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Quand le FN est au pouvoir... 
quel bilan ?
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Bilan frontiste

Si le Front national peine à obtenir des élus à l'échelle nationale, il dispose cependant de représentants locaux. Ces hommes et ces femmes offrent un exemple de ce que pourrait proposer le parti de Marine Le Pen s'il accédait au pouvoir.

Dominique Sistach

Dominique Sistach

Dominique Sistach est maître de conférences à l'Université de Perpignan Via Domitia, chercheur au CDED/CERTAP (EA n° 4216 UPVD)/MIGRINTER (UMR 6588 CNRS Poitiers).

Il a dirigé l'ouvrage Discrimination et Modernité (PUP / 2007) et participé à l'ouvrage Le Front national au regard du droit  (Editions du Septentrion, 2001).

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Atlantico : Le premier tour des législatives a posé le Front National comme le troisième parti de France. Marine Le Pen affiche sa volonté de ne pas rester dans l'opposition et de gouverner un jour le pays. Mais comment se sont déroulées les quelques expériences qui ont permis au FN d'accéder à un pouvoir local ?

Dominique Sistach : Sans refaire l'historique complet de l'arrivée au pouvoir du parti frontiste depuis 1983, on peut résumer son parcours en deux années majeures : 1995 et 1997. Celles-ci ont vu les élections successives de dirigeants frontistes dans les villes d'Orange, Marignane, Toulon et Vitrolles.

Il faut distinguer deux types de gestion : Orange et Marignane ont connu une gestion conservatrice de droite classique avec Jacques Bompard et Daniel Simonpieri. Tandis qu'à Vitrolles (époux Mégret) et à Toulon (Jean-Marie le Chevalier), la gestion a été plus idéologique et engagée. Vitrolles a ainsi été débaptisée pour devenir Vitrolles-en-Provence et des rues ont changé de nom (la rue principale porta le nom de Jean-Pierre Stirbois, l'ancien conseiller municipal et élu frontiste). Les Mégret ont également pris des décisions relatives à l'idéologie du Front national, comme la mesure de prime d'aide sociale pour les enfants nés de parents européens. On reconnaît là la marque de fabrique du parti : la préférence nationale. Soulignons que le Tribunal administratif de Marseille avait annulé ces mesures, jugées illégales car elles rompaient le principe d'égalité.

Puisque la préférence nationale fait partie du programme frontiste, n'est-il pas logique qu'ils l'appliquent une fois arrivés au pouvoir ?

Cela à sans doute quelque chose de logique, mais Orange, Marignane ou Toulon ne sont jamais allés jusque là. Si ces quatre villes avaient mené de pareilles politiques, on pourrait croire à une forme de cohérence, à un discours centralisé autour des ordres du Front national, mais cela n'a pas été le cas. La ville d'Orange avait par exemple une gestion publique de la ville plutôt mesurée. Il est donc notable qu'il y eut une diversité de comportements au sein des gestions locales des différentes municipalités gérées par le FN.

On retrouve toutefois des grands classiques communs au sein de toutes les collectivités dirigées par le FN. Par exemple, une politique sécuritaire, des policiers municipaux plus importants que la moyenne ou un certain folklorisme dans la politique de la culture (c'est-à-dire qu'ils ont mis en avant le patrimoine régional et non français de ces communes).     

Il y a aussi le versant noir de ces politiques de gestion. Ce que Daniel Simonpieri appelait "la guerre aux subventions mal employées", c'est à dire le changement d'orientation de leurs politiques de dotation, notamment vis à vis des associations. Enfin, à Vitrolles, une politique des ressources humaines arbitraire fut sanctionnée par de nombreuses poursuites (les limogeages d'agents administratifs furent condamnées devant le Tribunal administratif de Marseille)

Et les électeurs ? Ont-ils sanctionné ou réélu les dirigeants frontistes ? 

L'épisode frontiste des années 1995-1997 a été relativement court, et c'est finalement mal passé. Beaucoup des dirigeants du FN seront battus, voire démissionnaires pour des raisons judiciaires, comme les époux Mégret à Vitrolles. Ils connurent également des difficultés avec leur propre parti et l'ont ainsi quitté pour d'autres formations politiques. 

Cette gestion locale, d'un point de vue purement politique, s'est donc passée non seulement mal dans les urnes, mais aussi face aux juges et au parti. Globalement, on peut donc dire que le Front national a fait preuve d'indigence dans sa gestion politique.

Ainsi les gestions communales ont été très mal perçues par l'électorat, qui l'a fait payé à ceux qui ont pu se représenter. Le seul qui s'en sort, c'est Jacques Bompard, en sachant que c'est celui qui a pratiqué la gestion communale la plus ordinaire. C'est également celui qui fait le plus "figure", sur le plan de la représentation politique et sociologique, de notable local. Il disposait d'une réelle stature.

Comment expliquer le fait que tous ces élus frontistes aient connu des soucis avec leur propre parti ?  

Le Front national connaît un vrai succès dans les années 1990. Celui-ci est incarné par sa figure de proue, Jean-Marie Le Pen qui a très mal vécu les succès des uns et des autres. Par exemple, il en a tellement voulu à Yann Piat, seule parlementaire du FN réélue en 1988 que leur relation restera à couteaux tirés jusqu'à son exclusion du parti en octobre 1988. Jean-Marie Le Pen a tellement personnalisé le parti qu'il a vécu comme un danger toute autre réussite que la sienne.


Qu'en est-il de la pratique du pouvoir des conseillers régionaux et généraux issus du FN ?

Depuis l'élection de 1985, il y a eu assez peu de candidats élus dans les conseils généraux. Il est donc très difficile de disposer de réels retours fiables sur leurs actions. 

Par contre, dans les Conseils régionaux, c'est possible, et les retours sont très différents de ceux des gestions municipales. Globalement, les élus frontistes sont présents sur trois grandes régions : PACA, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon. Leurs interventions, propositions et refus de voter avec les autres partis témoignent des mêmes motifs politiques que précités : la préférence nationale, tout ce qui est en faveur des ressortissant étrangers communautaires et non communautaires. En Rhône-Alpes par exemple, les élus frontistes ont été les seuls à ne pas voter des aides aux étudiants de la région lyonnaise, lorsque ces derniers arrivaient de l'Europe de l'Est. Le motif ? Pour citer des propos tenus à Lyon par un conseiller régional membre du FN : parce que ces étudiants provenaient "de pays de l'ex bloc soviétique"...

On trouve aussi certaines singularités, avec notamment des mesures contre la jeunesse (refus de voter des aides à la mobilité professionnelle des jeunes par exemple), moitié conservatrices - moitié libérales, où l'on retrouve l'esprit du Front national des années 1980. Figure ainsi dans les procès verbaux en 2011 du Conseil régional Rhônes-Alpes le refus de voter des aides à la mobilité professionnelle des jeunes car il est "inutile de financer ces fanfarons en quête de jouissance et d'oisiveté". Le signataire de cette tirade est de triste mémoire : Alexandre Gabriac, celui-là même qui sera exclu du FN quelques mois après pour avoir fait des saluts nazis sur Facebook.

De la même manière, vous trouverez des déclarations à l'encontre des femmes, le rejet de toutes les associations de lutte contre les discriminations, des contestations de mesures d'aide à la santé pour les plus démunis ou encore le refus des transports publics : les conseillers régionaux frontistes semblent considérer que prendre le bus ou le vélo, c'est renoncer à notre civilisation, et qu'il vaut mieux défendre la voiture. Pour eux, la crise environnementale, les questions liées au pétrole, sont des fantaisies défendues par le gouvernement.Ils relient tout cela à une question civilisationnelle. Un exemple au Conseil régional de Rhônes-Alpes : les pistes cyclables sont qualifiés de "politiques anti voitures contre la France".

On retrouve donc mélangées de manière contradictoire, des convictions libérales au sens économique et social, des conceptions familiales traditionalistes (les femmes ne doivent pas travailler, les jeunes doivent se soumettre à l'autorité des parents ...) et dans le même temps des idées réactionnaires en abordant la question de civilisation à tout bout de champs. C'est un brassage de toutes les idéologies que le FN défend depuis 25 ans.

Ces élus locaux gênent-ils le bon déroulement des conseils locaux ?

Globalement, ils restent peu nombreux. Une centaine sur l'ensemble des conseillers régionaux, ce qui les empêche, faute de groupements massifs dans certaines régions, d'influencer largement la politique locale. La présence frontiste dans les conseils régionaux et généraux tient donc soit de l'anonymat parce qu'ils se retrouvent à deux, soit l'affront politique en soutenant des propositions curieuses. Mais on ne peut pas dire qu'ils gênent véritablement le déroulement des conseils locaux.

Qu'en est-il de la période où le Front national a bénéficié de 35 députés, au milieu des années 1980 : quelle a été leur attitude ?

En 1986, le Front national a pu constituer un groupe parlementaire sous l'intitulé "Rassemblement national". On y trouvait tous les représentants du parti et donc, une très grande diversité. A cette époque, le parti n'est pas encore un regroupement de toutes les droites et extrêmes droites. Vous trouvez donc des anciens de l'OAS comme Pierre Sergent ou des traditionalistes catholiques comme Bernard Antony. Cela n'avait donc pas grand chose à voir avec le FN d'aujourd'hui. Leurs comportements dans l'hémicycle ont été divers, selon leurs propres orientations. A l'époque, Jean-Marie Le Pen se revendiquait plus des thèses de Ronald Reagan que des postures plus sociales-nationalistes de sa fille. Pas d'incidents donc, mais plutôt un parti explosé avec des idées aussi variées que le nombre de députés élus.

Et dans le cadre du Parlement européen, les élus frontistes se sont-ils faits remarquer ?

Seul Jean-Marie Le Pen s'est fait remarqué. Il a multiplié les sorties qui continuent d’embarrasser régulièrement sa fille. Il a monopolisé l'attention. Presque à chaque session. Si nos partenaires européens présentent de manière récurrente le Front national comme un parti néo-fasciste c'est sans doute parce que Jean-Marie Le Pen en a donné une image désastreuse au sein de l'hémicycle européen.

Finalement, si Marine Le Pen parvenait au pouvoir, à quoi pourrait-on s'attendre ?

Je crois que le parti en est à sa troisième ou sa quatrième histoire. Après avoir fédérer les extrêmes-droites, après être devenu un parti oscillant entre extrême droite et droite, puis après avoir centré le pouvoir autour de Marine Le Pen, le FN est en train de devenir un parti qui se veut de droite nationale. Beaucoup plus proche de la Droite populaire que du Front national des années 1980, en réalité.

En suivant cette évolution, on pourrait s'attendre globalement à quelque chose de nouveau. C'est là que la parole des conseillers régionaux que nous avons évoqué est instructive : derrière Marine Le Pen, Louis Alliot et les jeunes qui font monter la communication du parti, il reste malgré tout en toile de fond le vieux parti dans toute la diversité de sa composition sociale. La devanture est rénovée mais l'arrière garde reste composé de nostalgiques d'une extrême droite plus marquée.

Le FN manque d'hommes et de femmes qui seraient dans la nouvelle ligne défendue par Marine Le Pen. Il compose donc avec des anciens dont ils ne peuvent pour l'instant pas se passer. A mon sens, c'est un parti en pleine construction.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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