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"Le parachutage est non seulement légal, mais parfaitement légitime"
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Pratiques démocratiques !

En pleines élections législatives, convient-il de rappeler que le député est l’élu de la nation défendant l’intérêt général. S'élever contre le parachutage est un non sens, d'autant plus que ce dernier peut directement profiter à la circonscription représentée.

Michel Hastings

Michel Hastings

Michel Hastings est professeur à l’Institut d’Etudes politiques de Lille. Il a notamment écrit Le parachutage politique (en collectif, 2003), et Le vote obligatoire (en collectif, 2011).

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Atlantico : Dans le cadre des élections législatives, le parachutage politique a été particulièrement décrié. Pourquoi les partis politiques s'en remettent-ils à cette pratique ?

Michel Hastings : Les critiques ont toujours accompagné la pratique du parachutage. Mais elles redoublent souvent lorsque les médias s’emparent de cas emblématiques, concernant des personnalités politiques d’envergure nationale, dont les candidatures sont alors assimilées, par leurs adversaires, à de vulgaires stratégies de "recasement" à la suite d’une alternance politique.

Toutefois, derrière ce terme imagé de parachutage, existe une pluralité de situations concrètes. Le parachuté peut être un ministre, dont la carrière politique n’avait pas jusqu’alors eu besoin de recourir à l’onction électorale, et qui entend désormais transformer sa notoriété nationale en ressource pour une implantation locale (Rama Yade à Colombes).

Le parachutage peut également être le moyen de récompenser la fidélité et le travail d’une personnalité (Henri Guaino dans les Yvelines). Il peut aussi s’inscrire dans une stratégie à moyen terme consistant à changer de circonscription pour en conquérir une autre, dont le poids politique et symbolique peut constituer un tremplin pour un futur destin national (François Fillon à Paris).

Enfin, le parachutage peut signifier un défi politique dès lors que la circonscription à conquérir est porteuse d’enjeux politico-médiatiques (la XI° circonscription du Pas-de-Calais où s’affrontent deux parachutés, Marine Le Pen et Mélenchon). En fait, chaque parachutage est un scénario singulier.

Les élections législatives sont nationales, tout comme les enjeux discutés à l'Assemblée nationale. N'est-il pas alors normal de ne pas s'en remettre systématiquement au champion local, et de parachuter une personne a priori plus compétente sur ces sujets nationaux ?

Michel Hastings : Constitutionnellement, le député est l’élu de la nation et son rôle de « faiseur de lois » consacre l’idée d’une représentation nationale défendant l’intérêt général. Dès lors, le parachutage est non seulement légal, mais aussi parfaitement légitime au regard de la doctrine démocratique et républicaine.

En pratique les choses sont plus complexes. La compétition électorale se fait, notamment en France avec le mode de scrutin uninominal, dans le cadre territorialisé des circonscriptions. Le lien politique entre l’électeur et son représentant transite donc par un terroir précis, c’est-à-dire un espace de proximité et d’identité, porteur d’une histoire longue, de traditions politiques et culturelles dont les populations attendent plus ou moins confusément que leur représentant en soit une sorte d’émanation.


Dans quelle mesure un candidat "d'envergure nationale", avec un
réseau "parisien", peut faire joueur ses réseaux pour "défendre" au mieux sa circonscription ?

Michel Hastings : Un candidat d’envergure nationale apporte d’abord avec lui une notoriété, voire une popularité qui bénéficiera en cas de succès électoral à l’image et à la renommée de la ville ou de la région (Alain Juppé à Bordeaux, Martine Aubry à Lille).

Il apporte surtout avec lui des ressources institutionnelles et politiques susceptibles de favoriser sa circonscription au niveau des politiques publiques : aider à l’implantation d’un site industriel, d’une grande école, peser lors d’un arbitrage financier qui verra une ligne de TGV desservir sa commune. Sa connaissance des réseaux administratifs, économiques nationaux sera utilisée pour débloquer et accélérer des dossiers complexes. Les exemples ne manquent pas d’élus parachutés qui ont ainsi contribué au développement de leur « point de chute », mais ces succès ne reposent pas que sur l’activation de réseaux nationaux. Tout parachuté doit rapidement composer avec les puissants élus locaux, présidents de région ou de département.



Le parachutage n'est-il pas aussi un moyen d’empêcher l'émergence des "barons locaux" ?

Michel Hastings : Il est évident qu’une implantation durable dans une circonscription (parfois plus de trente ans), à laquelle s’ajoute souvent un cumul de mandats, favorise des phénomènes de corruption, de délits d’initiés, de népotisme.

Il existe en France une situation de « féodalisme électoral », où quelques grands seigneurs locaux finissent par considérer leur région, leur circonscription, comme de véritables fiefs. Il n’est pas rare, comme le montrent certaines affaires judiciaires que des formes de clientélisme s’installent, que des illégalismes prolifèrent, notamment concernant l’attribution des marchés publics. La démocratie aurait certainement tout à gagner à limiter le nombre de mandats successifs !

Nos voisins intra et extra Europe pratiquent-ils de la même façon le parachutage politique ?

Michel Hastings :Le parachutage existe ailleurs qu’en France, par exemple au Canada, aux Etats-Unis, en Belgique, au Royaume-Uni, en Russie. Tous les pays le connaissent.

Il serait très difficile d’imaginer une loi réservant les circonscriptions qu’aux seules candidatures du cru ! Ce qui fait l’originalité de la France, c’est probablement la permanence d’une culture politique marquée par la figure du notable dont l’autorité sociale était fortement tributaire de son implantation locale. Les Français ont historiquement appris à voter au XIX° siècle à travers ce mode personnalisé et territorialisé de représentation. Peut-être en reste-il une nostalgie inavouée !

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

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