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La bourse ou la vie : quelques arguments philosophiques et épidémiologiques face au dilemme posé par le covid 19
©MARTIN BUREAU / AFP

Réflexion

La liberté ne s'exerce jamais dans un monde abstrait entre des personnes désincarnées et rationnelles. Ainsi, le dilemme confinement ou pas confinement ne peut être tranché dans l'absolu mais doit faire l'objet d'une casuistique.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico : Si l'on s'en remet aux grands philosophes (et théories) qui nous ont précédés, que pouvons-nous faire face à cette crise actuelle, face aux agissements de ceux qui ne veulent plus respecter le confinement ?

Yves Michaud : Le principe d'une liberté inconditionnelle, même dans la pensée anarchiste de Bakounine, par exemple, est qu'elle ne s'exerce pas aux dépens d'autrui. Ce qui assortit la liberté d'un principe de responsabilité. 

L'application de ce principe est compliquée. La complication tient d'une part à la nature des situations et de leurs paramètres : jusqu'où la responsabilité va-t-elle dans des situations de plus en plus complexes et engageant de plus en plus d'acteurs. Je suis libre de prendre un avion mais si je suis porteur possible d'une contamination, dois-je me désintéresser des conditions du voyage (files d'attente, rangées de sièges serrées, air confiné, etc.) ?

Elle tient d'autre part au degré de consentement d'autrui vis-à-vis de ma liberté. Si j'ai une relation sexuelle non protégée, est-ce qu'autrui suppose que je suis bien portant, ou s'en moque, ou considère que le risque est faible ou que les traitements sont désormais au point ? Il y a tout un savoir social en cause là-derrière qui repose finalement sur la nature de la communauté avec autrui et le degré de partage de certaines croyances. Or nous sommes dans des sociétés de moins en moins homogènes culturellement:l entre le bobo qui file à Noirmoutier et la racaille qui deale du  H dans les rues de Paris, même le sens de l’irresponsabilité n'est pas le même !

En d'autres termes, la liberté ne s'exerce jamais dans un monde abstrait entre des personnes désincarnées et rationnelles. Il y a des personnes rationnelles, d'autres qui ne le sont pas, d'autres qui ne veulent pas ou ne peuvent pas l'être.

Si bien que le dilemme confinement ou pas confinement ne peut être tranché dans l'absolu mais doit faire l'objet d'une casuistique.

Ce qu'on peut reprocher aux autorités, en France comme en Espagne, c'est de n'avoir pas pensé à faire appel à la responsabilité des citoyens et d'avoir agi de manière abstraite et du coup répressive et punitive. Il faut dire que le confinement a été non pas une mesure de sage précaution mais une décision-panique prise avec retard devant le risque d'effondrement du système sanitaire. Il n'y rien de moral dans tout ça : plutôt de l'incompétence et même de la lâcheté.

Stéphane Gayet : Le confinement est une méthode préventive de santé publique. Son but est de ralentir la diffusion d'un agent infectieux épidémique – en l'occurrence un coronavirus émergent, le SARS-CoV-2 – afin de protéger la population et d'éviter de saturer l'offre de soins. Ce n'est pas une punition – pour avoir commis quoi ? -, c'est une mesure de salut public qui porte ses fruits. Cette mesure n'est ni subtile, ni spectaculaire, c'est une méthode empirique, faute de mieux.

Ce nouveau virus est à la fois assez contagieux - une personne malade contamine en moyenne deux à trois sujets sains – et nettement pathogène (environ 15 % d'hospitalisations et un peu moins de 5 % de décès).

Le nombre de décès par CoVid-19 en France se rapproche à grands pas de 20 000. Où en serions-nous à ce jour en l'absence de confinement obligatoire ? Il est à peu près impossible de répondre à la question de façon quantitative. Mais on peut s'en faire une idée qualitative grâce aux témoignages de Français ayant vécu sur place le début de l'épidémie au sein de la ville de Wuhan et grâce à l'observation de ce qui se déroule actuellement au Brésil.

Dans l'ensemble de la Chine, les chiffres officiels font état d'un peu moins de 5000 décès et d'un peu plus de 50 000 cas de maladie CoVid-19. Il faut se rappeler que la population chinoise est de l'ordre de 1,4 milliard. Ces chiffres officiels ont un caractère extraordinaire : non seulement ils sont complètement faux, mais ils sont certainement sans commune mesure avec la réalité ; on ne sait pas par combien il faut les multiplier pour s'approcher de la vérité (10, 50, 100… ?). Les autorités chinoises ont fait le maximum pour empêcher la fuite d'informations, mais nous finirons probablement par approcher le phénomène épidémique chinois dans sa dimension quantitative (témoignages, recoupements avec d'autres données : les statistiques des services funéraires, par exemple). La vérité est que, avant que ne soient mises en place dans cette ville des mesures préventives, Wuhan a vécu une hécatombe comme la Chine n'en a encore jamais connu. Il est ainsi possible de se faire une petite idée de ce que pourraient être les conséquences d'une absence de confinement en France. Le Brésil n'a pas souhaité mettre en place de confinement obligatoire, mais il sera peut-être malaisé d'obtenir des statistiques fiables de ce pays étant donné son régime autoritariste actuel.

