Etat défaillant ou non, la Grèce réussit sa stratégie face au Coronavirus<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Etat défaillant ou non, la Grèce réussit sa stratégie face au Coronavirus
©ARIS MESSINIS / AFP

Leçons

Dès la fin du mois de février, la Grèce s'est lancée dans la lutte contre le coronavirus. Malgré un système de santé affaibli, le pays donne l'exemple dans cette bataille sanitaire. Quelles leçons peut-on retenir de la gestion du Covid-19 par la Grèce ? Le gouvernement grec est-il devenu un modèle de gestion de crise dont l'Italie et l'Espagne peuvent s'inspirer ?

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

Voir la bio »

Atlantico.fr : Comment expliquer le faible de taux de contamination au CoVid-19 en Grèce ?

Stéphane Gayet : On croyait la Grèce exsangue et incapable de se maintenir debout. Sa situation économique était dans un tel état que l’on craignait le pire. N’ayant pas su faire preuve de résistance face à son déclin économique, elle a montré cependant qu’elle était capable de résilience (rebond après effondrement : quand on a touché le fond et que l’on parvient à se redresser, cela donne une nouvelle force étonnante, c’est la résilience). Et c’est cette résilience qui la porte aujourd’hui.

Le premier ministre grec est presque devenu une voix de la raison sur la scène internationale. La classe politique grecque a réagi à l’unisson et dans le calme, face à cette crise sanitaire.

On a vraiment le sentiment que la Grèce, après toutes ses humiliations et sa politique d’extrême rigueur qui lui a été dictée par l’Union européenne, a acquis une nouvelle maturité et une force que l’on ne lui connaissait pas.

De plus, étant donné sa situation, le gouvernement grec sait qu’il n’a plus droit à l’erreur.

Beaucoup de pays européens ont vu arriver sereinement la pandémie CoVid-19, sûrs de leur puissance financière et de la capacité de leur système de santé. Mais ce n’était pas du tout, bien sûr, le cas de la Grèce ; tout au contraire : sa population est de plus de 10 millions d’habitants, alors qu’à la mi-mars, le système national de santé grec ne pouvait compter que sur 605 unités de soins intensifs, dont 557 seulement étaient en service en raison d'un manque de personnel. Ce ratio est pire que celui de l’Espagne qui a affronté l’épidémie avec 4 400 unités de soins intensifs, pour une population de l’ordre de 47 millions d'habitants, et a cependant été submergée par les cas de CoVid-19 critiques nécessitant une hospitalisation.

Le gouvernement grec déclare avoir recruté 4 200 nouveaux médecins et augmenté de 50 % le nombre d'unités de soins intensifs, ce qui devrait permettre de contenir l'aggravation à prévoir de l'épidémie.

C’est souvent quand on est particulièrement démuni matériellement, que l’on se montre le plus perspicace.

De plus, Athènes avait devant les yeux, le drame italien de Bergame, en Lombardie. Les témoignages de médecins exerçant à l’hôpital de Bergame sont cauchemardesques.

Les autorités grecques ont parfaitement saisi qu’il fallait agir très vite et énergiquement, qu’il y allait de la survie du pays.

C’est cela qui a sauvé la Grèce : cohésion et même unisson (majorité et opposition), rapidité et décisions énergiques.

Le gouvernement grec a imposé des mesures très strictes de distanciation sociale, et à un stade beaucoup plus précoce de l'épidémie que ne l’ont fait les autres pays d'Europe du Sud. C’est cette réaction très rapide qui a permis au pays d'éviter le drame de la saturation de l’offre de soins de santé, saturation à laquelle ont été et sont confrontés les États plus riches.

Quelques indicateurs permettent de comparer sommairement les réactions de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce. Celle-ci n’a pas attendu plus de quatre jours après la mort de son premier malade CoVid-19 pour fermer tous les magasins n’étant pas de première nécessité. Alors que l’Italie et l’Espagne l’ont fait respectivement après 18 et 30 jours. L’Espagne a de plus fait preuve d’une particulière inertie dans cette affaire : il lui a fallu plus de quinze jours pour attribuer son premier décès CoVid-19 à cette maladie et elle a attendu encore 12 jours pour fermer les magasins non de première nécessité.

De la même façon, la Grèce a interdit les déplacements non essentiels, seulement une semaine après la reconnaissance du premier décès, ce qui a encore été plus rapide que dans les deux autres pays. Il est manifeste que l’Italie n’a pas du tout vu arriver l’explosion épidémique qui s’est produite en Lombardie et a eu des conséquences absolument dramatiques, mais elle a su se montrer résiliente et reprendre le dessus.

