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Coronavirus : pourquoi on a tort de pointer la seule Seine-Saint-Denis… et pourquoi ce n’est pas forcément plus rassurant
©Thomas SAMSON / AFP

Pas très rassurant

Depuis l'accélération de l'épidémie de coronavirus en France, nombreux étaient ceux qui regardaient la Seine-Saint-Denis d'un mauvais oeil. En cause ? Le non respect des règles de confinement.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Depuis le début de l’épidémie, les regards se sont braqués sur le 93. Les incivilités et le manque de respect pour les règles de confinement ont fait l’objet de moqueries et de dénonciations sur les réseaux sociaux. La visite d’Emmanuel Macron à Pantin, au cours de laquelle celui-ci s’est retrouvé dans un quasi-bain de foule, a pu conforter l’idée que les résidents du cru refusent d’appliquer les règles sanitaires et se trouvent dans un état de sécession culturelle

Certains chiffres vont dans ce sens. Le 93 connaît effectivement une surmortalité importante liée au coronavirus et la presse témoigne de la saturation des services de soins dans ce département

Cette mise en accusation de la Seine-Saint-Denis a paru injuste aux élus socialistes du département. Dans une tribune, le président du conseil départemental et cinq maires ont dénoncé la stigmatisation de leur département. Ils soutiennent que la surmortalité s’explique par le niveau de richesse, le 93 étant l’un des plus pauvres de France ; ils ajoutent que le département est sous-médicalisé et qu’il fournit une bonne partie des emplois peu qualifiés de la région parisienne, nombre de personnes devant aller travailler sans protection. 

Ces arguments ne sont pas faux. Il est exact que le système sanitaire du département est dans un état problématique, comme d’ailleurs l’ensemble des services publics, même si on peut s’étonner que les élus socialistes ne s’interrogent pas sur les raisons de cette situation, notamment sur le fait que ni les médecins, ni les enseignants n’ont envie d’aller travailler dans de telles conditions. 

Les élus ont également raison de souligner que la polarisation sur la Seine-Saint-Denis est excessive. En effet, contrairement à ce que laisse entendre la rumeur publique, ce n’est pas dans ce département que l’épidémie a le plus progressé. Il suffit de regarder la carte mise en place par le journal Le Monde qui a eu la bonne idée de calculer le nombre d’hospitalisations rapporté à la population, c’est-à-dire pour 10.000 habitants. Cette carte montre très clairement que l’épidémie n’a pas la même intensité sur l’ensemble du territoire. On voit notamment qu’il existe deux grands pôles de contamination : le premier dans l’Est de la France, avec le Territoire de Belfort (15,78), le Haut-Rhin (13,5) et le Bas-Rhin (9,7) ; le second dans la région parisienne, avec notamment Paris (15,1) et les trois départements de la petite couronne, à savoir la Seine-Saint-Denis (9,8), les Hauts-de-Seine (12,5) et le Val-de-Marne (15,9). Comme on le voit, le 93 est donc proportionnellement moins contaminé que le 92 et le 94. 

Carte établie par Le Monde. Chiffres arrêtés à la date du 13 avril 2020. 

On comprend également, à la lumière de cette carte, comment les choses se sont déroulées. L’épidémie s’est initialement diffusée dans l’est de la France à la suite du rassemblement de l’Eglise évangélique de la Porte ouverte qui s’est tenu à Mulhouse (Haut-Rhin) en février. A partir de ce foyer initial, le virus s’est répandu un peu partout en France, mais la diffusion la plus importante a suivi l’axe Alsace-Paris en empruntant les voies de circulation, avant d’exploser en région parisienne. C’est finalement dans ces deux régions (Grand Est et Ile-de-France) que l’on dénombre le plus de décès liés au coronavirus

Nombre cumulé de malades hospitalisés entre le 19 mars et le 10 avril 2020.

Les statistiques officielles permettent d’aller plus loin. Grâce aux chiffres fournis par Santé Publique France, il est en effet possible visualiser en détail la diffusion de l’épidémie par département. Le graphique que nous proposons ici présente le nombre d’hospitalisations cumulées entre le 19 mars et le 10 avril. Seuls quelques départements ont été conservés pour des raisons de lisibilité, sans que cela n’affecte les conclusions. 

A partir de ces chiffres, on voit qu’il existe des rythmes très différents de diffusion de l’épidémie. Celle-ci ne se répand pas de façon homogène sur tout le territoire : parfois elle va très vite, parfois elle va beaucoup plus lentement. Plus exactement, on repère quatre profils de diffusion. La situation la plus dramatique se situe à Paris intra-muros où l’épidémie est massive et rapide. A un deuxième niveau, on trouve deux départements de la petite couronne : le 92 (Hauts-de-Seine) et le 94 (Val-de-Marne). Le 93 est bien placé mais il arrive un peu plus loin ; il se situe plutôt dans le troisième groupe, celui des départements de l’est de la France frappés précocement, où se trouvent aussi certains départements comme le Rhône ou l’Essonne. Enfin, tout en bas du graphique se trouvent les départements où l’épidémie progresse très lentement, comme l’Indre, les Vosges, l’Oise ou le Territoire de Belfort. Ces deux derniers départements sont particulièrement intéressants parce qu’ils font partie des lieux où l’épidémie est apparue précocement, ce qui ne les a pas empêché de contenir assez bien l’épidémie, contrairement à d’autres.

Comment expliquer ces différents rythmes d’évolution ? Les raisons sont sans doute nombreuses et variées, mais on peut d’ores et déjà faire deux observations. Tout d’abord, la pauvreté n’est pas en soi un facteur décisif, contrairement à ce que soutiennent les élus de la Seine-Saint-Denis. Comme le montre en effet le graphique précédent, l’épidémie n’a pas évolué avec la même rapidité dans les départements qui sont pourtant aussi pauvres que la Seine-Saint-Denis comme l’Indre, l’Allier ou la Creuse.

Seconde observation : le bilan sanitaire en France serait bien meilleur aujourd’hui (peut-être même proche de l’Allemagne) si certaines zones comme la région parisienne n’avait pas constituée un terreau aussi propice pour l’épidémie. L’explosion de l’épidémie en Ile-de-France (et pas seulement dans le 93) constitue manifestement le tournant de la crise. Cette situation doit beaucoup à la situation spécifique de la région parisienne : c’est une zone très urbanisée, à la fois dense et active, comportant de nombreux équipements collectifs, avec une extrême mobilité et un service de transports publics très développé. Cela se traduit par des déplacements quotidiens massifs, ce qui ne peut qu’avoir un effet amplificateur sur la contamination. L’effet amplificateur est d’autant plus important que l’Ile-de-France occupe une place centrale dans le pays : c’est ici que se concentre une grande partie de la population et des activités économiques. Cette hyper-concentration fait partie des exceptions françaises. En Europe, aucun autre pays, à commencer par l’Allemagne, ne connaît une telle situation. Cet élément compte assurément pour beaucoup dans l’ampleur de l’épidémie par rapport aux autres pays européens, même si ce n’est certainement pas la seule explication.

La particularité de l’Ile-de-France ne s’arrête toutefois pas là. La concentration des activités économiques s’accompagne également d’une grande diversité des populations et d’une concentration des problèmes. C’est notamment dans cette région que l’on recense une grande partie des quartiers sensibles, et pas seulement en Seine-Saint-Denis. Or, l’hypothèse selon laquelle certaines caractéristiques des populations peuvent avoir un effet sur la propagation du virus ne peut pas être ignorée. En Suède, l’épidémie se propage plus rapidement dans les quartiers de forte immigration, ce qui a pu être expliqué par le manque de traduction des recommandations officielles (lesquelles ont été initialement communiquées dans la langue nationale), mais aussi par des spécificités démographiques (la présence de familles nombreuses) ou encore par des modes de vie fondés sur des relations interpersonnelles plus fréquentes, notamment avec les personnes âgées.

Faut-il cependant s’en tenir là ? Dans le cas de la France, on ne saurait écarter trop vite, au nom du politiquement correct, le fait que les départements de la petite couronne, comme du reste tous ceux où l’épidémie se diffuse plus rapidement qu’ailleurs (par exemple l’Essonne ou le Rhône), sont aussi ceux où l’on retrouve les plus fortes concentrations de populations issues de l’immigration extra-européenne. Ces populations cumulent diverses fragilités (familles nombreuses, mauvais état de santé, difficulté pour accéder aux informations et les comprendre) mais elles se caractérisent aussi par une plus grande propension à se défier des règles et des consignes, ce qui est amplifié par un ratio élevé de jeunes souvent mal socialisés. Certes les comportements inciviques ne sont pas un monopole de la Seine-Saint-Denis ou des quartiers sensibles, mais ils n’ont pas la même probabilité de se produire sur tous les territoires. Ces comportements ne sont évidemment pas la cause de l’épidémie, mais il serait bien étonnant qu’ils ne constituent pas un facteur aggravant.

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