Il y a aussi le cas de la Suède où le confinement est seulement préconisé sans coercition. Cependant, non seulement on est en droit d'attendre de ce pays des données statistiques justes, mais on a affaire avec ce peuple scandinave à des individus nettement plus civiques, disciplinés et responsables que bien des Européens de pays latins.

Pour répondre à la question « Que pouvons-nous faire médicalement face au refus du confinement ? », la réponse est que la médecine n'a, en l'absence de moyen préventif médicamenteux (vaccination, chimioprophylaxie), pas de ressource qui permettrait de pallier le refus de confinement. Il reste la possibilité de ne circuler qu'avec un masque qui soit à la fois de type antiprojection (comme un masque chirurgical) et de type protecteur respiratoire (comme un appareil de protection respiratoire ou APR) : c'est l'idée du « masque barrière » tel qu'il est décrit par l'Association française de normalisation ou AFNOR (patrons de masque en ligne).

La médecine sans l'aide du Droit se limite à proposer des méthodes, des techniques et des traitements. Dans une société où les individus sont libres, elle est inéluctablement amenée à faire appel à la législation et à la réglementation qui prévoient des contraintes juridiques avec des sanctions en cas de non-respect des obligations. Dans le passé, à l'époque où la syphilis sévissait à l'état épidémique, alors que l'on disposait déjà d'un traitement efficace (c'est-à-dire la pénicilline), on a imposé une obligation juridique de se faire traiter en cas de syphilis, afin de protéger la personne malade vis-à-vis d'une évolution grave (paralysie générale avec démence) et de protéger également les autres. Les vaccinations obligatoires sont un autre exemple de recours au Droit pour imposer le respect de mesures de prévention à l'échelle de la population. Les internements psychiatriques contre la volonté de la personne en sont un autre exemple. Si l'on ne veut pas faire appel à la coercition juridique, il n'y a que la sensibilisation, l'information, l'éducation et toutes les actions de formation, et avec une bonne pédagogie. Il est toujours possible de rêver à une société mature, qui pratiquerait l'autodiscipline et l'autorégulation. Mais on aimerait bien en trouver des exemples concrets.

Comment est-ce que le principe de liberté individuelle est contredit par le collectif d'un point de vue philosophique ? Est-il possible de conjuguer liberté individuelle et impact collectif ?

Yves Michaud : Ce n'est pas un simple dilemme entre liberté individuelle et impact collectif car l'impact collectif a au moins deux aspects lourds : le bilan humain des décès et le bilan économique de l'arrêt des activités. Il n'est pas certain que le bilan économique ne sera pas au bout du compte plus terrible que le bilan humain. Il y a encore un autre aspect, le bilan politique, aussi bien en termes de menace pour des gouvernements paniqués et inopérants qu'en termes de changements de la vision politique chez tous (surveillance, répression, Union européenne kaputt, volte-face économique, etc.). Je ne crois pas qu'on puisse « conjuguer » liberté individuelle et impact collectif mais si le confinement avait été décidé plus tôt (sur les grands rassemblements sportifs, culturels, les élections municipales, les transports), s'il s'était accompagné d'une politique efficace de fourniture de moyens de protection (on attend toujours les masques!), s'il avait été plus décentralisé (en laissant aux villes des marges de manœuvre), plus près de la vie (en ne bouclant pas tout mais en laissant certains commerçants réguler eux-mêmes les transactions, par exemple les magasins de bricolage, ou les librairies), on serait dans une situation moins menacée par le ras-le-bol. Malheureusement la vision du monde Macron-Castaner-Lallement est foncièrement répressive, punitive et méprisante du citoyen. 

Stéphane Gayet : En période d'épidémie de CoVid-19, tout être humain non immunisé vis-à-vis du virus SARS-CoV-19 court deux risques : celui de se contaminer et de développer la maladie ; celui, une fois infecté, de contaminer d'autres personnes. Le premier de ces deux risques comporte deux éventualités : soit, il peut rester à domicile, moyennant des soins simples, et il n'y aura pas de conséquence déterminante pour la société (à part une incapacité professionnelle temporaire) ; soit, son état est si sévère qu'il doit être hospitalisé, voire en soins continus ou en réanimation, et il y aura manifestement des conséquences importantes pour la société (coût médical, coût financier, coût social) ; de plus, il pourra contaminer pendant la durée de son hospitalisation, un ou plusieurs membres du personnel médico-paramédical de soins.

