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Ces deux articles de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen que le gouvernement comme l’administration devraient réviser urgemment
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Contradictions

Face à la pénurie de masques, l'Etat a tardé à libéraliser leur vente, évoquant d'éventuels effets nuisibles. Ce cas est-il symptomatique de l'administration française ? N'est-elle pas en contradiction avec les articles 4 et 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ?

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico.fr : Malgré la pénurie de masques, l'État tarde à libéraliser leur vente, prétextant d'éventuels effets nuisibles. Cette interdiction "a priori" est-elle symptomatique de l'administration française ? N'entre-t-elle pas en contradiction avec les articles 4 et 5 de la DDHC ? ( article 4: La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : article 5: La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.)

Eric Verhaeghe : Aujourd'hui règne une très grande confusion sur le marché des masques, qui est considéré, rappelons-le, comme un dispositif médial. Il existe même une directive européenne sur le sujet, et sur la classification des masques. C'est dire s'il s'agit d'un problème beaucoup plus épineux qu'on ne l'imagine, puisque la vente de dispositifs médicaux suppose de répondre à bien des conditions réglementaires. Sur ce marché très réglementé, le gouvernement a commencé par décréter un embargo sur les importations de masques FFP2. Jusqu'au 21 mars, tout masque importé était réquisitionné par le gouvernement, en principe pour être distribué aux soignants. Voilà qui pose un sacré problème, rétrospectivement, pour tous ceux qui ont tardé à commander ces masques pour les soignants, alors qu'ils étaient alertés depuis un an sur l'état des stocks... Le 21 mars, le gouvernement a autorisé les commandes de masques, mais exiger d'être informé des commandes de plus de 5 millions d'unités. En outre, la production nationale était toujours réquisitionnée. Enfin, les pharmacies viennent seulement d'avoir l'autorisation d'en vendre. 

Ce qui est étrange, c'est qu'en situation de crise majeure, qualifiée comme on le sait de "guerre", le gouvernement ait multiplié les réglementations tâtillonnes sur un sujet sensible déjà très réglementé, là où il aurait fallu, au contraire, desserrer la contrainte en laissant chacun improviser les réponses qui lui convenaient. Mieux vaut un petit masque pas complètement réglementaire, plutôt que pas de masque du tout. Le gouvernement a fait le choix inverse, en interdisant tous les masques dans un premier temps, puis en limitant strictement leur accès. Sur ce point, on peut effectivement plaider une forte atteinte à la liberté d'entreprendre, et même aux choix individuels d'autant plus dommageable, insistons sur ce point, que dans les semaines à venir on regrettera amèrement de ne pas avoir incité tous les Français à porter un masque. 

Cette vision de l'interdiction "a priori" par l'administration française est-elle à l'origine du ralentissement de la mise en place d'un système efficace de protection sanitaire de la population face au Covid-19 ?

Eric Verhaghe : Incontestablement, on peut dire que l'administration française a porté une vision malthusienne en matière de prévention de la pandémie, qui mérite d'être analysée au-delà des polémiques et d'être comprise à la lumière de réflexes de caste très profonds. Originellement, les élites françaises n'aiment pas la prévention et préfèrent la curation. Cela se voit en matière d'assurance-maladie. Regardez les médecines naturelles, qui permettent de prévenir les maladies et qui encouragent les gens à obéir à des comportements sains : elles sont décriées, stigmatisées en France, alors qu'en Allemagne elles ont un statut quasi-officiel. Regardez le stock de masques : alors que Santé Publique France a émis l'avis en mai 2019 de décupler le stock existant, personne n'a bougé le petit doigt. Cette indifférence pour la prévention de la contamination en cas d'épidémie est bien la marque d'un système qui s'occupe plus de soigner les malades que d'éviter la maladie. Et c'est quand même début avril seulement qu'est partie la commande, préconisée par Santé Publique France un an plus tôt, d'un milliard de masques. Voilà qui en dit long sur l'insoutenable légèreté de l'État en matière de prévention de la maladie. 

