That is the question
Que faire de la dette ?
Les analyses de François Leclerc écrites entre septembre 2011 et mars 2012 sur le blog de Paul Jorion éclaircissent la crise du capitalisme financier. Une seule certitude parcourt les "Chroniques de la Grande Perdition": la crise a brisé un cadre qui se voulait immuable, la voie est ouverte pour que se dessine une succession émancipatrice au système actuel (Extrait 2/2).
Le débat sur la dette ne fait que commencer, opposant les partisans de trois stratégies possibles. Ceux qui prétendent à tout prix la rembourser jusqu’à un certain seuil – quitte à la refinancer dans un premier temps – ceux qui préconisent de la monétiser, ainsi que ceux qui estiment indispensable de l’annuler partiellement (et dans certains cas totalement). Depuis le dernier sommet, les premiers ont de facto écarté la possibilité de mettre à contribution les créanciers.
Les tenants de l’option A – un remboursement s’appuyant sur l’austérité budgétaire – sont à la manoeuvre, sans succès notable à ce jour et restant sur la corde raide. Au mieux peuvent-ils espérer, s’ils parviennent toutefois à stabiliser la situation, faire tomber les pays européens dans une « trappe à liquidité », une longue période de récession accompagnée d’une régression de la protection sociale. Le modèle qui menace toute l’économie occidentale et que connaît déjà le Japon. Mais ce n’est pas l’hypothèse la plus probable, étant donné l’incapacité des dirigeants européens à prendre la mesure de la crise et à saisir sa nature, ainsi qu’en raison de leur choix stratégique de préserver au maximum les investisseurs privés.
C’est là qu’interviennent les tenants de l’option B – une monétisation par la BCE – qui attendent que leur heure arrive. Il ne peut être exclu qu’ils aient de ce point de vue finalement raison, mais cette solution de dernier ressort sera alors couplée avec les mêmes restrictions budgétaires que l’option précédente, créant les mêmes effets. Le déséquilibre enregistré au bilan de la BCE ne pourra éternellement être éludé, réclamant sa recapitalisation par les banques centrales nationales, c’est à dire par les Etats en dernière instance. On reviendrait au point de départ. Cette crise a déjà démontré qu’aucun instrument financier sophistiqué ne pouvait effacer les risques, elle montrera qu’il en est de même des pertes.
Les options A et B ont par ailleurs en commun de laisser aux marchés un contrôle de la dette que l’on sait maintenant pouvoir vite être insupportable, et de ne pas toucher aux mécanismes de la machine à fabriquer de la dette. Tout en reconnaissant que celle-ci ne va plus pouvoir avoir le même rendement, qu’il va falloir d’un côté revoir les modèles des banques, et de l’autre restreindre la distribution du crédit. Ce qui, couplé avec une baisse des prestations sociales, va accroître la pauvreté et les inégalités sociales, faute d’une refondation distributrice de la politique fiscale.
Reste la dernière option, la C, qui est rejetée au nom de son irréalisme, puisque ruinant les petits rentiers, comme on disait autrefois des effets de l’inflation, pour ne pas parler des grands. Mettant symboliquement en avant comme obstacle les pertes des détenteurs d’assurance-vie. Annuler en totalité ou en partie la dette, ce serait se tirer une balle dans le pied. Cette argumentation permet de comprendre l’intérêt pour le système de promouvoir la retraite par capitalisation ou l’assurance médicale, deux manières de prendre en otage les petits rentiers, pour se réfugier derrière eux. C’est l’équivalent de la généralisation de la propriété immobilière, destinée à mouiller tout le monde dans la combine.
Première réponse, il faut se demander s’il y aura le choix à l’arrivée, si une restructuration ordonnée de la dette pourra être évitée ! Il est invraisemblable – dans le contexte récessif prolongé qui se présente – que des taux de croissance et des excédents budgétaires primaires seront atteints et dégagés, qui seuls permettraient de redescendre aux ratios d’endettement préconisés. La provenance de cette croissance restant par ailleurs mystérieuse. A l’inverse, il est nécessaire de s’interroger sur l’ampleur des sacrifices sociaux qu’il va falloir imposer, ainsi que sur le risque d’une explosion sociale, ou bien encore sur la dérive d’une société cherchant à l’endiguer avec un mélange de contrôle social et de répression.
La seconde est plus technique, s’appuyant sur l’idée que, les créanciers de la dette souveraine identifiés et répertoriés, leur sort pourrait être différencié, et certains catégories d’entre eux pourraient bénéficier d’échanges d’obligations favorables. Avec l’idée de préserver les personnes physiques, dans une certaine limite et à condition qu’elles soient fiscalement en règle.
Un tel processus impliquerait une destruction importante de la richesse dite patrimoniale, ce qui vaudrait à tout prendre mieux que la méthode classique jusqu’à maintenant employée, c’est à dire la guerre. Cela aboutirait également à percer l’énorme bulle financière qui s’est constituée au fil des dernières décennies, qui n’est plus porteuse que d’une logique destructive. Pour le coup, ce serait faire « le travail de Dieu » dont s’est prévalu le PDG de Goldman Sachs, mais pas exactement dans le sens qu’il entend.
Quel mécanisme pourrait être mis en oeuvre, afin de procéder à une telle restructuration géante ? Vu l’extrême complexité de l’échafaudage de la finance, il est probable qu’un véritable séisme secouerait tout le système et qu’il faudrait donc prioritairement isoler ceux qui doivent être protégés. La suite ne pourrait que faire l’objet d’une remise à plat du système financier dans son ensemble, étant donné le rôle qu’y jouent les obligations souveraines, point d’appui pour ses établissements financiers et collatéral pour de nombreux produits et transactions. Par analogie, mais à une toute autre échelle, cela serait comparable avec le détricotage de Lehman Brothers, suite à sa faillite, qui vient d’aboutir. Des dispositions provisoires devraient certainement être prises, afin d’éviter un effondrement de l’ensemble du système financier atteignant l’économie, en raison du temps qui serait nécessaire pour réaliser l’opération.
__________________________
Extrait de Chroniques de la grande perdition : La fin d'un monde, Osez la République Sociale (1 mai 2012)
En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.
Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !