Cérémonie d'action de grâce à Londres : Ces pays qui vivent (très bien) sans connaître la laïcité française<!-- --> | Atlantico.fr
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Le jubilé de la Reine Elizabeth II s’achève ce mardi par une cérémonie d'action de grâce à la cathédrale Saint Paul de Londres.
Le jubilé de la Reine Elizabeth II s’achève ce mardi par une cérémonie d'action de grâce à la cathédrale Saint Paul de Londres.
©Reuters

Une question de foi

Le jubilé de la reine Elizabeth II s'achève ce mardi par une cérémonie d'action de grâce à la cathédrale Saint Paul de Londres. Un évènement qui ne semble choquer personne outre-Manche. Mais en France, laïcité oblige, un tel cérémonial paraît impossible.

Thierry Rambaud

Thierry Rambaud

"Thierry Rambaud est professeur de droit public à l'Université Paris Descartes et à Sciences Po (Paris). Ancien membre de la Commission de réflexion juridique sur les rapports entre les pouvoirs publics et les cultes (Ministère de l'Intérieur), il est également expert auprès du Conseil de l'Europe. 

Il a rédigé une étude à paraître en novembre-décembre 2017 sur la notion de politique publique de gestion du religieux. Il a également engagé un programme de recherche sur les liens entre droit public, theologie et droit canonique dans la littérature juridique allemande au XXème siècle dont la première étape va paraître aux États-Unis (en lien avec l'université Notre-Dame)."

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Atlantico : Le jubilé de la Reine Elizabeth II s’achève ce mardi par une cérémonie d'action de grâce à la cathédrale Saint Paul de Londres. Un tel cérémonial serait inimaginable en France du fait de la laïcité qui reste associée à notre République. Comment expliquer que cet événement choquerait en France alors qu’il passe pour naturel en Angleterre ?

Thierry Rambaud : Lorsqu’on regarde l’ensemble des régimes juridiques des cultes en Europe on constate qu’il existe trois grands modèles :

  • Le modèle des églises d’Etat que l’on trouve notamment en Angleterre ou au Danemark.
  • Le modèle de séparation avec un régime de coopération comme l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie ou l’Espagne.
  • Le modèle de séparations plus stricte avec un recours à une logique de droit privé comme cela est le cas en France, Irlande ou au Portugal.

Incontestablement, sur le plan des règles juridiques du droit public, on a une différence entre les modèles français et anglais. Il faut toutefois compléter cette analyse juridique par une analyse plus sociologique qui est celle de la prise en considération de l’influence sociale et publique de la religion dans une société donnée. Par exemple, aux Etats-Unis, il existe une séparation stricte entre l’Eglise et l’Etat, et pourtant le Président de la République américain prête serment sur la Bible lors de son entrée en fonction et ils ont leur célèbre devise « In God we trust » (« en Dieu, nous croyons »).

Un facteur sociologique entre donc en compte. Ainsi, au-delà des règles juridiques différentes entre l’Angleterre et la France, il existe dans la société l’idée selon laquelle la séparation entre le fait public et le fait religieux doit être particulièrement marquée. C’est notamment lié à l’histoire de la France (citons notamment le fait que la monarchie française, monarchie de droit divin, ait été remise en cause lors de la Révolution), à la crainte d’une émergence de radicalismes religieux (qui implique qu’on souhaite consolider l’aspect séculier de l’espace public et social) et au fait que la République française se soit bâtie sur la morale laïque.

En Angleterre, l’Etat s’identifie à une religion particulière. La Reine est la chef de l’église anglicane et, à ce titre, a - sur proposition du Premier ministre - la possibilité de procéder à la nomination d’archevêques et d’évêques. Ce pouvoir est bien entendu nominal : en pratique, la Reine, malgré son titre, ne se permettra pas d’écarter un archevêque pour privilégier un autre. Il s’agit d’une fonction honorifique, la réalité du pouvoir appartient aux autorités ecclésiastiques.

Les pays nordiques suivent ce modèle d’Eglises d’Etat. Je pense notamment au Danemark, mais aussi à la Norvège. C’était aussi le cas en Suède jusqu‘aux années 2000, avant que ne soit votée une loi sur la séparation des églises et de l’Etat. Il ne faut pas croire que cette séparation touche seulement l’Eglise protestante : en Grèce, par exemple, il existe une alliance entre le pouvoir civil et l’Eglise orthodoxe qui est privilégiée par rapport aux autres cultes.

Dans le deuxième modèle, celui de l’Italie et de l’Allemagne, il existe une séparation : l’Etat ne reconnait pas précisément une religion particulière. L’Allemagne par exemple ne dit pas qu’elle reconnait les églises catholiques par rapport aux églises protestantes, mais il y a une égalité juridique de toutes les religions devant la loi. Les religions sont reconnues comme utiles pour la vie publique et sociale du pays et bénéficient ainsi d’un statut en conséquence. Voilà pourquoi on peut trouver dans ce pays des facultés publiques de théologie.

En France, la démarche est autre, on affirme respecter la liberté religieuse des individus dans la sphère privée, mais il ne faut pas de reconnaissance de l’expression et de l’utilité publique des religions.

Si l’on devait dresser un comparatif entre ces différents modèles, quels seraient leurs « avantages » et « inconvénients » ?

Il est nécessaire de prendre en considération les acquis de l’histoire, de la sociologie et de la science politique. Si on compare deux systèmes, il est essentiel de se demander comment notre point de vue est conditionné.

L’Angleterre a un passé différent de la France. Le pays n’a pas de constitution écrite, le Parlement est guidé par toutes les traditions, la continuité est essentielle d’un point de vue historique : c’est une nation qui n’a pas connu de rupture de type 1789. Cette continuité est donc un avantage : les Anglais s’y retrouvent. Mais on peut se demander si dans une société où cohabitent différentes religions, l’Eglise anglicane ne bénéficie-t-elle pas d’un avantage indu vis-à-vis des autres, en étant reconnue par l’Etat et en bénéficiant donc d’avantages financiers ou patrimoniaux

Vous voulez donc dire que, si la pratique laïque qui existe en France semble pour nous comme le meilleur des systèmes pour régir les rapports entre l’Etat, la religion et la politique, d’autres pays trouvent leur équilibre sans s’inscrire dans la laïcité ?

L’équilibre entre Etat, religions et politique est issu dans chaque pays d’une histoire particulière. Je pense que les Anglais arrivent à un bon compromis, les Allemands aussi. La France également, même si l’on trouve un peu plus de tension dans la société française dernièrement : on l’a vu notamment quand l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy s’est exprimé avec le discours du Latran sur la laïcité positive.

Je pense qu’il y a des solutions institutionnelles préférables à d’autres. Les Allemands ont ainsi un système extrêmement intéressant : ils sont neutres, ils ne font aucune discrimination religieuse, ils reconnaissent l’expression publique et sociale des religions.

Est-ce à dire qu’il existe une « obsession » française pour la laïcité alors que d’autres pays fonctionnent tout aussi bien sans elle ?

Sans doute, mais en fait, quand on parle de laïcité, il y a à la fois un aspect juridique et un aspect idéologique plus passionnel : d’un point de vue purement juridique, la France n’est pas si éloignée que ça des standards européens. La différence tient plus à la culture qu’au droit.

N’oublions pas que dans les collèges et lycées peuvent exister des systèmes d’aumônerie, le dimanche matin sur France 2 on peut suivre des émissions religieuses, le lundi de Pâques est férié, vous avez droit à une assistance spirituelle à l’armée, des fêtes religieuses sont reconnues par le calendrier républicain… Au final, juridiquement il est possible de réaliser un certain nombre d’aménagements qui viennent contrebalancer cette « obsession » française pour la laïcité.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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