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Black Lives Matter : les solutions existent, encore faut-il vouloir les appliquer
©Oli SCARFF / AFP

Mort de George Floyd

Jean-Claude Beaujour, Vice-président de France-Amériques et avocat international, revient dans cette tribune sur le mouvement Black lives matter et sur la violence qui enflamme Minneapolis depuis la mort de George Floyd.

Jean-Claude  Beaujour

Jean-Claude Beaujour

Jean-Claude Beaujour est avocat. Il est également vice-président de France-Amériques.

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Partout aux Etats-Unis et dans le monde entier (en Europe, en Asie, en Afrique) de nombreuses voix s’élèvent pour exprimer leur indignation après l’assassinat le 25 mai dernier de George Floyd, un homme noir de 46 ans. Grâce à une vidéo amateur, la terre entière peut voir un homme face contre terre, un officier de police un genou sur son cou alors qu’il est manifestement hors d’état de nuire et qu’il n’oppose aucune résistance. George Floyd, qu’on entend dire respectueusement au policier qu’il ne peut pas respirer, va finir par suffoquer au bout de huit minutes et 46 secondes dans cette même position. Cette mort violente, affichée encore et encore aux yeux de l’Amérique tout entière mais aussi du reste du monde, est à l’origine d’émeutes virulentes à Minneapolis comme dans le reste du pays – de New York à Los Angeles en passant par Boston, Atlanta ou encore Chicago. A Washington Donald Trump a même été conduit dans le bunker sécurisé de la Maison Blanche, ce qui n’était pas arrivé depuis le 11 septembre 2001 !

À bien y réfléchir ce n’est pas une surprise. Ces réactions populaires sont une façon pour le peuple de dire qu’il n’en peut plus de cette souffrance gratuite et de cette société gangrénée par le racisme ordinaire.

Les émeutes de cette semaine ne sont d’ailleurs pas seulement des réactions contre l’assassinat de George Floyd. Elles représentent aussi une réaction contre les violences commises contre Emmett Till en 1955[1] et plus récemment contre Rodney King, passé à tabac en 1992 à Los Angeles par quatre policiers blancs qui furent acquittés.

Et ces émeutes sont précisément celles qui sont à l’origine du mouvement « Black Lives Matter », en français « La vie des Noirs Compte ». Ce mouvement visant à dénoncer la violence et le racisme envers les Noirs a été créé en 2013, après l’acquittement de George Zimmerman qui avait tué par balle Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans, pourtant non armé. Force est de constater que le « Black Lives Matter » est né sous la présidence de Barack Obama. Et pourtant c’est comme si le fait d’avoir élu le premier Président noir des Etats-Unis n’avait pas permis au pays de se réconcilier avec son histoire : celle de la ségrégation raciale. Comment expliquer un tel mouvement, plus d’un demi-siècle après le discours de Martin Lutter King le 28 août 1963, « I have a dream » et 5 ans après le discours de Philadelphie du 18 mars 2008, « A more Perfect Union »" (« Nous le Peuple, en vue de former une union plus parfaite ») ?

À l’époque, Barack Obama, alors Sénateur de l’Illinois et candidat à l’investiture démocrate, invitait ses concitoyens à travailler ensemble pour dépasser quelques-unes de leurs plus anciennes et profondes blessures raciales en vue de progresser sur la voie d’une union plus parfaite. En l’élisant Président des États-Unis, puis en le réélisant quatre ans plus tard, d’aucuns auraient pu penser que le peuple tout entier avait adhéré à ce projet. Las, la mort de George Floyd nous pousse à constater qu’il n’en est rien et qu’à tout le moins le chemin est encore long avant d’aboutir à une société apaisée.

Tout d’abord, si le principe d’égalité entre les citoyens est reconnu par la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis et que des politiques d’égalité des opportunités sont mises en place, les traitements discriminatoires que subissent les Afro-Américains en matière d’éducation, de logement, d’emploi, de revenus et de santé continuent de subsister.

Ensuite, si chacun s’accorde à dire qu’il y a dans le corps social américain des oubliés du système « The forgotten Americans », qui compteraient pour plus de 60% de la population du pays[2] - les Noirs américains sont les oubliés des oubliés. En effet, leur proportion serait encore plus importante parmi les chômeurs et la population ayant besoin de formation. Une tendance qui ne peut que s’accentuer, et ce d’autant que nous vivons à l’échelle de la planète une transformation digitale de notre économie, dont le caractère critique et l’usage sont soulignés au centuple par la crise du Covid19. De fait, ceux qui sont déjà moins formés subissent la double peine : ils courent encore plus de risques de ne pas avoir accès aux nouveaux emplois alors que dans le même temps ils souffrent de la perte des emplois qui sont en passe de ne plus exister. C’est donc précisément vers ces populations que devraient se porter les efforts des politiques publiques, faute de quoi les tensions entre gagnants et perdants de la révolution digitale ne pourront que s’accroître.

Enfin, l’accès aux soins est un facteur discriminant qui est édifiant puisque 40% des Noirs américains ne bénéficient d’aucune assurance santé, contre 14% des Blancs. Les Noirs sont le groupe le plus touché par les cancers, ils sont neuf fois plus souvent atteints par le sida que les Blancs, ont deux fois plus de risques d’avoir du diabète et le taux de mortalité des nourrissons Noirs est deux fois plus élevé que celui des Blancs[3].   

On le voit bien : si l’on peut être fier de réussites à l’instar de celle de Barack Obama, Vernon Jordan, Condoleezza Rice, Kanneth Chenault, Oprah Winfrey, Colin Powell, Jessye Norman et bien d’autres, ils ne représentent que quelques arbres cachant malheureusement une « forêt » en bien piteux état.

Il est bien loin ce mardi 20 janvier 2009, jour de l’investiture d’Obama, qui nous avait donné à tous le sentiment qu’une page de l’histoire américaine était en train d’être tournée. Nous pensions fermement que le temps de la réconciliation était enfin arrivé.

Les émeutes raciales aux États-Unis sont là pour nous rappeler que long est encore le chemin à parcourir avant de trouver un état de paix soutenable pour le plus grand nombre. Ces évènements nous indiquent surtout que les discriminations ne sont pas qu’un problème américain. Depuis le 28 mai, grondent dans plusieurs pays des centaines de milliers de voix qui se retrouvent dans cette souffrance dénoncée aux États-Unis, et ces voix sont notamment françaises. Sachons les entendre et apporter des réponses en droit et en humanité, nous qui nous revendiquons « Patrie des Droits de l’Homme ».

Plus que jamais s’imposent des politiques plus volontaristes. Tout d’abord il faudrait plus généralement revoir les méthodes d’intervention des policiers, qui pour selon certains experts sont militarisées. À l’instar du professeur Charles Ogletree de l’Université de droit de Harvard, on pourrait par exemple imaginer la mise en place d’un programme qui allierait formations et grands chantiers digitaux, qui aurait pour objectif la justice raciale, et qui s’adresserait à tous les démunis sans distinction ethnique afin de remédier à une situation sociale devenue explosive et durablement violente.

Les solutions sont là. Il est urgent d’agir !


[1] Emmett Till, assassiné le 28 août 1955 dans le Mississipi, par Roy Bryant et son demi-frère J W Milan qui furent acquittés ; ces derniers avouèrent plus tard être les auteurs du meurtre de l’adolescente afro-américaine de 14 ans.

[2] Isabel Sawhill, The forgotten Americans: an economic agenda for a divided nation, Yales University press, New Haven, 2018, pp 10-11

[3] Sylvie Laurent, La couleur du marché : racisme et néolibéralisme aux Etats-Unis, Seuil, Paris 2016, p.137

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