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Là où nous n’avons qu’un moteur de recherche, nous en aurions plusieurs, sans doute plus médiocres
Là où nous n’avons qu’un moteur de recherche, nous en aurions plusieurs, sans doute plus médiocres
©Reuters

Cauchemar 2.0

En quinze ans, le géant américain créé par Larry Page et Sergueï Brin est devenu incontournable. Ou presque.

Bernard Girard

Bernard Girard

Bernard Girard est  Docteur en philosophie, consultant en management, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, dont un sur Google traduit en douze langues. Bernard Girard tient une chronique économique hebdomadaire sur une radio parisienne (AlgreFM 93.1).

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« Le nez de Cléopâtre, s’il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé »
Pascal, Pensées, 162

Il aurait suffi, au fond, de peu de choses, pour que nous vivions sans Google : que ses fondateurs, Larry Page et Sergueï Brin ne rencontrent pas un financier qui leur avance, avant même qu’ils aient créé leur entreprise, de quoi acheter de la puissance informatique, que l’Université leur interdise de remplir leurs chambres d’ordinateurs et de disques durs, qu’ils n’aient pas su convaincre un venture capitalist de les accompagner pendant des années alors même qu’ils n’avaient aucun modèle économique viable. Il est donc tentant de se demander, à l’image de ces auteurs d’uchronies[1] qui tentent de décrire un monde après la victoire des forces de l’Axe, comme Philip K.Dick dans le Maître du haut château, ce à quoi ressemblerait notre monde sans Google, sans cette société qui a su, en quelques années, s’imposer au point d’être accusée de monopole sur tous les marchés de la recherche et de la publicité en ligne.

Là où nous n’avons qu’un moteur de recherche, nous en aurions plusieurs, sans doute plus médiocres, ce qui nous forcerait à confronter, comparer leurs résultats comme nous faisions avant Google lorsque nous allions de Yahoo à Hotbot, d’Excite à Inktomi. Nous dépenserions beaucoup d’énergie à discuter des mérites (et, surtout, faiblesses) respectifs des uns et des autres. Des technologies alternatives se seraient développées. On parlerait sans doute beaucoup plus de recherche sémantique et d’algorithmes exotiques. Les internautes les plus engagés seraient sans doute beaucoup éclairés sur les méthodes de recherche mais ce serait au prix d’interrogations beaucoup plus longues et fastidieuses. Quant aux pouvoirs publics européens et asiatiques, inquiets de la domination de sociétés américaines, ils auraient financé avec plus de constance et de confiance des moteurs nationaux.

Le marché de la publicité serait également tout différent. Là où un acteur attire l’essentiel des recettes publicitaires, nous verrions se concurrencer plusieurs entreprises avec des modèles économiques différents, certaines continuant d’inonder leurs écrans de pop-ups, d’autres vendant, comme cela se faisait encore il y a une dizaine d’années, leurs liens, d’autres encore testant des solutions voisines de celles que Google utilise aujourd’hui. La concurrence serait vive mais le marché plus étroit qu’aujourd’hui. D’autant plus étroit que malgré une concurrence accrue les coûts de la réclame sur le web seraient bien plus élevés.

Les sociétés spécialistes du GPS seraient en bien meilleure santé, libérées de la concurrence de Googlemaps, Facebook serait là, sans doute plus puissant qu’il n’est aujourd’hui. Faute de revenus suffisants, Youtube aurait du se vendre à Microsoft, à Hewlett-Packard ou à un grande société de médias, toutes sociétés qui auraient sans doute bridé son développement. Même chose pour tous ces produits ou services (docs, traductions…) que Google met aujourd’hui à notre disposition alors même que leur modèle économique n’a pas encore été trouvé.

Apple aurait poursuivi son chemin et obtenu des succès voisins de ceux qu’elle connaît aujourd’hui. Steve Jobs aurait certainement tenté de développer son propre moteur de recherche avec un mécanisme de paiement à l’acte qui aurait augmenté encore ses bénéfices. Et comme il avait du talent, on ne peut exclure qu’il ait mis au point un algorithme de recherche plus performant que tous les autres, aussi performant que celui qu’utilise aujourd’hui Google. Mais… il nous aurait fallu payer.  

Un monde sans Google aurait sans doute fini par trouver des solutions techniques comparables à celles dont nous disposons aujourd’hui, mais avec des modèles économiques très différents qui n’auraient pas aussi radicalement baissé le coût de la connaissance.

Si nous devons quelque chose à Google, c’est bien d’avoir su imposer la gratuité et la libre circulation de l’information. Cela fait des victimes, qui crient haut et fort, sociétés de production, éditeurs, vedettes des marchés de la culture qui pleurent leurs droits d’auteurs, mais qui oserait dire que nous n’en tirons pas tous d’immenses bénéfices ?



[1] Inventée par Charles Renouvier (Uchronie : l'utopie dans l'histoire - Histoire de la civilisation européenne telle qu'elle n'a pas été, telle qu'elle aurait pu être, 1876), l’uchronie consiste à explorer, selon la technique du « et si… » des mondes possibles. Elle est largement utilisée par les auteurs de science-fiction mais aussi par quelques historiens, comme Eric Henriet.

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