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Les Grecs sont-ils vraiment responsables de leurs difficultés ?
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A qui la faute ?

"Les Grecs doivent payer leurs taxes." Les propos de la présidente du FMI sonnent comme un acte d'accusation : si les Grecs avaient fait un effort, leur pays ne serait pas au bord de la faillite. Pourtant, le citoyen grec "lambda" paye ses impôts. Et ce n'est pas lui qui coordonne la politique économique grecque, en particulier depuis l'arrivée de la Troïka (FMI, BCE, UE) en 2009...

Nicolas Pitsos

Nicolas Pitsos

Nicolas Pitsos est chercheur au Centre d’Études Balkaniques (CEB) de l’INALCO et chargé de cours d’histoire des Balkans à l’ICES. Il a participé à la rédaction de La Grèce inconnue d’aujourd’hui : de l’autre côté du miroir. Ses recherches actuelles portent sur les réceptions médiatiques des conflits ainsi que sur les représentations de l’altérité.

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«Les Grecs doivent payer leurs taxes », « Ma pensée va plutôt aux enfants d’un petit village de Niger, désireux d’avoir une éducation (en dépit de contraintes) qu’à ceux d’Athènes (confrontés aux difficultés socioéconomiques de nos jours). » Ces mots prononcés lors d’un entretien accordé par la présidente du FMI au journal The Guardian,à propos de la crise économique en Grèce, vendredi dernier, ont déclenché une véritable polémique en Europe et ailleurs dans le monde.

Ces commentaires interviennent au lendemain de l’annonce de la part du gouvernement grec, qui assure l’intérim jusqu’aux élections du 17 juin prochain, d’une réduction des recettes fiscales prévue pour l’année en cours. Et si après tout Madame Lagarde avait raison et que les enfants grecs payaient vraiment l’incurie de leurs parents ? Tout d’abord précisons une fois pour toutes que la fraude fiscale n’est pas un phénomène endémique en Grèce, il n’existe ni de culture fiscale propre aux habitants de ce pays, ni de comportement unique face à la conception de la contribution citoyenne aux ressources financières de l’Etat. La majorité de la population paye ses impôts, et la partie qui y échappe ou qui en est exemptée (notamment les professions libérales, les gros revenus, l’Eglise orthodoxe de Grèce), tout en représentant un véritable trou noir dans l’équilibre budgétaire et le redressement du déficit, ne saurait rendre compte toute seule de la gravité et de l’ampleur de la crise actuelle en Grèce.

En revanche ces discours aux tons d’un sentimentalisme populiste et aux nuances d’une schématisation culturaliste, permettent d’esquiver un débat global sur les causes de ce phénomène, occultant l’étude d’autres paramètres susceptibles de secouer les fondements philosophiques et les a priori de la pensée économique dominante au sein d’institutions comme celles présidées par l’ex-ministre français des Finances. Afin de mieux saisir ces enjeux, il faudrait distinguer au moins deux temps dans l’analyse de la crise économique en Grèce : la période d’avant l’intervention du FMI, de la BCE et de l’UE et la période suivant leur implication dans la vie du pays.

En 2009, la Troïka (FMI, BCE, UE) s’implique activement dans la coordination de la politique économique grecque, dès lors, elle devient co-responsable de la gestion de la crise. Dès le début, ses lignes directrices, adoptées par les gouvernements grecs en place, dictent un programme d’austérité accompagné d’un discours moralisant et moralisateur, soulignant l’idée de la souffrance comme condition préalable au sauvetage. Les priorités de ce programme d’inspiration ouvertement néolibérale sont la réduction/suppression de dépenses publiques (salaires, retraites, services publics), l’augmentation parallèle d’impôts directs et indirects ainsi que la privatisation à tout prix des services publics, fussent-ils rentables. Par conséquent, ceux qui payaient déjà leurs impôts ont vu leurs revenus se réduire drastiquement et/ou se sont retrouvés sans emploi. Le chômage, qui a plus que doublé depuis (passé de 10% à presque 25%), entraîne une réduction de la somme des revenus imposables, alors qu’en même temps faute de mise en place de dispositifs efficaces pour la lutte contre la fraude fiscale, de nouvelles recettes n’ont pas pu compenser cette réduction.

Deuxième ingrédient de la recette concoctée par les ‘savants’ de la Troïka, l’attribution à l’Etat grec de prêts massifs, aux taux d’intérêt extravagants (la faute aussi au pouvoir excessif des instituts d’évaluations), qui à l’instar d’autres pays ’secourus’ dans le passé par le FMI, n’ont fait qu’alourdir encore davantage le poids de son endettement.

Tout au long de l’été dernier, sur arrière plan de négociations ardues au sujet du montant du prêt qui allait être finalement accordé à la Grèce, les représentants des organisations humanitaires s’étaient mobilisés essayant de sensibiliser la communauté internationale à la situation dramatique de la population dans les régions de l’Afrique de l’Est, évaluant à un ou deux milliards d’euros la somme nécessaire pour éviter le désastre humanitaire. Cet argent n’a jamais pu être recueilli à temps tandis que des centaines de milliards d’euros étaient approuvés et débloqués quasi à la même époque par les instances politiques et financières européennes et internationales pour venir au secours des pays de la zone euro en difficultés économiques, la Grèce en tête. Tout spectateur ou lecteur humaniste ayant reçu ces informations aurait crié au scandale. Dans cette optique, il ou elle aurait félicité Madame Lagarde pour son courage de dénoncer un traitement de favoritisme accordé à un pays ‘riche’ au détriment des pays ‘pauvres’ dont la population aurait besoin d’une aide urgent pour sa survie immédiate. Ce favoritisme deviendrait encore plus insoutenable et insupportable si l’on statuait que la cause des difficultés rencontrées par la population du pays ‘riche’ en question, soit inhérente à ses comportements irresponsables.

Pourtant, il suffit juste que l’on s’interroge sur les destinataires de ces fonds d’argent prêtés par les instances internationales, pour se rendre compte que ce n’étaient pas les citoyens grecs qui en ont bénéficié mais les banques grecques et des créanciers qui attendaient le paiement des taux d’intérêt. Ainsi les répercussions de la crise bancaire qui a démarré aux Etats-Unis en 2008, atteignaient également les banques européennes dont certaines s’étaient adonnées à des pratiques douteuses de spéculation. Du coup, l’aide à la Grèce n’aurait plus été motivée par des sentiments de sympathie comme Madame Lagarde semble l’insinuer dans son entretien sinon par une double crainte. D’une part, la peur d’une série de réactions incontrôlables devant l’effondrement du système bancaire d’un pays dont l’économie est directement intégré dans la première zone économique du monde et d’autre part la peur devant l’avènement d’une faillite qui serait synonyme de pertes importantes pour les créanciers de ce pays.

Ainsi, à l’aune d’une analyse plus globale, arrive-t-on à mieux s’apercevoir à quel point les discours caricaturaux sont loin de nous informer et de nous instruire sur les causes d’une crise bien plus complexe qui n’exclut certes pas les responsabilités des différentes composantes de la société grecque engagées à des degrés divers et variés, mais qui ne peuvent pas être entièrement compris sans une référence à des facteurs extérieurs. Entre autres, on pourrait citer les dysfonctionnements d’un système financier et bancaire à l’échelle internationale, évoluant dans un contexte de dérégulation et déréglementation, propice aux spéculations de tout genre, ainsi que la lutte idéologique entamée entre une approche de la crise en termes de politique néo-libérale, néo-conservatrice obsédée par l’idée de l’austérité et le démantèlement de tout acquis social, et une politique alternative ayant comme vision le développement et comme horizon une redistribution des richesses au sein de chaque société et entre les différentes sociétés.

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