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Quand la Chine démocratique se réveillera
©Greg Baker / AFP

Disraeli Scanner

Nous sommes à la veille de bouleversements politiques en Chine.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »
Hughenden, 
Le 19 avril 2020, 
Mon cher ami, 
Les mensonges du parti Communiste Chinois 
Voici trois semaines que je ne vous ai pas donné de nouvelles. J'étais enfoui dans un travail de recherche considérable que nous menons à quelques-uns sur ce qui s'est vraiment passé en Chine depuis le début de l'automne. Nous sommes convaincus que l'épidémie a commencé dès le mois d'octobre et que les autorités chinoises l'ont dissimulé. Vous avez peut-être remarqué qu'une grande colère envers la Chine traverse désormais le banc des ministres du Gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté. C'est en partie suite à des échanges que nous avons eu avec le Foreign Office et nos services de renseignement sur la question. 
A vrai dire, je n'ai pas encore révélé tout ce que j'ai reçu de Chine; il faut attendre que la passion s'apaise un peu du côté du gouvernement; sinon l'on croirait que je mets en doute l'efficacité  de nos réseaux de renseignement en Chine - alors qu'il s'agit surtout  de la capacité de nos gouvernants à interpréter l'information qu'on leur fait parvenir.Alors que la crise du Coronavirus avait déjà commencé, le Premier ministre s'obstinait encore à vouloir accepter la 5G de Huawei. Loin de moi de vouloir gâcher la joie que nous avons eue que notre valeureux Premier ministre ait surmonté la forme grave d'infection du virus qu'il avait contractée. Cependant le parti conservateur va devoir bientôt se poser la question de son aveuglement face à la Chine pendant de si longues années. Là aussi, nous verrons se tourner la page du thatcherisme. Lorsque Margaret Thatcher avait négocié le retour de Hong Kong dans le giron de la Chine, elle avait obtenu un rôle privilégié pour le dollar de Hong Kong, et garanti son lien avec le dollar américain, empêchant de fait la naissance d'une zone yen en Asie orientale. La Dame de Fer a joué un rôle considérable dans l'émergence de la puissance chinoise et la rupture de l'équilibre aux dépens du Japon, pourtant ami de l'Occident. Il faut dire que l'on était dans les années 1980; nos alliés américains se méfiaient de la montée en puissance économique du Japon; et il voyait dans la Chine, depuis Richard Nixon, un bon moyen d'affaiblir le bloc communiste, en ébranlant l'URSS.  
Après la chute de l'URSS, nous avons cru que la Chine prenait le bon chemin car elle introduisait une part d'économie de marché dans son système. C'est au nom de cette transformation par l'économie que nous avons fermé les yeux sur les massacres de Pékin et de 400 autres localités, ce que nous appelons depuis lors "Tian An Men", alors que c'est l'ensemble du pays qui fut touché. Comme dans une version moderne de Faust, les Occidentaux ont alors signé un pacte avec le Méphisto chinois: ce dernier a promis une richesse incommensurable aux financiers américains pourvu que l'on installât dans son Royaume l'industrie japonaise, américaine et européenne. Ce pacte a duré une trentaine d'années et c'est lui qui est en train d'être mis à mal par la crise du Coronavirus. Cela faisait plusieurs années que les Occidentaux étaient mal à l'aise devant le durcissement du régime de Monsieur Xi. Ce dernier a fini par se faire nommer président à vie, en même temps qu'il établissait un contrôle social de nature totalitaire grâce à l'utilisation des données massives et de la surveillance numérique. C'est le caractère néototalitaire du régime qui explique une remontée beaucoup plus lente des informations que lors des épidémies précédentes, dans les années 2000. Il a fallu trois mois, d'octobre à janvier, pour que le régime prenne la mesure du désastre dans le Hubei et commence à réagir: jusque-là les lanceurs d'alerte avaient été réduits au silence et la hiérarchie du parti tremblait de peur de faire remonter l'information.  
 En tout cas nous assistons à une crise profonde du régime chinois, mal dissimulée par les outrances verbales de ces dernières semaines ou par de ridicules théories de la conspiration. Nous commençons à comprendre que la Chine du Président Xi a présumé de ses forces. Nous assistons au début du déclin du Parti Communiste Chinois, qui avait réussi à survivre trente ans au parti communiste soviétique. 
Oh, je sais ! On va m'objecter que jamais la Chine n'a été aussi forte, apparemment. N'y a-t-il pas un fond de vérité quand la propagande de Pékin souligne les ratés des pays occidentaux? Les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne ne donnent-ils pas l'impression d'avoir réagi avec peu d'efficacité au départ? L'Union Européenne n'est-elle pas dans un état lamentable, à commencer par l'Italie et la France ? Cependant, ce que le discours officiel chinois essaie de nous cacher, c'est la réalité de l'épidémie en Chine. Qui pouvait croire sérieusement qu'il n'y avait eu que quelques milliers de morts dans la région de Wuhan? Le régime de Pékin contrôle de plus en plus l'information et il profite de ce que les déplacements sont actuellement restreints dans le pays pour cause de pandémie pour tenir à l'écart les observateurs étrangers. Mais nous avons des preuves que les régions du Henan et du Jiangxi, limitrophes du Hubei, ont été atteintes par l'épidémie, elles aussi. Le pays, désormais, pense qu'il peut cacher les nouveaux cas ou, quand l'extérieur en entend parler, les attribuer à des retours en Chine de personnes infectées à l'étranger. 
