Jean-Claude Trichet : sado-monétariste ou apôtre de l’intelligence économique ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Jean-Claude Trichet :
sado-monétariste ou apôtre
de l’intelligence économique ?
©

Europe - Economie

L'actuel président français de la Banque Centrale Européenne est régulièrement attaqué de doutes parts, mais il reste droit dans ses bottes, fidèle à ses conceptions économiques. Et s'il avait raison ?

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

Voir la bio »

A l’époque où l’ex-Président de la banque centrale américaine AlanGreenspan passait pour le gourou de la politique monétaire, le grand jeu était de le comparer à Jean-Claude Trichet. Comparaison dont on tirait des commentaires condescendants sur Trichet, accusé d’incarner une version énarchique du "sado-monétarisme".

Aujourd’hui, Greenspan est tombé dans les oubliettes de l’Histoire, ceux qui le portèrent aux nues au mieux oublient ce que furent leurs louanges de naguère, au pire le déchirent sans vergogne. Pourtant même si de ce fait, la critique de Trichet se fait moins systématique, elle subsiste. Et chaque hésitation sur l’avenir de l’économie européenne s’accompagne encore de propos réservés ou désobligeants sur lui.

Attitude absurde car Trichet – dont le mandat à la tête de la Banque Centrale Européenne (BCE) arrivera à son terme le 30 octobre 2011 - incarne l’intelligence économique, non pas au sens déformé qu’on lui donne aujourd’hui en important l’expression anglo-saxonne, mais au sens banalement français de compréhension des enjeux de politique économique.

Jean-Claude Trichet : pourfendeur de l’inflation

Dans les années 1980, haut fonctionnaire au Trésor, Trichet a théorisé la désinflation compétitive. C'est-à-dire l’affirmation que, contrairement à la vision sommaire de la courbedePhillips défendue par les tenants d’un keynésianisme simplifié – un keynésianisme que les économistes qualifient souvent d’"hydraulique" - l’inflation ne sert pas à réduire le chômage. Au contraire, si on revient aux moteurs de la croissance réelle, de la croissance que sont les exportations, l’investissement et la politique budgétaire, l’inflation en handicapant les exportations devient rapidement un facteur de régression dans une économie ouverte.

Devenu banquier central, Trichet s’est attaché à maintenir cette idée que l’inflation est plus nocive qu’utile. Nommé à la tête de la BCE, il s’est heurté aux critiques acerbes des adorateurs aveugles de la politique américaine. Celle-ci aurait montré que des taux d’intérêt bas conduisent à plus de croissance et non à plus d’inflation. Cette analyse reposait sur une erreur d’interprétation de la réalité américaine. La croissance économique des États-Unis dans les années 2000 a été obtenue au prix d’une inflation importante, même si cette inflation n’apparaissait pas dans l’évolution de l’indice des prix à la consommation. En effet, le gap inflationniste aux Etats-Unis, c'est-à-dire l’écart lié à une demande supérieure à l’offre,  se traduisait par un déficit extérieur colossal, inondant la planète de dollars et suscitant les déséquilibres à l’origine de la crise actuelle. Trichet lui est resté ferme sur ses objectifs : 2 % de hausse des prix - depuis qu’il est à la tête de la BCE, la moyenne est de 1,97 % - et un équilibre extérieur correspondant à une égalité parfaite entre l’offre et la demande en zone euro.

Du courage, pas de la démagogie

Face à ces résultats, il est de bon ton d’en dénoncer le prix : la croissance serait moindre en Europe qu’aux États-Unis. Vu la situation du chômage aux États-Unis, on peut émettre des doutes sur la bonne santé économique de ce pays, qui paie au travers de la crise actuelle les conséquences de l’incroyable laxisme monétaire antérieur. La crise des finances publiques européennes serait une autre manifestation des conséquences négatives de la politique de la BCE : le laxisme budgétaire aurait compensé la rigueur monétaire. Mais ce sont les pays qui ont été les plus rigoureux en termes de finances publiques qui ont les meilleurs résultats en termes de croissance. Et donc Trichet n’est pas comptable des errements grecs, irlandais ou espagnols.

Qui plus est dans la crise, il a fait preuve d’une souplesse et d’une capacité d’adaptation remarquables. Dès les premiers craquements  des subprimes  en 2007, la BCE a refinancé les banques en difficulté. Elle refinance maintenant les Etats, conformément  à l’accord du 9 mai 2010 et prend  sans hésitation les obligations émises par les Trésors des pays de la zone. Face à l’offensive politique anti-euro, où se mêlaient eurosceptiques, presse anglo-saxonne et "idiots utiles" divers, Trichet a rappelé que son rôle était d’être le "prêteur en dernier ressort" du système et qu’il assumerait pleinement ce rôle. C’est  dans ce cadre qu’il s’est opposé à juste titre à la venue du FMI. Le FMI a été créé pour aider les pays en déficit extérieur. Or la crise des finances publiques européennes n’est pas une crise de déficit extérieur. A chacun son métier. En proposant l’intervention du FMI, Madame Merkel a cru amadouer son opinion et punir les pays mal gérés ; elle a puni surtout la construction européenne. En acceptant cette intervention, Nicolas Sarkozy s’est fait le complice, certes réticent, de cette ineptie. En revanche, en  s’y opposant, même vainement, Trichet a confirmé qu’il maîtrisait pleinement son rôle de banquier central, à savoir : être là pour financer l’économie, c'est-à-dire pour éviter les risques systémiques et laisser se créer la monnaie dont a besoin la richesse pour circuler, et éviter toute inflation, que ce soit sous forme de hausse des prix ou de déficit extérieur.

En faisant de Trichet une sorte de bouc émissaire, une partie de la classe politique française, et plus généralement européenne, s’offre donc la facilité de ne pas avoir à remettre en cause ses pratiques économiques. Pourtant, Trichet n’est pas le "sado-monétariste" que l’on décrit. Il est le banquier central dont nous avons besoin. En revanche, ses détracteurs sont des euro-masochistes, qui ne donnent à leur peuple que souffrance comme perspectives de construction européenne. C’est à eux de changer et pas à Trichet.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !