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La la la lala : 
Comment les tubes musicaux 
s’incrustent dans nos têtes
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Musique de zouaves !

Les tubes d'aujourd'hui sont-ils pires (meilleurs ?) que ceux d'hier ? La rencontre des générations se fait au travers d'une musique qui est aussi l'héritière des tendances de nos aïeux. Petite critique du livre d'Emmanuel Poncet "L'éloge des tubes".

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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"Le chant populaire n'est pas de l'art, ou ne l'est que par un coup de fortune sur dix mille", disait André Suarès (Musiciens). Ce que, par exemple, le R'n'B langoureux d'aujourd'hui et ses mélismes pentatoniques faciles laissent entendre largement, avatars des mélopées dites « primitives » qui sont en réalité de tous temps et de tous lieux.

Et puis le bon goût trouve toujours la musique populaire du jour moins bonne que celle d'autrefois. Les mânes des vieux bardes du rock et du folk écrasent les prétentions des « tubes » de Lady Gaga ou Justin Bieber.

Mais la suspicion n'est pas qu’esthétique : elle est morale. De l'Eglise à la critique de la consommation de masse, on se méfie de la musique qui endort ou excite les sens, et rarement le bon : le sens du devoir. La Genèse (4:21, 22) opposait déjà Yubal, l'« ancêtre de tous ceux qui jouent de la lyre et du chalumeau », à son frère Tubal-Caïn, « ancêtre de tous les forgerons » (qui ne perdait pas son temps à jouer du chalumeau, lui).

Ainsi le tube est-il « l’épouvantail » d'une « gauche culturelle » qui craint une musique « commerciale » (mais quand ne l'est-elle pas ?), qui rapproche, pour le pire, Yubal et Tubal, l'art et l'industrie : libérant les instincts mais pas les hommes ; aidant à vivre, sans changer la vie.

Plutôt que « s’énerver contre », mieux vaut « décrypter tranquillement », propose Emmanuel Poncet dont l’ouvrage essaie de « rendre compte honnêtement du monde sonore » qui est le nôtre.

De nos jours, nous ne sommes plus seulement hantés par les souvenirs de chansons entendues. Ainsi, Kerouac (Sur La Route) décrivait son héros Sal Paradise la tête si pleine de la chanson Lover Man, de Billie Holiday, qu’il était capable de se jouer intérieurement un véritable « concert ».

Avec nos écouteurs, nos ordinateurs, nous voilà devenus « des juke-box humains », plongés dans la musique en permanence. On n’écoute plus un chant, ni une chanson…mais du son.

Du coup,explique Poncet, les « vieilles catégories critiques, esthétiques ou morales » ne fonctionnent plus pour comprendre ce qu’est le tube. Bizarrement on s’accroche à nos hiérarchies (commercial ou authentique, facile ou exigeant etc.) comme une chasse d’eau hors d’usage qu’on continue à actionner, comme un interrupteur qu’on continue d’enclencher par une frileuse superstition alors que l’ampoule est grillée depuis une semaine.

Pourquoi sommes-nous, à ce point, envahis par les tubes, de l’omniprésent I Got a Feeling aux pulsations du générique de l’émission Faites entrer l’accusé ? Poncet passe en revue les explications scientistes diverses. Ainsi, l’hypothèse de l’influence de l’univers sonore intra-utérin, que l’auteur résume joliment comme « une affaire de haute fidélité à nos (mères) enceintes ».

Mais qu’est-ce qui, plus profondément, nous « accroche » dans la mélodie, quel est ce « hook » imparable dont Poncet trouve une jolie traduction et dont on ne peut se déprendre ? Pourquoi, lorsqu’il entend la mélodie entêtante de Porque te vas pour la première fois, confie-il, « c’est comme si je l’avais toujours déjà connue » ?

On touche là sans doute ce que C. G. Jung appelait l’« inconscient collectif » - l’expression est utilisée par E. Poncet. « Partie chtonienne de l’âme », disait le philosophe et analyste suisse, qui relie l’homme à la souche de l’espèce, à la cellule primitive et à la terre ; « ce qui est touché en nous, ce sont ces arrière-plans lointains » (Problèmes de l’âme moderne).

Du coup, tout comme l’enfant rejoue en miniature le trajet et les découvertes de l’homme préhistorique (selon un principe nommé phylogénèse), de même notre époque finissante et renaissante se met à ressembler à des époques sauvages antérieures. Il y a quelque chose qui fait « retour » dans ces « ritournelles » ; quelque chose de transgressif et en même temps de régressif.

Eloge des tubes est un livre qui oscille entre deux humeurs. D’un côté, Emmanuel Poncet « décrypte tranquillement » ; de l’autre il « sautille, exulte, hurle » intérieurement, lui-même tout à fait contaminé par son sujet. Le spectacle du « pouvoir de captation physique et social » des tubes - de l’individu au groupe, d’un groupe à un autre groupe, sur le principe contagieux de la « flashmob » - lui donne « les larmes aux yeux ».

Il se (nous) dit « infecté », « sous emprise » ; « il « succombe » au pouvoir « vicieux, excitant » de ces « irrésistibles » « virus sonores », de cette musique qui le « poursuit », le « fascine jusqu’à l’obsession ». On comprend que l’écriture du livre est elle-même une tentative d’amadouer le mal, de « l’exorciser et l’apprivoiser, comme on le ferait avec une pathologie bénigne. »

Que faire d'autre ?

Robert Burton, à la Renaissance, rappelait à ses lecteurs que « Platon interdit la musique et le vin aux jeunes gens », et citait un adage d'Erasme : « ne ignis addatur igni » : de peur qu'un feu n'en embrase un autre (Anatomie de la Mélancolie). Contre la « mélancolie » mortifère, toutefois, il prescrivait comme remède...la musique.

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