C’est dans les vieux pots... Pourquoi la presse féminine peut faire les mêmes Unes d’année en année<!-- --> | Atlantico.fr
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Des unes qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau... Une erreur ? Peu probable.
Des unes qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau... Une erreur ? Peu probable.
©DR

Clônage marketing

Même actrice (Jennifer Aniston), même couleur (fond blanc), même dossier ("ma nuit avec un people"), même recettes (la salade de tomates), même sujets (régime), les unes du magazine Elle d'août dernier et celle de juillet 2011 se ressemblent étrangement. Erreur ou opération marketing volontaire ?

Vincent  Soulier

Vincent Soulier

Vincent  Soulier est Maître de conférence associé au CELSA-Paris Sorbonne et auteur de "Presse féminine, la puissance frivole" aux Éditions de l'Archipel. 

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La presse féminine est particulièrement friande des « marronniers », ces thèmes saisonniers de couverture.  Entre numéros « spécial régime » ou « spécial sexe », les sujets ne manquent certes pas. La médaille d’or en la matière vient d’être décernée au magazine Elle, par l’entremise du tweet perspicace de@GeoNormand, démontrant, photos à l’appui, la quasi similitude de la cover de l’hebdomadaire féminin, paru le 3 août 2012 - affichant en couverture Jennifer Aniston - avec celle du 29 juillet 2011, qui elle-même ressemblait fortement à celle du…6 août 2010.

Bien sûr, une volée de bois vert médiatique s’abattit aussitôt sur l’hebdomadaire fondé par Hélène GORDON-LAZAREFF en 1945. Pourtant  cette pratique marketing est loin d’être l’apanage des magazines féminins, il suffit de citer quelques Unes récurrentes des Newsmagazines ou de  la presse économique pour s’en convaincre : « spécial immobilier », « spécial Francs-maçons », « le salaire des cadres »,…

La justification économique est imparable. Ces couvertures, souvent jugées superficielles, se doivent d’être particulièrement accrocheuses. En effet, plus de 80% des ventes de magazines féminins se font en kiosque, chez les marchands de journaux, et non par abonnement. Il est donc impératif, à chaque parution, d’attirer le regard pour convaincre, accrocher et vendre, ce qui n’est pas le cas pour d’autres familles de presse, qui bénéficient d’un confortable matelas d’abonnés.

Les nombreuses études, baromètres et autres panels de lectrices qui mesurent les scores d’impact des magazines féminins après chaque parution, peuvent également expliquer pourquoi ces couvertures peuvent apparaître comme redondantes.  Les femmes achètent des magazines féminins pour se retrouver entre elles, en communauté de genre, dans un climat propice à la transmission des secrets et plaisirs « exclusivement féminins », comme le chante Véronique SANSON. C’est le concept que j’appelle de « Gynécée choisi », le pendant du « club anglais » pour les hommes. Les récurrences thématiques et iconographiques se justifient alors par les signaux qu’elles expriment, d’appartenance à ce club fermé, protecteur, rassurant car pérenne.

Aussi, toutes les tentatives de transgressions se sont soldées par des échecs. La première couverture illustrée d’un mannequin de couleur fut ainsi un échec commercial. De la même façon lorsque certains magazines féminins furent tentés de mettre des hommes en couverture la réaction des lectrices fut impitoyable ! Toutes ces tentatives d’innovation en matière de covers furent jugées iconoclastes, voire sacrilèges, aux yeux d’une large majorité de  lectrices.

Evidemment, les évolutions existent, que ce soit pour Elle, Marie Claire, Vogue ou Grazia. Toutefois, elles ne se font que très progressivement. Les changements doivent être distillés à dose homéopathique et non pas  avec des « nouvelles formules », comme le fait la presse économique ou d’information. Pas question de marquer de grandes ruptures au risque sinon de se faire durement rappeler à l’ordre par une baisse significative des ventes au numéro.

Ce conservatisme apparent peut sembler caricatural aux yeux des non initiés, comme cette couverture estivale du magazine Elle qui en est l’illustration flagrante. La blogosphère se gausse : et suggère un « manque d’inspiration » de la part de Elle. Il est vrai que le magazine est sous le feu des internautes, et sa couverture n’est pas la première occasion dont ils se saisissent pour stigmatiser le magazine français le plus diffusé dans le monde. Mais cette tendance émane d’un courant pour lequel la presse féminine est, par nature, détestable.  La presse féminine est la famille historiquement la plus attaquée du paysage médiatique.  Pour les uns c’est une alliée idéologique objective des classes bourgeoises dominantes et de la société de consommation ; pour les autres c’est l’éloge permanent du vide, de l’insignifiance intellectuelle, au risque d’oublier que derrière des couvertures pouvant sembler standardisées et des accroches parfois racoleuses, se cache une force d’influence insoupçonnée. Bien au-delà de son rôle prescripteur capital, en matière de mode et de cosmétique, qui sait que le média français le plus influent en littérature est justement le magazine Elle et le plus engagé historiquement en faveur de l’abolition de la prostitution le mensuel Marie Claire?

Engagée lorsqu’il s’agit de défendre la condition des femmes , dégagée lorsqu’il s’agit de jouir de la vie, la presse féminine séduit autant qu’elle exaspère, comme une quintessence de l’esprit français. 

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