Parmi ces trois pays que sont l’Italie, l’Espagne et la Grèce, c’est en fin de compte l’Espagne qui s’est montrée le moins à la hauteur de la situation : le gouvernement n’était pas pressé - comme l’était l’Italie en raison de ce drame - et a tergiversé, prenant son temps, laissant des événements de masse, tels que des manifestations et des matchs de football, se dérouler jusqu’à 26 jours après le premier décès par CoVid-19.

Et les chiffres sont éloquents : la Grèce totalise un peu moins de 100 décès par CoVid-19, soit un peu moins de 10 décès par million d’habitants ; pour l’Italie et l’Espagne, c’est respectivement de l’ordre de 300 et 330 décès par million d’habitants.

Cette comparaison sommaire est pleine d’enseignement. Dans certaines circonstances, la lenteur a du bon ; mais en cas de crise sanitaire aiguë et particulièrement épidémique, la promptitude est impérative et efficace.

Le gouvernement grec est-il devenu un modèle de gestion de crise dont l'Italie et l'Espagne peuvent s'inspirer ?

Le gouvernement grec a su faire preuve, répétons-le, de résilience, plusieurs années après avoir manqué de résistance lors de sa crise économique et financière sans précédent.

Les autres pays européens ont un peu considéré la Grèce avec condescendance depuis le début de son déclin économique. La solidarité européenne n’a pas été flagrante.

Aujourd’hui, la Grèce est un pays totalement démuni, mais qui s’est doté d’un gouvernement à la hauteur de sa situation. Nous sommes loin de la dictature des colonels. Le peuple subit depuis plusieurs années une rare austérité ; mais, malgré tout, le pays tient bon. Le niveau de vie grec est sans commune mesure avec les niveaux de vie italien et espagnol.

Sans aller jusqu’à dire que le gouvernement grec a été exemplaire dans la gestion de cette crise, il a tout simplement fait preuve de perspicacité, de réactivité, de réflexion nourrie par de vrais experts compétents et expérimentés, de courage et de fermeté. Il faut préciser que de lourdes sanctions sont infligées aux personnes qui ne respecteraient pas les règles de confinement. Cette comparaison des actions gouvernementales pour gérer la crise du CoVid-19 entre l’Italie, l’Espagne et la Grèce, n’est pas sans nous rappeler certaines fables et légendes, où le plus faible l’emporte sur le plus fort.

Quelles leçons peut-on retenir de la gestion du CoVid-19 par la Grèce ?

On ne peut pas encore, à ce stade, tirer des conclusions solides. Car c’est loin d’être terminé.

La Grèce a pris un très bon départ dans la gestion de cette crise, mais c’est une course de fond qui va durer des mois. Il est légitime de craindre que la situation grecque ne puisse encore basculer. Il faut bien se garder de triompher.

Si la Grèce a su réagir rapidement et efficacement à la crise, elle n’en subira pas moins les conséquences économiques des mesures de confinement. Le tourisme rapporte un cinquième des revenus du pays ; il est très durement touché. Les petites entreprises emploient plus de 80 % de la main-d’œuvre totale du pays et connaissent forcément d’importantes difficultés d’approvisionnement, de financement et de ventes.

Mais, étant donné la résilience dont a fait preuve la Grèce à la suite de son effondrement économique, on peut espérer que ce pays va se montrer capable de surmonter cette nouvelle épreuve ; les Grecs n’ont plus peur de rien ; on peut dire qu’ils ont acquis une maturité qui les rend forts.

Il faut rappeler que la nouvelle démocratie de centre-droit qui a remporté la majorité absolue aux élections de 2019, a pour mandat celui de de restaurer la crédibilité internationale et de secouer l'économie.

Pour répondre à la question posée, les leçons à tirer de la (provisoire) réussite grecque en matière de gestion de l’épidémie, sont les suivantes : cohésion du pays face aux graves difficultés, humilité, vraies expertises, réactivité, courage, rapidité et fermeté. C’est un peu le contraire point par point de la façon dont nous avons réagi.

Cette pandémie de CoVid-19 bouscule le monde, rebat les cartes et révèle la nature profonde des gouvernements, ainsi que des peuples qui restent tout de même bien différents en dépit de la mondialisation.
On se rend compte que les petits humbles font parfois mieux que les grands arrogants.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !