Naufrage de l’Erika : l’abandon des poursuites coulera-t-il le droit environnemental ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'avocat de Total cherche à convaincre que le groupe pétrolier ne doit pas prendre en charge les dommages environnementaux causés par le naufrage de l'Erika.
L'avocat de Total cherche à convaincre que le groupe pétrolier ne doit pas prendre en charge les dommages environnementaux causés par le naufrage de l'Erika.
©Reuters

La marée noire blanchie ?

L'avocat de Total cherche à convaincre que le groupe pétrolier ne doit pas prendre en charge les dommages environnementaux causés par le naufrage de l'Erika. Une position de victime défendue par une certaine interprétation du droit maritime. L'enjeu est de taille : la décision pourrait remettre en question la notion de droit environnemental.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Atlantico : Dans le cadre de l'affaire Erika, pensez-vous que la Cour de cassation peut procéder à une annulation de la décision arrêtée en première instance, comme le demande l'avocat général ?  Si oui, la jurisprudence rendrait-elle le principe de pollueur / payeur caduc ?

Corinne Lepage : Oui, c’est tout à fait possible. Par contre, le principe pollueur / payeur ne peut pas être caduc, c’est un principe d’ordre public. Cela aurait pour conséquence d’introduire un système d’irresponsabilité complète. Il ne serait plus appliqué et serait dès lors abandonné pour deux raisons. La première, pose l’obligation de saisir en cas de pollution non pas le tribunal du pays pollué, mais le tribunal auquel appartient le bateau pollueur. Ceci signifie que compte tenu des affaires de pavillon de complaisance, les victimes n’obtiendront jamais rien du tout. Ce qui veut dire que c’est une irresponsabilité organisée.  

Seconde raison, l’avocat général propose d’exclure tout autre régime de responsabilité de réparation. On a renvoyé le problème sur une responsabilité civile. Ceci a permis à Total d’être déclaré par la Cour d’appel pénalement responsable et non civilement. Ainsi Total n’a pas été condamné à payer, ce qui est, selon moi, très choquant. Si on suit l’avocat général, l'entreprise ne pourrait pas être non plus condamnée sur le plan pénal. Au final, ni Total ni la société de classification italienne Rina ne sont condamnés à payer quoi que ce soit. Cette situation est invraisemblable quand on sait que la Cour de justice de l'Union européenne et la chambre civile de cassation ont jugé exactement le contraire à ma demande. Il y a donc bien une disparition du principe pollueur / payeur.

Ne peut-on pas voir là, l’arrêt de mort du droit de l’environnement ?

D’une certaine manière, oui. Ce sont trente ans de problèmes jurisprudentiels qui sont mis par terre. Vous avez deux conceptions qui s’affrontent. Il y a le droit maritime qui dit : il n’y a que la liberté des mers qui compte. Elle exclut qu’un État puisse intervenir y compris pour lutter contre la pollution des côtes. Enfin, vous avez le droit commun et le droit de l’environnement qui disent qu'un État a le droit de se prémunir et de réprimer toute pollution menaçant ses côtes. La liberté des mers est quelque chose d’important, mais la liberté des mers n’a jamais été la liberté de polluer.

On assisterait alors à une régression de "la liberté des mers" ?

Considérable ! Ce n’est pas une question de libertés de transport. Personne ne veut remettre en cause la capacité des bateaux de naviguer. En revanche, ce que l’on veut, c’est la fin des passages de bateaux poubelles flottants qui mettent en péril les côtes européennes.

Pendant l’élection présidentielle, Najat Vallau-Belkacem assurait que François Hollande élu ferait tout pour obtenir une évolution du droit international. La nouvelle ministre de l’Environnement, Nicole Bricq, tiendra-t-elle cette promesse ?

C’est à elle qu’il faut le demander. Je suis quand même très étonnée de voir ce silence assourdissant. Madame Joly était pourtant très agitée pendant la campagne présidentielle pour dire des choses inexactes sur ce sujet. Aujourd’hui, à ma connaissance, tout le monde reste muet. J’attends maintenant de voir ce que va dire la Cour de cassation.

Personnellement, en tant que députée européenne, je vais essayer de voir ce qu’on peut faire au niveau communautaire. Après, rien n’empêchera le gouvernement français de prendre éventuellement une initiative auprès de l’Organisation maritime internationale. Ce qui importe le plus au final, c’est que l’Etat puisse intervenir sur une côte polluée quel que soit le lieu d’un accident.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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