection, on entend tout lieu fortifié propre à le défense, de l’enceinte d’un cimetière aux grottes et souterrains refuges.

Le harcèlement, quant à lui, s’effectue à partir de ces réduits et vise, dans la plupart des cas, les campements des routiers et leurs convois de ravitaillement, voire la dévastation du territoire adverse afin de faire cesser les incursions. Ce dernier procédé s’avère souvent très efficace et joue un rôle dissuasif important. 

De ces brefs enseignements, on peut déjà dégager les trois principes suivants :

1) organiser un double fond (au sens de la défense territoriale NG mentionnée plus haut, c’est-à-dire des « catacombes » étanches) ; 
2) harceler l’adversaire à partir de ces « catacombes » (fonctionnant comme des réduits et des sanctuaires de guérilla) ; 
3) ravager le territoire adverse en riposte aux incursions. 

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