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Le difficile amaigrissement de l’État
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Dette publique

Alors qu'un projet de loi pour maitriser la dette publique est à l'ordre du jour du Conseil des ministres ce mercredi 16 mars, la question se pose de la maitrise des finances publiques. Élu sur un programme volontariste en la matière, Nicolas Sarkozy peine à les réduire. Et si le vrai défi de la réforme de l’État relevait davantage d’un problème de management que d’un déséquilibre entre les dépenses et les recettes ?

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Le gouvernement mène depuis juillet 2007 une ambitieuse « révision générale des politiques publiques » (RGPP). Le bilan de cette politique est fort décevant. Avec 7 milliards d’économies réalisées en année pleine, on est bien loin d’atteindre une grandeur significative, quand on compare ce chiffre aux 148,8 milliards du déficit 2010!

Si l’on ajoute le chiffre annoncé avec fierté des 34 000 postes de fonctionnaires non remplacés à grand peine en 2010, chiffre pourtant absolument dérisoire rapporté à nos 5 millions de fonctionnaires (toutes fonctions publiques confondues), on aura compris qu’aucun début de réponse sérieuse n’est actuellement apporté au déséquilibre chronique de nos finances.

Quand le management explique le déficit budgétaire de l’État

Si les économistes s’expriment souvent sur le sujet – pour alerter ou rassurer sur la soutenabilité d’une dette de près de plus de 1 570 milliards d’euros – il est rare que les spécialistes de management apportent une contribution. Ils peuvent pourtant expliquer l’incapacité évidente de notre État à subir un régime d’amaigrissement radical.

Entre 1980 et 2008, la fonction d’Etat a augmenté de 14 %, la fonction publique hospitalière de 54 % et les agents des collectivités locales de 71 %. Le plus étonnant dans cette explosion des effectifs – qui en elle-même dépasse de bien loin la croissance de la population, c’est-à-dire sa croissance « normale » –, c’est qu’elle a eu lieu, en ce qui concerne la fonction publique d’Etat, alors même que la décentralisation transférait de nombreuses compétences aux collectivités locales. Les spécialistes de management et des organisations comprennent pourtant sans mal les mécanismes à l’œuvre dans ce phénomène. Il s’agit en effet, de manière flagrante, d’un phénomène organisationnel bien connu : l’autolégitimation.

L’autolégitimation du service public

L’autolégitimation est la tendance observée qu’a toute organisation à légitimer sa propre existence, même si la fin pour laquelle elle avait été créée a disparu. Comme le suggérait Spinoza, toute entité vivante cherche à « persévérer dans l’être ». C’est vrai des animaux, des plantes, des individus, mais aussi des groupes humains. Si les entreprises privées ne peuvent guère survivre à leur absence d’utilité (à leur absence de création de valeur), les administrations publiques en ont la capacité. Initialement créées pour fournir tel ou tel service à la population, la suppression de ce service n’entraîne pas automatiquement la suppression (pourtant logique) de l’administration correspondante. On cherchera plutôt à trouver une nouvelle utilité – réelle ou supposée –  à la structure existante. On oublie ainsi que l’administration n’existe pas pour occuper des fonctionnaires, mais pour être utile aux citoyens.

Une expérience célèbre rend compte de façon extrêmement claire de ce phénomène très puissant de l’autolégitimation. Elle est rapportée par Festinger dans son livre de 1956 L’échec d’une prophétie. Une secte millénariste voit arriver le jour en vue duquel elle s’est développée et a recruté des adeptes : celui de l’apocalypse. Surprise, la fin du monde ne se produit pas comme annoncé… Que pensez-vous qu’il advint ? La secte s’est-elle dissoute en reconnaissant son erreur ? Au contraire, elle s’est radicalisée, repoussant simplement la date prévue pour la fin du monde sous un prétexte vite trouvé. Conclusion : une organisation survit très souvent à l’objet qui avait initialement motivé sa création !

Les « missions fictives » des universités et administrations

Le principe est déclinable à la plupart des organisations. A l’université par exemple, telle discipline qui n’a plus guère d’étudiants se battra pour conserver le même nombre de postes de professeurs, justifiant ces recrutements « dans le vide » par les « impératifs de la recherche ». Mais le cas le plus flagrant reste celui des administrations. N’est-ce pas précisément ce phénomène que nous pouvons comprendre dans le maintien des 100 000 fonctionnaires de Bercy malgré l’apparition de l’informatique censée permettre d’immenses gains de productivité ?

De même, entre 1980 et 2001, au moment des lois de décentralisation, alors que la fonction publique territoriale a crû de 38 %, la fonction publique d’Etat, bien loin de se réduire, a augmenté de 15 % ! La fonction publique totale a ainsi progressé deux fois plus vite que l’emploi total sur cette période (23 % contre 13 %). Dans de nombreux cas, on constate ainsi que l’offre de service crée la demande, autrement dit que le personnel embauché trouvera toujours une façon de justifier son existence en s’inventant de nouvelles « missions ». Ces missions consistent souvent en la gestion d’une complexité que l’organisme lui-même s’est employé à créer.

La réforme de l’Etat est donc (aussi) un problème de management. Pour régler le problème du niveau démesuré de nos dépenses publiques (dont ont sait que la charge de personnel constitueprès de 41%), le gouvernement doit avoir le courage de mettre en place de réels « états généraux de la puissance publique » qui ne soient pas dominés et stérilisés par des hauts fonctionnaires trop suspects eux-mêmes de succomber à la tentation de l’autojustification.

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