Le second de ces deux risques concerne, non pas sa propre santé, mais celle des autres : il devient un sujet contaminateur en puissance qui peut ainsi causer des préjudices assez graves à autrui.

On le voit, une permissivité totale vis-à-vis des comportements individuels en période d'épidémie de CoVid-19 est un choix vraiment dangereux. Avec les infections sexuellement transmissibles (IST) comme l'infection à VIH, la syphilis, l'infection à gonocoque ou encore la chlamydiose génitale, le sujet récepteur qui est contaminé par son partenaire, l'est dans le cadre d'une relation sexuelle a priori librement consentie et de façon consciente ; cette contamination ne se produit pas lors de gestes de la vie courante. Mais c'est très différent avec la CoVid-19, au cours de laquelle on peut être contaminé de façon inconsciente, sans aucun consentement et lors de gestes de la vie courante. De surcroît, il n'y a pas encore de traitement curatif officiel pour la CoVid-19, alors que les IST sont toutes curables (sauf le sida, qui peut néanmoins être stabilisé).

Dans une société humaine, il ne peut pas exister de liberté individuelle totale. On ne peut pas à la fois bénéficier de toute l'organisation sociale, des biens et des services publics, de la sécurité collective, etc. sans contrepartie. Cette contrepartie est constituée de devoirs et d'obligations qui restreignent inéluctablement les libertés individuelles. Le contrat social qui fonde l'organisation sociale, stipule que chaque citoyen, dans une société, donne et reçoit. Dans ce que l'on donne, il y a bien sûr les impôts, les redevances, les taxes, les cotisations et primes d'assurance, etc. et dans ce que l'on reçoit, il y a les services publics gratuits, les prestations, les avantages, la sécurité publique… Mais dans ce que l'on donne, il y a aussi un peu de liberté et parfois plus qu'un peu ; de toute façon, on cède forcément de la liberté en société. Cette part de liberté cédée est le prix à payer de la sécurité ; on peut remarquer que le fait d'être dans l'obligation de payer quelque chose est aussi une privation de liberté, celle de conserver tout son argent pour soi.

Pour répondre à la question posée, le confinement de force paraît peu réaliste dans notre pays. Actuellement, il s'agit d'un confinement réglementaire, mais avec suffisamment de possibilités dérogatoires pour permettre une vie encore décente. En revanche, un véritable confinement forcé avec des mesures répressives, comme un couvre-feu permanent, ne semble pas être une solution durable optimale pour notre pays. Le port du masque obligatoire s'approche déjà plus d'une solution réaliste, mais il reste à définir en détail ses modalités pratiques, ce qui n'est pas simple (modèle de masque, son efficacité, son état, la façon dont il est porté, critères d'appréciation pour les forces de l'ordre…).

Ce serait sans doute la mesure la plus acceptable et la mieux tolérée par la population. Il reste encore beaucoup de travail pour le gouvernement afin de mettre toutes ces mesures en place. Cela donnera encore matière à de nombreux palabres. Nous ne sommes pas près de sortir de cette pandémie.

Devrait-on prendre des mesures coercitives - comme le confinement de force pour ceux qui ne le respectent pas - ou doit-on les laisser assumer eux-mêmes ?  Qu'est-ce que ces options potentielles disent de notre société ?

Yves Michaud : Les mesures coercitives, on les a pris et les prend déjà – le gouvernement se vante du nombre d'amendes mises et d'arrestations opérées. Sauf qu'on ne peut pas verbaliser tout le monde ou alors le risque grandit que le couvercle de la cocotte vous explose au nez. Macron a visiblement peur d'un effet Gilets jaunes Corona. Alors il va continuer à prendre des demi-mesures. J'attends qu'on rende les masques obligatoires, sans qu'il y en ait un de plus disponible – alors on verbalisera. Pour une fois, je ne mettrai pas en cause l'égoïsme des citoyens: on a assisté au contraire à beaucoup d'actes admirables. Il est en revanche clair qu'on a affaire à un pouvoir politique incompétent, qui méprise totalement les citoyens (dans la lignée de toutes les « petites phrases » de Macron depuis son investiture) et croit qu'on peut les payer de mots. Entre les sottises de Pedro Sanchez en Espagne, celles de Macron en France, les déclarations imbéciles de Mme von der Leyen et celles de Christine Lagarde, on constate simplement que les peuples n'ont pas les dirigeants qu'ils méritent. Là est le plus grave. Les médias nous accablent de critiques  du président Bolsonaro qui congédie son ministre de la Santé en pleine crise. Qu'a donc fait d'autre Macron en éjectant Buzyn pour la placer sur orbite de candidate ratée à la Mairie de Paris ?

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