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Soupe aux sous : la cuisine du Centre, à l'agonie lors des législatives
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Douceurs des îles

Pour assurer leur survie, les partis centristes ont multiplié les montages financiers. Et s'ils s’interrogeaient sur leur capacité à convaincre les électeurs plutôt que sur les moyens de gagner de l'argent ?

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

Le débat continue sur Facebook : ils.ont.achete.la.presse et [email protected].

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Les résultats des élections législatives ont ceci de particulier qu’ils déterminent le montant des financements publics alloués à chaque parti pour les cinq années à venir. Le calcul du montant attribué repose sur deux variables simples : d’une part le nombre de voix obtenues par les candidats, et d’autre part le nombre de parlementaires élus (députés, puis sénateurs). Les autres élections (présidentielles, municipales,..) donnent certes lieu au remboursement de frais de campagne sous conditions, mais elles ne permettent pas aux partis politiques de faire vivre leur structure au quotidien.

De ce fait, on s’attendrait naïvement à ce que les financements liés au nombre de sièges de députés soient proportionnels à la composition actuelle de notre Assemblée nationale : UMP : 305 députés ; Parti socialiste : 196 ; Nouveau Centre : 24 ; Gauche démocrate et républicaine (PC + divers gauche) : 20 ; et Non-inscrits dans un groupe (Bayrou, Dupont-Aignan, Mamère, ...) : 13.

Or, quand on se penche une minute sur les chiffres des financements publics de nos partis politiques, publiés au Journal Officiel, on découvre le résultat de la lamentable « tambouille » financière de certains partis. Qui est selon-vous actuellement le troisième parti de France à recevoir des financements publics, après l’UMP et le PS, au titre de son nombre de députés rattachés ? Pas le Front National, puisque comme chacun le sait, il ne dispose d’aucun élu à l’assemblée. Non, en réalité, le troisième parti de France en nombre de députés est … FETIA API, petit parti de Polynésie Française !Cette absurdité s’explique par le fait que 18 députés et 10 sénateurs, tous membres du groupe Nouveau Centre d’Hervé Morin, ont jeté leur dévolu fin 2007 sur cette quasi « coquille vide » pour s’affilier à elle et ainsi violer, en toute légalité, l’esprit de nos lois sur le financement des partis. En effet, n’ayant pas réussi à obtenir au moins 1 % des voix dans au moins 50 circonscriptions, (condition légale sine qua non pour qu’un parti ait droit à recevoir une dotation de l'Etat), des députés opportunistes du Nouveau Centre ont choisi d’être rattachés à ce microscopique parti tahitien (ce « parti frère », comme l’appelle le Nouveau Centre). Par cet artifice légal, ces députés centristes se sont retrouvés du jour au lendemain tenus à recueillir seulement 1 % des voix là où ils se présentaient, mais sans minimum de circonscriptions cette fois, devenant par ce biais tout à coup éligibles à une importante dotation publique.

Pour sa part, Jean-Louis Borloo a choisi le parti Le Trèfle (un autre petit parti ayant recueilli moins de 100.000 suffrages) pour également réaliser une association « financière » au bénéfice d’une autre composante centriste : le Parti Radical. Ses 13 députés et 6 sénateurs ont fait alliance avec Le Trèfle, transformant soudain celui-ci en 5ème parti de France en nombre de députés ! Du coup, Le Trèfle reçoit désormais plus de financements que son alter-ego de gauche, le PRG, qui a pourtant recueilli plus du triple de voix dans les urnes. Au terme d’un contrat passé entre les formations, Le Trèfle rétrocède intégralement au Parti Radical les sommes dont elle fait le « portage », tout comme Fetia Api le fait pour le Nouveau Centre, après avoir retenu au passage une sorte de « commission de services » de 20.000 €.

On espérait qu’à la veille des législatives 2012, une loi aurait mis un terme à ce type de détournement de l’esprit de la loi. Qu’aurait été mis un terme au fait que le Front National ne reçoive aucun argent public de cette « deuxième tranche », faute d’élu, tandis que 9 partis présents uniquement dans les Dom-Tom en sont bénéficiaires, ce qui est pour le moins paradoxal. On espérait que l’on revint à une situation « normale », sous une nouvelle présidence à qui ce qualificatif semble si cher : que les candidats à la députation, se présentant au nom d’un parti, le fassent clairement, et qu’une fois élus sous celle-ci, ils ne changent pas de rattachement au cours de la mandature donnant lieu à perception de financements publics.

Or, qu’apprend-t-on ces jours-ci ? Que, pour 2012, la tambouille continue en cuisine, à pleine vapeur. Jean-Louis Borloo vient tout juste de créer de son côté une nouvelle structure de financement, l’URCID, pour y rattacher les membres de son Parti Républicain et y recueillir les Nouveaux Centre « anti-Morin » (Lagarde, Sauvadet) qui ne veulent pas partager leurs sous avec le dirigeant de leur propre formation ! Par ailleurs, l’AFP nous informe que le Modem sort également sa dernière recette de structure de financement : le "Centre pour la France" (CpF) qui distribue « le label du MoDem pour les élections législatives, (et) apporte son soutien à 400 candidats dont 25% n'appartiennent pas au MoDem de François Bayrou. « Selon les circonscriptions, le CpF s’alliera avec différentes formations de l' «espace centriste» : le Parti radical de gauche (PRG), l’Alliance centriste (AC) ou le Nouveau Centre (NC) ». Par exemple, le Centre pour la France soutient Rama Yade (Parti radical de droite) dans les Hauts-de-Seine ou Hervé Morin (Nouveau Centre) dans l’Eure, tandis que Jean-Christophe Lagarde et André Santini (également Nouveau Centre) devront eux affronter un adversaire Modem, estampillé CpF, respectivementen Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine.

En guise d’explication fumeuse à ces tripatouillages de tiroir-caisse, où les appartenances de parti ne veulent plus rien dire, et où domine uniquement une logique de calculette et de règlement de comptes personnels, Robert Rochefort, député européen Modem déclare: "Nous cherchons à rassembler au-delà du Modem, à dépasser une étiquette". Avant de chercher à rassembler, encore faudrait-il arrêter de diviser, et de s’effondrer à force de s’entêter dans un positionnement visiblement incompris et rejeté. Pitoyable projet marketing et financierque d’aspirer à « dépasser une étiquette »… pour la remplacer par « un label » ! Navrant d’apprendre que "l'objectif de ce label dépassant le simple MoDem est « de faire des voix »". Pauvre Modem qui ne sait même plus que c’est un projet politique attirant et cohérent, porté par un leader charismatique, qui permet de « faire des voix », et pas la création d’un nième label, qui sert de tiroir-caisse bricolé à la dernière minute.

Ce communiqué de presse sur le « nouveau label » a été repris en boucle par de nombreux journalistes, qui se contentent trop souvent de recopier les déclarations faites à l’AFP sans la moindre analyse. Or la réalité est la suivante :

En 2012, le Modem ne présentera plus que 300 candidats, alors qu’il en avait présenté 561 en 2007, soit un repli de près de 50% ! Pratiquement la même division par deux que celle subie par son pourcentage de voix obtenues aux Présidentielles 2012, comparées à 2007. Après la fuite des électeurs, la désertion des candidats.

Les accords électoraux entre partis aux élections législatives existent depuis fort longtemps notamment pour optimiser les revenus financiers qui en découlent (l’accord Europe Ecologie Les Verts - Parti Socialiste, dont dépend la survie financière du parti EE - Les Verts en est un flagrant exemple). Mais ils étaient jusqu’à maintenant un minimum lisibles et cohérents. Là, on atteint le summum du ridicule : le Modem soutient le candidat d’un parti dans un département, mais en est l’adversaire dans un autre… Bref, tout se réduit désormais à un « label qualité » distribué à la « tête du client », au gré des appréciations et détestations personnelles. Autrement dit, le Modem crée son label pour aider notamment le consommateur, euh pardon… l’électeur, à distinguer le bon candidat Nouveau Centre du mauvais !

Pendant plus de 20 ans, le centre droit, représenté par l’UDF, bâti avec succès par Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre ou encore Simone Veil, était la troisième force politique de notre pays, réalisant un score variant de 16% à 32% au premier tour de la présidentielle entre 1974 et 1997. Aujourd’hui, il est essentiellement représenté par deux partis qui accumulent les échecs, et dont les dirigeants ne s’en estiment visiblement malgré cela pas moins toujours aussi « incontournables » :

  • D’un côté le Nouveau Centre, entre les mains d’Hervé Morin. Ex secrétaire national de l’UDF, à l’époque où cette formation comptait plus de 100 députés, celui-ci a dû renoncer à sa propre candidature à l’Elysée en 2012, alors qu’il était pourtant ministre de la Défense sortant, afin d’éviter le ridicule d’un score inférieur à 1%, « à la Jacques Cheminade », que lui prédisaient les sondages.
  • De l’autre côté, le Modem, aux mains de François Bayrou, héritier historique de cette même UDF qui disposait de plus de 100 députés quand il en a pris la tête en 1998, et qui 10 ans plus tard, après avoir été « dispersée, ventilée, façon puzzle », comme dirait Michel Audiard, n’en comptait plus que 3, sous la bannière Modem. (5 aujourd’hui, à la veille d’élections qui risquent de les faire tous disparaitre de l’assemblée).

A eux deux, il ne leur reste même plus un quart des députés qui siégeaient, avant qu’ils ne commencent à se déchirer l’UDF. Dans le monde de l’entreprise, on dirait que leur « spin-off » a détruit 75% de la valeur initiale. Ils seraient probablement tous deux licenciés sur le champ.

Au soir des résultats des législatives de juin prochain, au cas où François Bayrou perdrait son siège actuel de député, ce que les sondages prévoient à ce jour, celui-ci risque fort de prendre le micro pour lancer un « nouvel appel àconstruire un espace élargi au centre », auquel "il s’attèlera dès demain matin, avec tous ses amis et tous ceux qui le veulent". En d’autres circonstances, un certain Lionel Jospin avait pris le même micro, également au soir d’une lourde défaite personnelle, pour déclarer "en tirer toutes les conséquences et se retirer de la vie politique française". Il est des moments où l’on se prend à rêver que les fossoyeurs du centre droit français s’inspirent du sens de l’honneur de ce socialiste, conscient, lui, du rejet personnel dont il faisait l’objet.

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