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Risques spéculatifs : des baleines de Londres aux rois de Wall Street, rien n’a changé depuis 2008
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Éternel retour

La perte de deux milliards de dollars par JP Morgan le prouve : le modèle économique bancaire n'a pas appris de ses erreurs. Le système de rémunération pousse toujours au profit à court terme, qui conduit au fiasco.

Christophe Moussu

Christophe Moussu

Christophe Moussu est professeur de finance à l’ESCP Europe et professeur visitant au Collège d’Europe et à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il a toujours promu une finance de long terme au service de l’économie réelle.

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La perte de 2 milliards de dollars de la banque américaine JP Morgan, révélée le 10 mai dernier, n’a rien de surprenant tant la crise financière de 2008 n’a rien changé au modèle économique des grandes banques. Il est probable que cette perte s’aggrave dans l’année car la position à l’origine de la perte n’est pas entièrement débouclée, de nombreuses sources évoquant le chiffre possible de 5 milliards de dollars. 

De manière plus intéressante, la capitalisation boursière de la banque a fondu de 25 %, soit 30 milliards depuis cette date, ce qui révèle qu’au-delà de cette perte colossale, c’est bien la confiance et la réputation de la banque qui est atteinte. Car JP Morgan a toujours eu une réputation de banque sérieuse, maîtrisant ses risques. L’affaire est suffisamment grave pour que son dirigeant, James Dimon, considéré comme le « King of Wall Street », annonce lundi une interruption du programme de rachat d’actions de sa propre banque… tout en expliquant que cela ne doit pas envoyer un signal négatif quant à des pertes futures plus importantes (Wall Street Journal du 22 mai).

Même si les détails de cette nouvelle affaire bancaire ne sont pas entièrement dévoilés (et ne le seront jamais complètement), elle a clairement un goût de déjà vu. Revenons rapidement sur celle-ci.  JP Morgan abrite en son sein une entité chargée de gérer sa trésorerie excédentaire (environ 360 milliards de dollars), issue notamment des dépôts effectués par les clients de celle-ci.  

Cette entité, le "CIO",  est basée à Londres, place financière plus opaque et déréglementée que Wall Street, ce qui en dit déjà long sur son caractère spéculatif. Son but officiel est de gérer les risques de la banque au niveau international. Son but moins avoué est de générer des profits,  aussi importants que possible, comme elle l’a d’ailleurs fait de 2009 à 2011. L’opération à l’origine des pertes fut d’ailleurs défendue comme une opération de couverture d’un portefeuille de crédit de la banque (voir les déclarations de son directeur financier, Doug Braunstein, au Wall Street Journal du 13 avril).

Cette opération était en fait une opération spéculative où la banque pariait sur la dégradation d’un indice de dérivés de crédit à court terme et l’amélioration d’un indice à long terme. Les volumes étaient tellement énormes que le trader en charge, Bruno Iksil, (dit « la baleine de Londres ») pesait sur les prix par ses transactions.  Le retournement de conjoncture, doublé de la difficulté de déboucler la position compte tenu de sa taille, est à l’origine des pertes massives déjà annoncées par la banque.  Au-delà des risques  pris, la manière dont l’opération est conduite est « stupide » selon les termes même de Dimon car la banque est coincée dans une situation où elle pèse trop lourd, ce qui assèche la liquidité.

Ce que cette affaire nous enseigne, c’est que depuis la crise financière de 2008, qui a mis les économies à genoux, rien n’a changé. Cette affaire n’est pas un problème technique associé  à la difficulté de mesurer des risques (même si la mesure parfaite n’existe pas).  C’est un problème d’incitations perverses à tous les niveaux et de défense d’un « modèle économique » de banques devenu toxique. Les banques prennent des risques excessifs, c’est-à-dire des risques qui poussent à la performance à court terme mais au péril de leur valorisation de long terme et de leur survie. 

A l’origine de ce comportement, on trouve bien sûr la garantie des dépôts (on n’a pas assisté à un retrait massif des dépôts chez JP Morgan) et la garantie implicite de l’Etat que les grosses banques, donc systémiques, finiront par être sauvées. Pour M. Hoenig, vice-chairman de la FDIC (le fond d’assurance des dépôts américain), « si le management ne peut pas surveiller et contrôler de manière correcte son risque, il est déraisonnable de penser  que la supervision bancaire puisse le faire à leur place ».  N’oublions pas que 70 personnes, côté régulateur, supervisent les opérations de marché de  JP Morgan et  n’ont pas réagi car ils ne font que suivre les modèles internes de la banque qui ne donnaient pas de signaux d’alerte!

Pour Hoenig, la cause est entendue : les opérations de marché pour compte propre ou non doivent être séparées des banques pour exister sans la protection de l’Etat (Financial Times du 14 mai). L’affaire JP Morgan doit impérativement être utilisée pour lutter contre les lobbys bancaires opposés à cette séparation.  La croyance qu’une formule magique  de contrôle des activités de marché existe pour éviter les défauts des banques est naïve.  Elle n’existe pas et, même si elle existait, les incitations perverses au sein  des banques conduiraient à son contournement.

En effet, de nombreuses études académiques ont désormais mis clairement en évidence le rôle de la rémunération dans la prise de risques, du plus haut niveau des banques jusqu’aux salles de marchés.  Il ne s’agit pas de forcer celui qui a pêché à expier ses fautes en rendant sa rémunération lorsque cela va mal (les 14 millions de dollars de la responsable remerciée du CIO ne pèsent rien au regard des 30 milliards de capitalisation perdus !).

Il s’agit de reconnaître que c’est justement cette rémunération qui est à l’origine des problèmes.  Une contribution très récente de Bhattacharya et Purnanandam (2011) montre ainsi comment la focalisation sur les profits à court terme induite par la forme de rémunération est à l’origine de la montée des crédits et montages toxiques de la dernière crise financière. Or, si les banques ne veulent pas s’auto-discipliner, il faut qu’elles portent pleinement les conséquences de leur prise de risque, ce qui est impossible compte tenu de leur taille et de l’assurance des dépôts.

Les gouvernements et les régulateurs doivent donc cesser de tourner autour du pot, reconnaître le cercle vicieux dans lequel les banques coincent les citoyens et pousser à une recapitalisation massive des banques et une séparation réelle des activités de marché. Et ce, de manière concertée au niveau international pour ne pas introduire de distorsions entre les banques.

Contrairement à ce que les banques cherchent à faire croire à l’opinion, cela les forcerait à réapprendre leur métier de banquier, qui est avant tout de transformer des dépôts en ressources longues destinées au financement de l’économie. Cela mettrait  fin au chantage enfantin actuel quant à l’incidence des nouvelles règles prudentielles sur la distribution du crédit. Les 360 Mds de dollars du CIO de JP Morgan mériteraient d’être investis ailleurs que dans des produits (d’ailleurs inventés par JP Morgan !), dont la seule utilité semble bien la fabrication de rémunérations outrancières pour quelques salariés,  au détriment des actionnaires aujourd’hui et des contribuables demain.

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