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1942, quand les Allemands s’entretuaient dans les camps de prisonniers américains
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Jusqu'au bout

A partir de 1942, 380 000 soldats allemands ont été capturés par les Alliés et furent envoyés aux États-Unis dans des camps de prisonniers. Parmi les soldats allemands, nazis et anti-nazis s'affrontent. C'est ce que Daniel Costelle relate dans "Prisonniers nazis en Amérique" en s’appuyant sur de très nombreux témoignages oraux recueillis dans les années 1970 (Extrait 2/2).

Daniel Costelle

Daniel Costelle

Passionné d’histoire depuis son plus jeune âge, Daniel Costelle est auteur et réalisateur de télévision.

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«Ils entraient. Des cous de taureau, des épaules carrées, des yeux glacés. Leurs manteaux ouverts, leurs poings au fond des poches. À pas lourds, ils avançaient en file. La terreur planait, Gühler la sentait. La crainte accélérait sa respiration. Il eut froid subitement, très froid. Il les compta. Ils étaient vingt.

Assis sur son lit, blême, les yeux exorbités, Pips les fixait. Ils faisaient cercle maintenant autour de lui.

Est-ce vrai que tu as dit qu’Hitler ne valait pas une charge de poudre ? hurla un des hommes, sa figure à toucher celle de Pips.

La tête penchée, Pips ne répondit pas.

– L’as-tu dit ?

– Non, gémit Pips, non !

– On te forcera bien à dire la vérité !

Il leva le poing, frappa en plein visage Pips qui chancela.

– Alors, ça vient ?

– Non, fit Pips, non !

De nouveau, l’autre le frappa sur le nez d’abord, puis au menton. Pips commença à pleurer.

– Le salaud ! fit un autre. Règle-lui son compte !

Un coup sur le côté de la tête envoya Pips rouler sur son lit.

– Est-ce que tu as dit qu’Hitler ne vaut pas une charge de poudre ? vociférait l’autre.

Pips ne répondit pas. Le sang lui coulait sur le nez et par la bouche.

– Qu’est-ce que cela signifie ? s’interposa Gühler.

D’un même mouvement, les brutes se retournèrent.

– Si tu ne te tiens pas tranquille, on t’en fait autant, mon gars !

Maintenant, ils frappaient tous Pips. On l’entendait hurler.

– Laisse-moi lui taper dessus, fit l’un d’eux, il y a longtemps que j’en ai pas eu l’occasion.

On lui fit place. Il avait un coup de poing américain. Il leva la main, frappa Pips qui s’effondra.

À chaque chute, on le relevait et la correction continuait.

Le sang ruisselait sur son visage. Sa tête pendait, sans vie, sur sa poitrine, oscillant à chaque coup comme séparée du corps. Ils frappèrent tous, l’un après l’autre. Enfin ils l’attrapèrent, le jetèrent sur le sol.

– Finissons-le ! hurla un des forcenés en lui assenant un coup de botte.

– C’est assez, fit celui qui avait parlé le premier.

Saisissant Pips par les jambes, il le tira hors de la baraque. La pauvre tête sanglante rebondissait sur le sol.

– Tu en fais partie ? demanda alors un des hommes qui entouraient Gühler.

Il avait une face large et plate aux yeux dénués de toute expression. Gühler le regarda sans rien dire.

– Vous y passerez tous ! On vous nettoiera tous !

La porte claqua. Gühler s’assit sur son lit, fixant le vide devant lui. Il avait froid. L’air lui semblait chargé de terreur, de haine, de sang, d’angoisse. Par terre, à ses pieds, de grosses gouttes de sang séchaient. Il ne bougeait pas. “Un camp de concentration, pensait-il. Exactement un camp de concentration.”

– C’est à devenir fou, dit-il. Mais ils ne comprennent pas. Ils ne comprendront jamais ! »

Hans Werner Richter
« Pips (je lui avais donné son vrai nom dans mon livre) a été emmené, enfin ce qu’il en restait, dans un hôpital. On ne l’a plus jamais revu. Et la terreur a continué. Nous, les antinazis, nous ne dormions pas souvent la nuit.

C’était pire que ce que j’avais connu en Allemagne. Je veux dire qu’en Allemagne la terreur vous touchait au moment où vous étiez immédiatement concerné, où elle vous tombait dessus. Autrement on pouvait ne pas la sentir. Dans une ville, on peut toujours se cacher, trouver des amis, il y a des rues, des portes, des fenêtres, on peut toujours s’enfuir. Dans un camp, on ne peut pas s’enfuir. Et la terreur, elle est continuellement présente, dans chaque baraque. On ne peut pas s’enfuir. On ne peut pas bouger, on est doublement pris au piège.

Mais il n’y avait pas de réactions ?

– Non, la lâcheté générale, comme en Allemagne.

Vous ne pouviez pas prévenir les autorités du camp ?

– Ça n’aurait servi à rien, à rien d’autre qu’à nous attirer des représailles. Pour les Américains c’était très simple. Tout ça n’avait pas, au fond, une grande importance. Il faut toujours en revenir à la Convention de Genève. Ce que les soldats prisonniers font entre eux, la puissance détentrice, elle, n’a pas à s’en mêler, sauf dans le cas d’assassinat, bien entendu. La version officielle pour Pips, par exemple, c’était : “est tombé en jouant au football…” De toute manière, pour les Américains, nous étions tous des soldats allemands, antinazis ou pas. »

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Extrait de Les prisonniers nazis en Amérique, éditions Acropole (31 mai 2012)

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