En réalité, le pouvoir de Pékin est sur la défensive. Avez-vous vu cette vidéo où le rédacteur en chef de la Bildzeitung allemande répond vertement à la lettre ouverte que lui a adressée l'ambassade de Chine à Berlin. On croirait se retrouver aux grandes heures de la Guerre Froide, dans les années 1980, quand les Occidentaux mettaient au défi l'URSS sur le sujet des droits de l'homme. C'est surtout à l'intérieur que la situation est en train de se compliquer pour le régime. La mise au pas de la société par le Président Xi est en train de lui revenir en pleine face comme un boomerang. Cela fait une bonne dizaine d'années que le régime s'inquiète de la possible revendication démocratique des classes moyennes enrichies. D'où la lutte contre la corruption, sanglante, au sein du parti; d'où le système du crédit social; d'où la répression contre les religions, à laquelle naïvement s'est prêté le Vatican. D'où la férocité de la répression à Hong Kong. Il y a un signe qui ne trompe pas: l'insistance que met Pékin à reprocher aux occidentaux de tellement mettre en valeur la Corée, Taïwan, Singapour. Le régime a peur de tout ce qui prouve que l'Asie est accueillante aux régimes représentatifs et démocratiques. Ils ont une peur énorme de la contagion en Chine même, non seulement de la crise de Hong Kong mais de la diffusion d'un modèle "confucéen démocratique", qui ferait apparaître pour ce qu'elle est l'instrumentalisation de Confucius par le Parti Communiste Chinois: une vulgaire manipulation. 
Les régimes communistes peuvent-ils vivre au-delà de 70 ans? 
Mon cher ami, les régimes communistes peuvent-ils vivre au-delà de 70 ans? Le communisme soviétique s'est effondré à 74 ans. Le régime chinois né en 1949 est en train d'atteindre cette âge fatidique. Certains me diront mais cela n'a rien à voir: depuis 1978, la Chine était sortie du communisme. Quelle illusion ! Le Parti Communiste Chinois avait décidé de se sauver par d'autres moyens que l'URSS. Et l'Occident qui venait pourtant de fêter la chute du communisme en Europe de l'Est s'est empressé de sauter à pied joint dans le piège tendu par les héritiers de Mao. Tout le monde s'est extasié sur la fameuse formule de Deng Xiao Ping, "Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, pourvu qu'il attrape les souris", sans voir que les souris, c'étaient les nations occidentales et tous les voisins asiatiques de la Chine. Nous avons voulu ignorer la manière dont la société chinoise était mobilisée pour la production industrielle, avec un enthousiasme maoïste. Nous n'avons pas voulu nous rendre compte que c'est à la génération des Gardes Rouges de la Révolution culturelle que le camarade Deng proposait un nouvel horizon matérialiste, la poursuite du "modèle chinois" par d'autres moyens. Placée dans la bonne perspective, la reprise en mains par Xi Jiping n'est qu'une tentative de garder le monopole du Parti Communiste Chinois. 
Les Chinois ont pu compter pendant longtemps sur la perte d'idéal des démocraties occidentales. Peu importait que les Chinois en ascension sociale voyagent à l'étranger, puisqu'ils étaient confrontées à des sociétés aux valeurs dominantes progressistes, au fond cousines de la Chine post-maoïste. Il semblait que se réalisait la convergence que la social-démocratie européenne des années 1970 avait espéré avec les pays du bloc soviétique.  Mais que se passe-t-il à partir du moment où, avec Donald Trump, l'Occident se ressaisit et met en cause un mode de relations avec la Chine qui risque de le vider de sa propre substance? Au même moment, les classes moyennes chinoises aspirent à plus de liberté - et Hong Kong ou Taïwan montrent la voie de la démocratie aux Chinois. Tant que les Chinois n'étaient confrontés qu'à la torpeur matérialiste des soixante-huitards occidentaux au pouvoir, il n'y avait rien d'inquiétant. mais que se passe-t-il si le conservatisme démocratique se réveille en Occident, porteur de véritable ressemblance avec le confucianisme démocratique d'une partie de l'Asie? 
Bien entendu, beaucoup dépendra de nous. Nous devons faire attention à ne pas nous en prendre à la Chine comme nation, ou nous ressouderons la population avec le régime. Il nous faut prendre conscience que c'est la société chinoise qu'il s'agit de libérer; non pas nous-mêmes directement, mais en nous désengageant des relations que nous entretenons avec le Parti Communiste Chinois, en développant des relations de confiance avec les petites nations asiatiques; en ayant une diplomatie intelligente de coopération avec l'Inde et le Japon. En offrant l'occasion à la Russie de revenir vers l'Europe. Il nous faut aussi, à l'intérieur, nous débarrasser du progressisme et revenir au conservatisme, le seul état d'esprit protecteur des libertés. Sur le plan économique, nous réindustrialiser, réinvestir l'Asie Centrale pour casser le projet de "Nouvelle Route de la Soie", retourner en Afrique pour la défendre contre l'emprise de la Chine communiste, tout cela fera partie d'un assèchement économique de la base extérieure du Parti Communiste Chinois. pour maintenir l'économie, le PCC n'aura pas d'autre solution que de développer le marché intérieur, ce qui débouchera, à court ou moyen terme sur la révolte des classes moyennes, qui revendiqueront la participation aux décisions politiques. 
Mon cher ami, nous sommes à la veille de bouleversements chinois qui vont étonner le monde. Tout le potentiel démocratique de la Chine va se réveiller. Espérons que nos nations seront à la hauteur des événements, non pas pour pratiquer des ingérences contre-productives mais pour ne pas inutilement prolonger la vie du Parti Communiste Chinois contre les intérêts du peuple chinois. 
Bien fidèlement à vous. 
Benjamin Disraëli       

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