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L’élément essentiel de la politique keynésienne est le soutien de la demande par le déficit budgétaire.
L’élément essentiel de la politique keynésienne est le soutien de la demande par le déficit budgétaire.
©Bernadett Szabo / Reuters

En finir avec Keynes

Et s'il fallait juste, face à la crise qui persiste, cesser d’être systématiquement pessimistes et revenir aux fondamentaux de la science économique ? La croissance ne serait-elle pas possible à la seule condition d’adopter une politique de l’offre inspirée de Ricardo plutôt qu’une politique keynésienne de la demande ?

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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“Le grand mérite de Keynes est d’avoir compris qu’il fallait réagir à la crise de 1929 et que la passivité des gouvernements de l’époque était dangereuse. Mais les temps ont changé et il est difficile de dire ce qu’il proposerait aujourd’hui. En tout cas, il n’est pas responsable de la façon dont les gens ont interprété ses écrits depuis sa mort. Se fonderait-il lui-même sur sa Théorie générale pour régler les problèmes d’aujourd’hui ? C’est loin d’être certain. 

Le faux remède de l’inflation

Pour lui, l’inflation était un outil à la disposition des gouvernements pour euthanasier les rentiers. Cet instrument autorisait un accroissement des dettes car il y voyait un moyen d’apurer les comptes en douceur. Or aujourd’hui l’inflation n’est plus une solution, ni même une option. L’accélération des prix, en perturbant gravement les conditions de la croissance économique, appelle au bout d’un certain temps une politique monétaire restrictive qui freine la croissance. L’inflation d’aujourd’hui fabrique le chômage de demain. On a réussi à éponger les dettes héritées de la Seconde Guerre mondiale avec le retour de l’inflation dans les années 60 et 70. Mais il a fallu par la suite donner un tour de vis monétaire drastique dans les années 80, ce qui a installé durablement le chômage en Europe. Par ailleurs, si l’inflation dévalorise les dettes, elle a surtout pour conséquence de laminer le pouvoir d’achat des salariés car ces derniers ne sont pas en situation d’obtenir des hausses de rémunérations compensant la progression des prix. Les salariés sont à coup sûr les perdants de l’inflation.

La relance keynésienne mise en échec

L’élément essentiel de la politique keynésienne est le soutien de la demande par le déficit budgétaire. Une liaison cruellement démentie par les faits. Aux Etats-Unis, le creusement colossal des déficits sur la dernière période n’a impulsé qu’une croissance dérisoire de l’économie, preuve que le système ne répond plus. Outre-Atlantique, alors que le déficit budgétaire s’est creusé à plus de 10 % du PIB, le taux de croissance n’a toujours pas permis de retrouver le niveau d’emploi antérieur à la crise. Une telle évolution accrédite l’idée que le chômage de sous-emploi des facteurs de production – sous-jacent de la théorie keynésienne – n’existe plus : le chômage n’est plus lié à une insuffisance de la demande mais à une structuration de l’offre inadaptée ou à l’absence de capital.

 L’autre raison pour laquelle le keynésianisme n’est plus opérationnel tient aux effets de l’accumulation de dettes publiques sur le comportement des agents économiques. Au niveau actuel de dette, tout déficit budgétaire supplémentaire destiné à accroître la demande publique entraîne une rétractation de la demande privée du fait de l’augmentation du taux d’épargne des ménages en prévision des hausses d’impôt à venir (mécanisme d’équivalence ricardienne). S’opère ainsi un jeu de vases communicants entre la demande publique et la demande privée dont le plus sûr effet est de conduire à un résultat final incertain. Les Etats-Unis où l’on constate une réduction du déficit extérieur – autrement dit une hausse du taux d’épargne – concomitamment au creusement du déficit public illustrent pleinement ces mécanismes perturbateurs qui ne procurent au final aucun bénéfice en termes de croissance.

L’art de gérer le cycle

En revanche, ce qui reste pertinent dans l’héritage de Keynes, c’est le raisonnement en cycle induit par l’évolution de l’investissement et des stocks. Un point essentiel car la politique économique – et notamment son volet budgétaire – doit être calée, non pas sur l’objectif de créer de l’emploi, mais sur l’objectif précisément d’amortir le cycle. En résumé, il faut de Keynes garder le jeu des stabilisateurs automatiques et oublier l’effet multiplicateur.

Il devrait y avoir aujourd’hui deux phases dans la politique économique. Dans un premier temps on rétablit la situation en effaçant les conséquences du keynésianisme, via un retour à un déficit structurel nul.

 Dans une seconde phase on conduit la politique budgétaire selon le principe de la gestion en stabilisateurs automatiques. Ces derniers doivent être centrés sur la fiscalité des entreprises puisque les hauts et les bas du cycle viennent des fluctuations de l’investissement des sociétés. Quant à la fiscalité des ménages, elle doit répondre essentiellement aux besoins de moyen-long terme de gestion des “externalités”, c’est-à-dire principalement la pollution. Il faut créer une vraie taxe carbone. Le problème de la TIPP c’est qu’elle est une taxe sur les automobilistes, non sur la pollution. Le véritable enjeu n’est pas de pénaliser les automobilistes mais de dissuader la consommation d’une énergie polluante… 

Le bien-fondé des nouvelles règles européennes

Lorsque le nouveau traité européen prend comme objectif un déficit structurel nul ou en tout cas inférieur à 0,5 % du PIB – et qu’il accepte le déficit conjoncturel – on est sur la bonne voie car cela signifie que l’on renonce aux déficits récurrents non productifs tout en tolérant des variations liées au cycle. Une telle formule ne va pas à l’encontre de la croissance. Il était plus que temps d’en finir avec la vision “hydraulique” erronée du keynésianisme selon laquelle en lâchant les vannes du déficit on fait de la croissance. Dans sa version des euro- bonds – version qui revient à ajouter de la dette à la dette – François Hollande n’échappe pas hélas à la vision “hydraulique” dépassée.

 Réduire à zéro le déficit structurel lorsque la croissance est faible est une opération délicate tant il est vrai que des politiques d’austérité mal menées peuvent peser sur l’activité et créer un déficit conjoncturel. Pour ne pas “tuer” le malade, la purge doit passer par la réduction des dépenses publiques et non par des hausses d’impôts. Ce qui pose problème actuellement, ce n’est pas l’austérité en elle-même mais la manière dont elle est conduite.

Les facteurs de la croissance

La bonne solution, c’est la croissance. Cette dernière ne se décrète pas. Elle se fabrique par une politique qui favorise les investissements et les entreprises et non la demande des ménages. Mais il ne faut pas se payer de mots en en appelant par exemple à la politique de l’innovation. Pas plus que la croissance, cette dernière ne se décrète pas. Contrairement au mythe du progrès technique généré par la recherche, les innovations résultent bien plus souvent d’applications prises à l’initiative du terrain.Si l’on veut être efficace, l’Etat doit s’appuyer sur les entreprises, donc sur les ingénieurs et pas multiplier les crédits à la recherche publique.

Le personnage clé, c’est l’ingénieur qui en mettant en œuvre les découvertes fait lui- même œuvre de création. En matière d’éducation, le raisonnement est le même. L’élévation du niveau des connaissances élargit les savoir-faire de la population mais crée en même temps un “prolétariat cognitif” qui peine à utiliser son savoir dans le système productif, d’où des frustations repérables chez les diplômés. Education, innovation : la solution passe par les entreprises. Le politique ne doit pas dire “voilà ce que je vais faire pour la croissance” mais plutôt “comment puis-je aider les entreprises à croître”.

 La politique par objectifs quantitatifs – une R&D à 4 % du PIB, 80 % d’une génération au niveau du bac – je n’y crois pas du tout car une telle vision laisse de côté les critères qualitatifs et elle ne tient pas compte des rendements décroissants. Il faut viser non pas la quantité mais la qualité, c’est-à-dire l’excellence. Or les dernières élections ont été particulièrement révélatrices des travers de notre pays. Bon nombre des objectifs ont été fixés pour complaire aux attentes de telle ou telle catégorie d’électeurs : les fonctionnaires pour la gauche, les personnes âgées pour la droite. Mais ils laissent de côté les structures productives et d’avenir que sont les entreprises et la jeunesse.

La concurrence contre le malthusianisme

La vraie source du progrès et de la croissance c’est la mise en concurrence des entreprises. Une société n’investit, n’innove que si elle a la conviction que sa survie est en jeu. Autrement dit, si elle est persuadée que si elle ne réagit pas, d’autres entreprises se mettront sur le créneau et qu’elle disparaîtra. Un point de vue qui était celui de la gauche du début du XIXe siècle. A l’époque, c’était le patronat qui était le plus farouche partisan du protectionnisme, pas les travailleurs. Le libre- échange est le moyen d’obliger les entreprises à être en permanence performantes. Chaque système est potentiellement en mesure de trouver – et de renouveler – ses avantages comparatifs ! Baisser le coût du travail – via par exemple l’allégement des charges sociales –, cela revient à diminuer les salaires et au final à diminuer le pouvoir d’achat comme le fait la mécanique visant à compenser la baisse des charges par une hausse de la TVA.

 Il ne faut pas raisonner en termes de travail mais en termes de production, de productivité, de richesse produite. Le discours sur la compétitivité par la baisse du coût du travail est un discours de misère, et d’essence protectionniste. Le salaire est égal à la productivité des salariés. Il faut donc tout faire pour que les entreprises fassent bénéficier leurs salariés de l’efficacité accrue des machines. Il faut sortir de la logique malthusienne – et protectionniste – qui pousse à la diminution des salaires.

 Il faut au contraire des entreprises profitables qui investissent et pour cela, encourager en permanence les transferts vers le capital. A ce jeu-là, il y a des gagnants et des perdants, les gagnants, ce sont les talentueux et les perdants, ce sont les rentiers. Ce n’est pas une nouvelle version du plus fort car la solidarité doit continuer à s’exercer via les dépenses publiques au bénéfice des plus démunis. Il est étonnant que le président sortant n’ait pas plus mis en avant l’augmentation considérable de l’allocation pour adulte handicapé réalisée sous son mandat. C’est à cela que doit servir l’Etat, pas à payer des fonctionnaires.

La lutte contre les rentes

La rente, par définition, c’est le fait de gagner de l’argent indépendamment du travail fourni ou des qualités qu’on a pu déployer. Certaines rentes sont justifiées, celle de l’inventeur qui doit être protégée via par exemple les brevets. En revanche, certaines rentes ne correspondent à rien, par exemple le statut de la fonction publique et toutes sortes d’activités protégées.

Le bon système serait de supprimer le statut de la fonction publique et de créer, comme en Suède, des agences avec du personnel de contrat privé à qui l’on confie des concessions de service public sur la base de cahiers des charges.

 Un peu sur le modèle des autoroutes françaises… Beaucoup d’activités régaliennes pourraient relever de cette logique de délégation. La concession est un bon régime qui concilie l’efficacité de la concurrence et les engagements de service public. Le problème politique tient au fait que les rentiers résistent si on retire leurs privilèges. On le voit sur le marché du travail où les “insiders” – ceux qui sont en place – bloquent toute évolution allant vers un assouplissement des règles en faveur des “outsiders”, les chômeurs, au nom bien souvent de la défense soit de l’emploi soit du service public. Or en matière de créations d’emploi, il importe de créer un marché du travail fluide. Cela passe d’une part par un minimum de réglementations – donc un code du travail souple – et d’autre part par une évaluation au plus juste des capacités professionnelles via notamment la grille des diplômes.

Le chômage est nécessairement d’autant plus fort quand le système scolaire est peu sélectif, et que le système de code de travail est très rigide. A partir de là, plusieurs combinaisons sont possibles. Au Royaume-Uni, un code du travail très flexible coexiste avec un système scolaire assez peu sélectif. En Allemagne ou au Japon, le système de code du travail est très restrictif, mais avec un système de formation et de diplôme très fiable sur la qualité de la main-d’œuvre. Le cas français est le pire, avec un système d’education très peu sélectif et un droit du travail très rigide. Résultat : une proportion de jeunes au chômage parmi les plus élevées. En ne s’attaquant pas à ce problème et aux rentes des “insiders”, l’Etat punit les jeunes et non pas les riches !

Ricardo plutôt que Keynes

Quel chemin doit prendre la société française ? Elle peut emprunter la voie allemande qui vise à réduire le coût du travail tout en ménageant certaines situations acquises. C’est un compromis bancal pour retrouver de la croissance. Revenue au pouvoir en France, la gauche en appelle à la relance européenne via la création d’eurobonds qui n’est qu’un nouveau moyen pour augmenter… la dette. Imaginer que les Allemands acceptent cette idée keynésienne est faire preuve de grande naïveté. Le risque est de réveiller les tensions sur les marchés de taux d’intérêt et de nous retrouver dans la situation de l’Espagne ou de l’Italie. L’autre voie est de pratiquer la solution “ricardienne” de relance par la concurrence comme celle mise sur les rails au Royaume-Uni ou en Italie.

 Mais hélas cette solution n’est même pas ne serait-ce qu’envisagée. La population ne se pose par la question de savoir s’il faut être keynésien ou ricardien parce que sa classe politique se refuse à aborder le problème sous cet angle. Comme l’avait dit Tony Blair, l’important ce n’est pas de savoir si la politique économique est de gauche ou si elle est de droite, c’est de savoir si elle réduit le chômage et si elle augmente la croissance économique. La gauche française, qui a expérimenté les impasses de la relance keynésienne, devrait le comprendre. ”

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