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Pourquoi la France et l’Allemagne, 
moteurs de l'Europe, 
sont condamnées à s’entendre
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O Freunde, nicht diese Töne!

Pour son premier déplacement à l'étranger, le jour même de sa prise de fonction, François Hollande a rencontré ce mardi la chancelière allemande Angela Merkel. Ils ont discuté de la crise en zone euro, contre laquelle ils prônent des politiques radicalement différentes : croissance pour l'un, austérité pour l'autre. Mais quelques soient leurs divergences, politiques ou personnelles, les deux pays seront par nature amené à travailler ensemble.

Isabelle Bourgeois

Isabelle Bourgeois

Isabelle Bourgeois est chargée de recherches au Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC) et rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande. Bulletin économique du CIRAC.

Elle est également l'auteur de PME allemandes : les clés de la performance (Cirac, 2010).

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Atlantico : François Hollande a effectué ce mardi son premier voyage en tant que Président de la République, et à choisi l’Allemagne. Ce choix était-il nécessaire ou symbolique ?

Isabelle Bourgeois : Ce n’est pas symbolique du tout : au contraire, c’était une nécessité absolue. Les dossiers de politique européenne concernent les intérêts communs à tous en Europe, à la France, à l’Allemagne et aux autres. La France et l’Allemagne sont au sein de l’UE les deux modèles économiques et sociaux les plus antinomiques qui soient. Ils ont donc de ce fait une obligation de résultats. Tant que l’eau et le feu, la France et l’Allemagne, ne parviennent pas à un accord, l’Europe ne peut pas progresser.

S’ils sont si différents, comment peuvent-ils parvenir à un accord ?

En négociant, en essayant de trouver des compromis qui permettent à chacun de s’y retrouver.

Les politiques prônées par François Hollande et Angela Merkel sont pourtant radicalement différentes. D’un côté la croissance, de l’autre l’austérité…

Il faut distinguer entre les mots et les faits, entre la période électorale actuelle et le sérieux des dossiers ultérieurs. Pendant encore quatre semaines, il va y avoir un flou sur ce qu’on entend par croissance. Le nouveau président, n’ayant pas encore de majorité parlementaire, ne peut pas dire clairement ce qu’il veut faire. L’Allemagne et un certain nombre d’autres pays estiment que le retour de la croissance et de l’emploi ne passera que par des finances publiques saines et le refus de recourir à la dette pour redistribuer. C’est tout l’inverse de la politique française telle qu’elle semble se dessiner dans la campagne.

Il serait bon que François Hollande nouvellement arrivé donne un gage montrant à l’espace public mondial, aux marchés, aux investisseurs, aux entreprises et aux consommateurs, que la France assume ses engagements européens.  Il doit le faire rapidement, car la crise qui se joue en Europe est une crise de croissance et elle se nourrit du laxisme budgétaire d’un certain nombre d’états membres, dont la France. Elle doit donc, surtout après la campagne menée par le PS, montrer qu’elle tient ses engagements et que c’est la priorité absolue pour elle. La manière de formuler ces engagements relève de la diplomatie, et là il y a un grand champs possible de formules plus ou moins agréables à entendre. La chancelière sachant cela, elle va appuyer sur la nécessité de la consolidation des finances. C’est ça l’enjeu. La France n’a aucune latitude d’action, elle ne peut pas jouer à essayer de changer le monde.

Face à ces divergences, doit-on parler pour le couple franco-allemand d’un mariage d’amour ou un mariage de raison ?

C’est clairement un mariage de raison, puisque les différences sont fondamentales entre les approches des deux pays. C’est même un mariage d’affaires. La bonne relation de partenaires en affaires, la confiance mutuelle, apporte une bonne qualité de relations par la suite. On en a de nombreux exemples dans l’Histoire ; par exemple, Kohl et Mitterrand : rien ne les destinaient à s’entendre, mais ils ont fini en faisant mieux connaissance à faire avancer singulièrement l’intégration européenne.

Nicolas Sarkozy avait un temps essayé de se rapprocher de Londres, sans succès, avant de se retourner vers l’Allemagne.  Comment expliquer cette relation entre la France et l’Allemagne ?

C’est l’attirance entre l’eau et le feu. Dans les 27 pays de l’UE, il y a une énorme diversité des approches. Les approches les plus contraires qui existent, dans cette union, sont celles de la France et l’Allemagne. L’ensemble de l’Union ne peut donc progresser que si les deux contraires arrivent à se joindre. C’est l’enjeu réel du couple franco-allemand : ce n’est pas une question d’amour, de partenariat privilégié, c’est surtout le fait que dans l’approche de la construction européenne, il faut impérativement que la France et l’Allemagne arrivent à trouver un terrain d’entente. Une fois que cela est fait, il est bien plus facile de négocier avec les autres.

Les différences entre nos deux pays sont une force, car elles permettent de dégager des complémentarités. Il ne s’agit pas que tout le monde fasse la même chose, ou suive le soi-disant modèle Merkel. Il s’agit pour chacun de trouver ses spécificités et d’arriver à les mettre au pot commun de manière à ce qu’elles profitent à l’ensemble de la communauté.

Angela Merkel a pourtant été accusée ces derniers mois de vouloir imposer le modèle allemand à ses partenaires européens…

C’est comme ça qu’on a voulu la présenter en France, car on ne voulait pas affronter la réalité du problème budgétaire. C’était le fameux déni du réel, toujours très marqué d’ailleurs. On s’est dédouané en disant que Merkel voulait imposer son modèle, ce qui est un processus très connu en psychologie : quand on ne veut pas affronter un problème, on invente quelqu’un qui vous l’impose.

Ce n’est pas le cas : l’Allemagne a été modèle malgré elle. Il se trouve que c’est l’économie européenne qui marche le mieux : c’est un modèle social toujours finançable et très généreux. Cela s’explique par le fait que l’Allemagne a été pratiquement la seule à mettre en œuvre la stratégie de Lisbonne. En 2000, les Etats membres s’étaient mis d’accord sur une stratégie de modernisation de leur économie. Tout le monde avait décidé des réformes structurelles,  mais seule l’Allemagne a commencé à les mettre en œuvre en 2003, car elle était acculée.  A l’époque, c’était « l’homme malade de l’Europe ». Il n’y avait donc pas d’autre issue possible que d’attaquer les problèmes de fond. Aujourd’hui, c’est à nous de faire l’effort nécessaire.

 Propos recueillis par Morgan Bourven

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