Dans cette vision hostile à la prévention, qui mériterait d'être psychanalysée, les contrôles obsessifs de l'administration sont une suite logique. De mon point de vue, tout cela s'explique par une stratégie de contrôle et de "castration" individuelle. Dans la prévention, le citoyen reste maître de sa santé et agit pour sa propre préservation. C'est une façon de contester la toute puissance de la bureaucratie sanitaire, qui ne contrôle plus chaque geste, chaque étape de la santé. Dans la curation, au contraire, l'administration contrôle tout. Il importe donc de limiter au maximum le recours à la prévention des maladies, pour préserver le champ d'action de l'État-Providence tout puissant.  

Stéphane Rozès : Il y a eu une politique de désarmement sanitaire venant de l’administration. Elle n’a pas été en cohérence avec ce qui a prévalu dans les politiques des dernières années de principe de précaution et de prévention général. Ce sont des logiques comptables qui ont prévalu en matière sanitaire, perpétuées par une vision court termiste de gouvernements de gauche comme de droite. 

Aux mauvaises décisions politiques, s’est ajouté une défiance profonde de l’opinion publique vis à vis de l’État, pointant son manque d’anticipation de la pandémie. Les défaillances de l’État ont amené par la force des choses les citoyens, les collectivités territoriales, les entrepreneurs à se substituer à une administration incapable de garantir la sécurité sanitaire des citoyens. La pénurie de masques a été redoutable de ce point de vue. Elle a permis de pointer du doigts les incuries et les mensonges de l’État. Dès le début de cette crise, les Français ont eu le sentiment que les discours des personnalités politiques et des autorités médicales ne dépendaient pas d’une analyse à un instant T mais dépendait des disponibilités des réserves en terme de stock de masques qui ont existé dans le passé.

L'attitude présidentielle "je vais le faire moi-même comme ça ce sera mieux fait",  dénoncée dimanche par un préfet dans Libération, a créé un déficit de confiance entre une administration centralisée et les élus régionaux. Cette confrontation est-elle une conséquence des dysfonctionnements administratifs français ? L'État ne devrait-il pas d'avantage laisser sa confiance aux acteurs de santé pour faire face à la crise ?

Eric Verhaeghe : Il faut revenir aux fondamentaux du macronisme pour comprendre ce point. Emmanuel Macron dit souvent "protéger et libérer". C'est une formule paradoxale qui signifie en réalité "protéger pour contrôler". Nous touchons ici aux fondamentaux de l'État-Providence et à la stratégie d'autorité déployée par l'État. Alors que, dans une démocratie illibérale, l'État exerce son autorité de façon directe, policière, menaçante, de façon négative en quelque sorte, en France, paradis de l'État-Providence, l'autorité s'exerce par les externalités positives de la protection. L'État est obèse et intrusif pour votre bien, dans votre intérêt. C'est pour vous protéger, bien entendu. Le résultat est toutefois le même : l'État contrôle les individus et n'a qu'une idée en tête, réduire sans cesse la marge de liberté individuelle pour asservir la population. Insistons sur ce point : cet asservissement ne suit pas les voies coercitives, dures, de pays comme la Corée du Nord. Il parie sur le consentement à la servitude que chacun peut suivre par facilité, ou par paresse. L'État-Providence recherche l'addiction à l'asservissement chez chacun.

Dans ce cadre, il est assez naturel qu'Emmanuel Macron trouve dans la santé publique un espace idéal pour affirmer son sens de la verticalité. L'asservissement exige que les décision soient prises par l'État jacobin, depuis le sommet, et qu'il bannisse la déconcentration des pouvoirs. 

Stéphane Rozès : Dans les périodes d’inquiétudes, de crises, un réflexe de posture Bonapartiste du président revient. C’est à l’État de prévenir différents types de crises, notamment des crises sanitaires, et par la suite c’est à lui d’y répondre. Mais dans le cas de la crise du Covid-19, il est responsable de différents dysfonctionnements. L’État est composé de deux choses : d’une administration qui est là pour exécuter les directives du politique et à son sommet il y a des politiques qui doivent être en mesure de faire les bons choix, de bien arbitrer, de bien anticiper et notamment de mobiliser des entreprises. Le politique doit donner les bonnes instructions à l’administration. De ce point de vue, le politique a failli dans cette crise.

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