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Bizutage : pourquoi le sexe devient l’outil de toutes les humiliations
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Very bad trip

Dans les affaires de bizutage, comme celle qui vient de faire scandale au sein des Pompiers de Paris, alcool et sexe se mélangent dans un cocktail explosif. Les vies brisées par ce type de violences, souvent acceptées sous la contrainte, voient rarement leurs agresseurs punis.

Marie-France Henry

Marie-France Henry

Marie-France Henry est présidente du Comité National Contre le Bizutage (CNCB).

En 2010, elle participe à la Commission DAOUST auprès du Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur « soirées étudiantes et weekend d’intégration ».

Le Comité National Contre le Bizutage a reçu le soutien de nombreux partenaires. Il organise des actions de prévention, écoute les victimes, reçoit les témoignages, alerte les ministères concernés.

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Depuis le vote de la loi en juin 1998 qui a fait du bizutage un délit, le bizutage est en constant recul. Mais, comme le montre un bizutage récent chez les Pompiers de Paris, des faits particulièrement graves sont encore commis.

L’alcool joue souvent le rôle de désinhibiteur et ouvre la porte à tous les excès, sexuels en particulier. On fait boire une jeune fille ou un garçon puis on le viole en pensant qu’il ne se souviendra de rien et que l’auteur des faits, lui-même en état d’ébriété, n’aurait pas tout à fait été responsable de ses actes au moment des faits.

Les témoins des faits, jeunes ou adultes, personnels d’encadrement, qui assistent parfois à la scène dans l’euphorie de la fête et de l’alcool en oublient que certains comportements sont intolérables et se rendent complices de faits délictueux. Il est même fréquent qu’on filme la scène avec un téléphone portable. 

Voici quelques exemples de témoignages reçus par le Comité nationale contre le bizutage (CNCB)

Ecole :"Ma fille a été victime d’un viol par son parrain lors d’une intégration qui a eu lieu sur le temps scolaire en septembre 2012. Elle était mineure au moment des faits et une autorisation nous avait été demandée. Au début il s’agissait de jets d’œufs et de farine. Au cours de la soirée on avait bu et de la drogue avait circulé. Les faits se sont déroulés dans une tente. Elle ne rappelle pas ce qui s’est passé mais son agresseur a tout raconté sur Facebook. Des témoins ont assisté à la scène."

Ecole : "Carnet autour du cou avec un nom de fantaisie, nouveaux vêtus de sacs poubelles, pompes d'un garçon sur une fille, obligation de montrer ses fesses pour ne pas être jeté dans le canal en cas de refus. Le directeur dit qu’on met gentiment les nouveaux dans le bain, un professeur parle d’un accueil bon enfant et drôle."

Ce lycée technique possède un internat et de nouveaux élèves y subissent des sévices individuels. Il a fallu qu’une famille dont le garçon de 16 ans avait été victime d’un simulacre de viol avec un barreau de chaise et de « tartinage» au dentifrice porte plainte et alerte le CNCB pour que l’affaire s’ébruite.

L’adolescent qui a parlé a été traité de balance et harcelé au point qu’il a du quitter l’établissement. 

Les internats sont des lieux favorables aux viols.

Pompiers : Bizutage avec ingestion de produits divers, photos prises sous la douche, simulation d’acte sexuel, attouchements….ont été stoppés par un supérieur qui a accepté de témoigner. Deux pompiers sur les trois mis en cause ont démissionné pour échapper au conseil de discipline. La jeune fille a été mutée. La plainte déposée a été classée sans suite. Le dossier établi en interne n’a pas été demandé, les photos prises lors du bizutage non plus. Des certificats médicaux ont été produits : la jeune fille est suivi depuis par un psychiatre, elle comptait sur des sanctions pénales à l’encontre de ses bizuteurs, ils bénéficieront semble-t-il de l’impunité, elle ne peut pas l’accepter.

Obliger les nouveaux à se dénuder, souvent dans l’espace public : fontaine, place… c’est une garantie d’humiliation facile. On voit des garçons qui cachent leur sexe avec leurs mains pour échapper au regard des passants, des filles qui cachent leurs seins pour préserver leur pudeur. Toute atteinte à l’intégrité corporelle est une violence grave, la victime se sent salie et elle a souvent beaucoup de difficulté à  témoigner de ce qu’elle a subi comme si en parler était une humiliation supplémentaire. Il est toujours difficile de transgresser le tabou de la sexualité même quand on est la victime.

La loi du silence fait obstacle à l’éradication du bizutage car sans témoignage il n’y a pas d’action possible ni en justice, ni au sein des établissements concernés. La victime pense que si elle n’en parle pas elle finira par oublier, ce n’est pas vrai. Il n’est pas rare que les victimes nous appellent des années après les faits pour savoir comment agir, comment obtenir réparation du préjudice subi pour pouvoir enfin tourner la page.

La méfiance doit être la règle car on a parfois changé les mots sans changer les choses: on ne parle plus de bizutage mais d’intégration. Si les faits les plus graves en particulier à connotation sexuelle ont diminué, l’alcool a souvent remplacé d’autres pratiques car il est facile de prétendre qu’on n’a obligé personne à boire même si les nouveaux vont boire pour faire comme tout le monde et ne pas risquer d’être stigmatisés. Les comas éthyliques ne sont pas rares, les décès non plus.

Attention aux bonnes actions type actions « humanitaires» au cours desquelles on oblige les nouveaux « à faire » sous l’œil des anciens.

Bizuter c’est faire faire, accueillir c’est faire ensemble

Le bizutage sévit partout et pas seulement dans l’enseignement supérieur, il touche aussi les lycées et leurs sections d’enseignement supérieur, les sections sport-études, les lycées agricoles, les internats, l’armée, les pompiers, le sport…..

Le bizutage prépare nos élites au harcèlement dans l’entreprise. Le « bon » bizuteur est un potentiel harceleur. 

Les victimes, si elles dénoncent les faits, sont presque toujours obligées de quitter l’établissement, de renoncer aux études envisagées, à leur carrière professionnelle. C’est donc le plus souvent la victime qui est pénalisée, les auteurs des faits étant trop souvent peu ou pas sanctionnés.

Le jeune qui a accepté peut avoir honte de ne pas avoir pu ou su dire non. Les traumatismes psychologiques sont fréquents et parfois graves.

Les jeunes femmes sont des victimes  potentielles faciles : les obliger à se dénuder, à simuler des actes sexuels, à chanter des chansons obscènes entre autres, pour les humilier n’est pas rare. Le machisme reste une réalité.

Pour que le bizutage cesse il faut une prise de conscience de tous : parents et enseignants doivent inculquer aux jeunes, dès le plus jeune âge, les notions élémentaires du vivre ensemble : respect de soi, respect de l’autre, respect des droits de l’homme, esprit critique. Des actions de prévention devraient être organisées pour favoriser cette prise de conscience.

Les équipes éducatives et les hiérarchies doivent être particulièrement vigilantes, c’est leur responsabilité, de vérifier que les week-ends et soirées d’intégration même si ils ont lieu en dehors de l’établissement, ne cachent pas des bizutages. Le programme de ces festivités doit être connu et validé par l’encadrement.

Il y a trop de complaisance envers les bizuteurs et ceux qui les laissent faire. Les sanctions doivent être exemplaires et dissuasives. Les plaintes sont trop souvent classées sans suite.

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