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Comment en est-on arrivé à un tel fossé entre police et citoyens ?
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Délit de faciès

Le gouvernement prépare un texte qui obligera les forces de l’ordre à délivrer un récépissé à chaque personne dont l’identité est contrôlée. Les principaux syndicats de police dénoncent cette mesure, signe du désamour entre les forces de l'ordre et les citoyens.

Christian Mouhanna

Christian Mouhanna

Christian Mouhanna est sociologue, spécialiste des problématiques de sécurité, de police et de politiques pénales.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ces sujets dont La police contre les citoyens (Editions Champ Social / Mars 2011) et Police : des chiffres et des doutes (Michalon / Octobre 2007).

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Atlantico : Jean-Marc Ayrault a confirmé ce vendredi qu'afin d'éviter la multiplication des contrôles au faciès, les policiers devront désormais délivrer un récépissé à chaque personne dont l’identité est contrôlée. Pourquoi le gouvernement veut-il faire appliquer une telle mesure ?

Christian Mouhanna: Il y a clairement une population plus ciblée qu'une autre dans les quartiers. Cela concerne la plupart du temps des jeunes avec un habillement particulier. Ils habitent dans des quartiers soumis à des opérations de sécurisation, ils sont souvent contrôlés trois fois par jour. Ce projet de loi est très intéressant et nécessaire : il remet le public comme interlocuteur, le citoyen revient dans le débat avec la police.

Quelles sont les raisons du mal-être de la police devant ce projet ?

Il y a un vrai jeu qui s'est instauré entre la police et les jeunes. Et le terme jeu est vraiment à prendre dans un sens négatif. Cela traine depuis des années.  Les gens se méfient, les policiers aussi : on tourne en rond ! Les citoyens pensent que la police est raciste et à l'inverse, la police a l'impression d'être détestée. Et cette mesure ne la rassure pas du tout. Ces dernières années, elle a eu plus de pouvoir, plus d'argent pour travailler. Elle devait faire plus de chiffres et donc être plus sévère : on voit que cela n'a pas marché. La situation dans les quartiers est loin d'être apaisée. Il faut essayer autre chose et peut-être donc passer par un renouveau de cette police de proximité qui est la solution à terme. Il faut créer un dialogue. Certains policiers sont prêts à s'ouvrir, d'autres non. Pour eux, le citoyen doit être contrôlé, point barre.

Un cohabitation entre police et citoyen est-elle possible ?

Bien entendu puisque ça existe dans d'autres pays. On l'a fait en France au début des années 90 avec cette fameuse police de proximité. Quoiqu'on en dise, elle a marché à certains endroits. Il y a eu un apaisement même si le crime 0 n'existe pas. Et ce qu'il est nécessaire de comprendre, c'est que moins de contrôles génère plus de sympathie. Dans un climat de tension, les gens refusent de parler à la police. Elle perd donc des informations parfois cruciales. Elle doit absolument s'adapter ou se ré-adapter au terrain local. La police centralisée, les instructions venant du ministère de l'Intérieur ne sont pas applicables à la lettre. On donne de mauvaises réponses avec des lois inapplicables.

Ce rapport policiers/citoyens est-il meilleur à l'étranger ?

Des tensions il y en a partout. Le problème de la France, c'est de ne pas avoir développé une stratégie pour se rapprocher du peuple. Depuis 2003, on a arrêté. C'est là que le bât blesse. En Angleterre par exemple ou aux États-Unis, le travail de terrain est nécessaire et fonctionne très bien surtout pour résoudre des affaires criminelles ou terroristes. Le policier connait l'environnement où il travaille, il arrive donc à voir s'il se passe des choses anormales.

La réforme sur le contrôle est-elle applicable en France?

Oui, il n'y a rien de plus simple, notamment en terme de moyens techniques. On prend un carnet à souches, on distribue un ticket à la personne contrôlée et c'est fait ! Si on ne fait pas avaliser cette loi, cela montrera que la police se trouve dans une logique de fermeture. C'est grave. Cela voudrait dire que les policiers refusent purement et simplement un contrôle démocratique sur leur fonction. C'est inquiétant mais il faut préciser que c'est minoritaire. Il faut considérer le citoyen et arrêter de le prendre pour un simple objet.

Un changement de stratégie est urgent. Les polices privées vont monter en puissance, la police municipale aussi et on aura une police nationale complètement marginalisée. Cela fait dix ans qu'il n'y a pas de progrès. Les problèmes du quotidien ne sont pas réglés. Il y a un véritable enjeu dans ce projet de loi. Il ne faudrait pas louper le coche.

Propos recueillis par Valérie Meret

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