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Comment les menaces de Mike Pompeo ravivent les tensions au Moyen-Orient
©NICHOLAS KAMM / POOL / AFP

Danger de guerre ?

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a récemment indiqué que l'Iran devra "rendre des comptes" pour le lancement d'un satellite militaire. Ses menaces, ses déclarations et la stratégie américaine au Moyen-Orient peuvent-elles embraser la région ?

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

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Atlantico.fr : Au vu des derniers propos de Mike Pompeo sur l'Iran - dans lesquels il explique qu'une "guerre est possible" avec l'Iran - que penser de la situation actuelle au Moyen-Orient ? Existe-t-il un vrai danger de guerre ? 

Roland Lombardi : C’est du déjà vu. Cette déclaration fait suite à l’annonce de Téhéran à propos du lancement «avec succès» mercredi dernier d'un premier satellite militaire, deux mois après l'échec de la mise en orbite d'un satellite scientifique. Elle vient surtout après que le Pentagone ait accusé Téhéran de « manœuvres dangereuses » dans le Golfe la semaine dernière. En effet, selon Washington, une dizaine de vedettes rapides des Gardiens de la Révolution auraient approché à plusieurs reprises la proue et la poupe de navires américains, « à distance extrêmement rapprochée et à grande vitesse ».

Or, la crise du Covid a terriblement aggravé la situation socio-économique en Iran, déjà critique du fait des sanctions américaines. Téhéran avait même demandé à Washington une levée de celles-ci en raison de la pandémie et de ses conséquences. Sans succès.

C’est la raison pour laquelle, les autorités iraniennes ont d’ailleurs finalement décidé la fin du confinement et le redémarrage de l’économie afin d’éviter un effondrement général du pays. Nul ne sait pour l’heure, quelles seront les répercutions sanitaires de ce pari risqué à court et moyen terme...

En attendant, pour les Gardiens de la Révolution la situation est catastrophique. Ces provocations sont-elles un moyen de détourner l’attention d’une population toujours remontée envers le régime des mollahs ? Ou pire, une tentative, pour les plus radicaux, de déclencher l’irréparable pour unir derrière eux tous les Iraniens ? Ce serait un pari très risqué. 
En tout cas, ils ont surtout compris que la pandémie avait grandement affaibli les Etats-Unis et surtout leur président. En effet, la crise sanitaire mondiale a grandement impacté l’économie du pays. Plus de 20 millions de personnes seraient actuellement au chômage ! Un chiffre historique pour les USA. A cela, il faut ajouter l’effondrement sans précédent, lundi dernier, du prix du baril de pétrole aux Etats-Unis. Devant la chute de la demande et la saturation des capacités de stockage, le baril s’échangeait donc sur les marchés en début de semaine avec un prix négatif, soit – 37,63 dollars !

Tout ceci aura assurément un effet notable sur l’élection présidentielle de novembre prochain. Car même s’il ne faut pas l’enterrer trop vite, cela va être très compliqué pour Donald Trump, alors qu’il y a encore quelques mois, il était pourtant assuré d’être réélu.

Ainsi, certains responsables iraniens ont pu donc croire que c’était le bon moment pour « chatouiller » les Américains et leur mettre un petit coup de pression...

Or, dans la situation actuelle, avec la crise mondiale du Coronavirus, plus que jamais, ni les Etats-Unis et encore moins l’Iran, n’ont vraiment aucun intérêt à s’engager dans un conflit ouvert dans le Golfe. Nous sommes habitués à ce genre de déclarations belliqueuses sans suites sérieuses de part et d’autre. Certes, il ne faut pas tomber dans le « syndrome de Pierre et le loup » car le pire est toujours possible. Surtout que chaque escalade militaire obéit à sa propre logique. Toutefois, à mon avis, tout ceci n’est, encore une fois et pour l’instant, que posture. Et puis, grâce à ce regain de tensions dans le Golfe, le prix du pétrole remonte timidement... Dans le contexte actuel, c’est toujours ça de pris. 

Jared Kushner avait demandé d'attendre la réponse palestinienne sur la question des annexions. Or, Mike Pompeo n'a pas respecté cela. Cette attitude ravive-t-elle les tensions au Moyen-Orient ? Peut-on parler de dérapage et si c'en est un, n'y a-t-il pas un risque d'escalade de la violence ?    

Pompeo est ici dans une logique électorale interne. Car, comme je l’ai évoqué précédemment, en raison de l’influence de l’épidémie sur la présidentielle américaine de novembre prochain, l’application du plan Trump sera sûrement précipitée. Le secrétaire d’Etat américain a déclaré mercredi : «Quant à l’annexion de la Cisjordanie, les Israéliens prennent finalement ces décisions, c’est donc une décision israélienne. Nous travaillerons étroitement avec eux pour partager avec eux nos points de vue à ce sujet dans un cadre privé». Sans condamner explicitement les objectifs de Benyamin Netanyahou, il encourage donc celui-ci à accélérer ses annexions car tous les deux veulent aller vite. Je m’explique. Quand la crise sanitaire mondiale sera passée, il faudra revenir à la table des négociations avec les Palestiniens dans le cadre de l’accord du siècle. Pour le Premier ministre israélien, tous les points de l’accord portant sur la Judée-Samarie/Cisjordanie (qui permet à Israël d’annexer 30% de la Cisjordanie, y compris toutes les implantations et toute la vallée du Jourdain) sont très sensibles vis-à-vis de ses alliés politiques et de son électorat les plus à droite. « Bibi » sait pertinemment qu’il faut aller très vite sur la question de la vallée du Jourdain, mettre la barre très haut et aller très loin, avant les grandes concessions qu’il devra inévitablement faire par la suite. Pour cela, il doit profiter du contexte mondial actuel. Avec la pandémie, la communauté internationale a pour le moment d’autres chats à fouetter et détourne donc le regard. En interne, il doit tirer parti de « l’Union nationale » (très fragile là-bas aussi) et surtout de l’accord conclu lundi avec son principal adversaire politique Benny Gantz, le leader de l’opposition centriste. En effet, après seize mois d’une crise politique majeure et trois scrutins législatifs, puis face au drame sanitaire et économique, ce dernier a donc accepté la constitution d’un gouvernement d’ « urgence nationale » avec le poste de Premier ministre suppléant (Gantz deviendra ainsi Premier ministre dans un an et demi). Netanyahou doit par ailleurs profiter de la coopération actuelle, certes discrète mais bien réelle, avec l’Autorité palestinienne concernant la lutte contre l’épidémie. Cette aide israélienne est en quelque sorte le moyen, si j’ose dire, de faire passer la pilule à Mahmoud Abbas. Netanyahou doit surtout compter sur sa nouvelle « lune de miel » avec Benny Gantz. N’oublions pas que l’ancien chef d’état-major, comme les responsables de Tsahal, est très frileux à propos de la vallée du Jourdain. Dans tous les cas, l’accord de coalition entre Bleu et Blanc et le Likoud stipule que l’annexion peut être soumise à un vote au plus tôt le 1er juillet prochain, soit au cabinet, soit à la Knesset, « après discussion entre le Premier ministre et le Premier ministre suppléant », avec l’accord américain. Gantz a déjà obtenu que soit mentionnée la notion de consentement international (notamment de l’Egypte et de la Jordanie) au sujet de cette question. Est-ce que Netanyahou sacrifiera à sa décision ses bonnes relations avec Sissi et le Roi Abdallah II (l’Egypte et la Jordanie sont les seuls pays arabes à avoir signé un traité de paix avec l’Etat hébreu) ? Pas sûr... 

C’est pourquoi, je pense que d’ici là, l’annexion de la vallée du Jourdain, lourde de conséquences en terme de tensions sécuritaires comme politiques pour Netanyahou, pourrait très bien finalement être sacrifiée au bénéfice de l’annexion de plusieurs autres implantations de Cisjordanie. Le principe de rationalité prévaudra sûrement.

Au vu de ces agissements est-il possible de nous demander si nous sommes gouvernés par des irresponsables ? Pourquoi Mike Pompeo agit-il de la sorte ? Est-ce une ruse ? 

Absolument pas ! A l’inverse de ce que veulent nous faire croire certains, depuis l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, la politique américaine au Moyen-Orient n’a jamais été aussi prudente... et claire. Certes, le président américain n’entend rien à cette région. Il la méprise même. En outre, et c’est un énorme changement avec les stratégies du chaos de ses prédécesseurs, Trump, en dépit de ses propos et de ses positions qui peuvent paraître erratiques, tient ses promesses et sait ce qu’il veut. D’abord, il ne veut plus de guerres stériles et surtout trop coûteuses. Pour lui les notions de "regime change" et de "building nation", c’est fini ! Idem concernant le soutien plus ou moins occulte à l’islam politique. N’ayant plus besoin du pétrole moyen-oriental, il veut sincèrement désengager les Etats-Unis de ce guêpier (même si ce « retrait sera très relatif). Avec Israël, il veut son « deal du siècle » (pour sa gloire personnelle et sa réélection) et avec l’Iran, il veut forcer Téhéran à revenir à la table des négociations sur le nucléaire pour un « meilleur accord ». Avec la Turquie et l’Arabie saoudite, il leur a rappelé qui était le patron et les a sommé, avec plus ou moins de succès, notamment avec la Turquie, de mettre fin à leur ambiguïté vis-à-vis de certains groupes jihadistes. Enfin avec la Russie, il souhaite un modus vivendi sur la région. Quoi qu’il en soit, malgré les tensions et les coups de menton, depuis 2016, force est de constater que la région ne s’est toujours pas enflammée.  Comme je le rappelle souvent, cela n’aurait pas été la même chose avec Hillary Clinton. Au contraire de Trump, cette dernière, très liée à l’establishment et trop dépendante de certains lobbies va-t-en-guerre et néoconservateurs, aurait été beaucoup plus bornée et intransigeante sur certains dossiers comme par exemple avec la Russie et le sort d’Assad en Syrie...

Pour en revenir au secrétaire d’Etat Mike Pompeo, il ne faut pas se méprendre sur le personnage. D’abord, il est loin d’être un fou et encore moins un idiot. La haine, surtout idéologique, trouble souvent le jugement. Certes, Mike Pompeo peut être à juste titre considéré comme un « faucon ». Directeur de la CIA de 2017 à 2018, ne voulait-il pas que l’Agence soit « plus agressive, brutale, impitoyable, implacable » ? Soit. Mais est-ce vraiment un néoconservateur comme on le définit à l’envi dans les médias mainstream ? C’est moins sûr. A la différence des néoconservateurs hors sol, comme John Bolton par exemple, Pompeo, lui, ancien de West Point et ex-patron de la CIA, connaît très bien les arcanes internationales et particulièrement moyen-orientales. C’est un pragmatique. N’oublions pas qu’il est également un élu républicain du Kansas depuis 2011. Fin connaisseur des rouages de la politique politicienne américaine et des coulisses du Congrès, il se doit donc de composer avec ses électeurs et surtout avec ses riches donateurs et les barons (et les autres « faucons ») de son parti. Au final, sur nombre de dossiers de la région et même sur l’Iran, il est, beaucoup plus qu’on ne le croit, sur la même ligne que son patron. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, il est encore et toujours à son poste...   

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