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(In)Sécurité : gouvernement, médias : un même problème de compétence ?
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Tribune

Le 21 mars passé, Le Point, titre, sûr de lui : Confinement en banlieue : les cités vont craquer.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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A mesure qu'avance le confinement et qu'il faut envisager ses conséquences sécuritaires - "gouverner, c'est prévoir" - le ministère de l'Intérieur et sa cohorte médiatique font plus encore assaut d'incompétence. 

Pour eux, d'abord, toute hirondelle émeutière fait forcément le printemps. Villeneuve-la-Garenne (92) : samedi passé, y éclate un de ces épisodes violents, en temps normal quasi-quotidiens dans l'espace périurbain. Or pour ces médias d'usage indifférents, c'est désormais un drame qui, s'inquiètent-ils, présage le pire. (Voir in fine l'état réel des émeutes en France depuis le 15 mars passé).

Précédent épisode comique, celui du censément affolant  "Rapport du service central du renseignement territorial" du 7 avril, pieusement recopié comme d'usage par ces journalistes justice-police formant désormais un collectif "Service de l'Information et des Relations Publiques de l'Intérieur", SIRPI, comme les armées ont leur SIRPA. 

Or lire ce fameux "rapport" du SCRT suscite d'emblée la rigolade du lecteur. Sans doute torché sur un coin de table par un stagiaire, après 15 minutes sur Internet, cet Himalaya de platitudes nous informe en effet :

- Qu'après avoir été deux mois enfermé, le mouvement social devrait s'ébrouer,

- Que les deux extrêmes (dépeints en regard, genre presse-livres ou sujets de pendule) s'agiteront alors, façon anar-débridé ou facho-ludique.

Mânes de Maigret ou de Sherlock Holmes, qui l'eût dit, qui l'eût cru ?

Que les auteurs d'un tel tas d'évidences n'aient pas été illico envoyés en Seine-Saint-Denis confiner des zones hors-contrôle, prouve la perte de compétence du sommet d'un ministère, dont le ministre lui-même, frappé d'arrêté de péril, ne reste debout que par divers soutènements - un Nuñez ici, un Castex là. 

Ministère qui d'emblée, n'a pas su poser un diagnostic clair sur la situation de ces zones chaotiques, gentiment nommées "quartiers sensibles" par le SIRPI ; et, pire encore, n'a rien appris d'antérieures émeutes qui y advinrent, d'abord le célèbre chaos de la fin 2005 : 21 nuits insurrectionnelles-périurbaines touchant 25 départements métropolitains ; 10 000 véhicules brûlés ; 300 bâtiments publics ou privés incendiés ou ravagés, etc.

Car bien sûr, avoir analysé et compris cet événement alors sans précédent, permet de préparer les suivants. Ce travail a-t-il été fait par l'Intérieur ? Non : on le prouve par un article du 31 mars passé, titré "Confinement : la peur d'un second front en banlieue". Prenant manifestement sous la dictée les propos de sa source officielle, le journaliste parle de "peur d'un embrasement généralisé des banlieues comme en 2005".

Seuls problèmes - qui trahissent Ô combien, on le verra plus bas, la présente et double ignorance qu'a l'Intérieur de notre histoire sécuritaire nationale :

- Il n'y a JAMAIS eu d'"embrasement généralisé" des banlieues en octobre-novembre 2005,

- Et l'analyse de ce non-"embrasement généralisé" des banlieues - travail fouillé, cartographié, avec tableaux et minutieuse chronologie - fut publiée en 2007 dans les Cahiers de la Sécurité Intérieure, revue alors éditée sous l'égide de l'Intérieur lui-même !

Durant la phase d'émeute de 2005 en effet, même à son épicentre de Seine-Saint-Denis, nul épisode local (incendie... agressions de policiers...) ne dura plus de trois jours. Propagé par des bandes juvéniles, l'incendie courut de quartier hors-contrôle à cité chaude, sans rien de général, de durable ni de concerté : tableau des risques tout différent, donc et une analyse bien sûr décisive pour préparer tout retour du phénomène. 

Or ça, l'Intérieur n'en tient pas compte - voire, l'a oublié. C'est grave : chacun sait en effet - ou devrait savoir - que la compétence, ou confiance dans sa propre expertise, forme (avec sa force économique et de solides alliances) le trépied de la puissance d'un État-nation. Seule sa compétence-expertise lui permet de prévoir juste et à temps.

Mais cette compétence-expertise, n'est ni un don divin, ni un héréditaire apanage ; elle peut se gaspiller ; un pays peut la perdre. Séculairement, la compétence de l'appareil d'État français était reconnue. À Washington, la Nomenklatura américaine l'appréciait ainsi "The French are sophisticated". Mais là ? De Castaner en Belloubet, le déclassement s'amorce. S'il dure, ses conséquences seront graves.

CONFINEMENT ET DÉSORDRES DANS LES QUARTIERS ET CITÉS HORS-CONTRÔLE,

du 20/04/2020 

• Émeutes par bandes ; guet-apens sur forces de l'ordre ou pompiers ; caillassages ou incendies.

• La France compte ± 700 cités ou quartiers vus comme dangereux par le ministère de l'Intérieur ; dont 60 (niveau 1) Quartiers sensibles de non-droit, les plus explosifs.

• Émeutes, dans certains de ces 700 quartiers ou proximité, ces 35 derniers jours :

*** En rouge, agitation répétitive. 

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