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Inquiétudes sur le monde qui vient
©Thomas SAMSON / AFP

Confinement

Loïk Le Floch-Prigent analyse la gestion de la crise du coronavirus et sur les bouleversements profonds au sein de la société suite à l'épidémie de Covid-19.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Laisser autant de personnes confinées pendant autant de temps va être un objet d’études pendant des dizaines d’années et on ne peut pas en tirer des enseignements au bout d’une quinzaine de jours. On peut cependant dès maintenant lire, écouter, et réfléchir sur les commentaires et les actions de ceux qui se donnent pour ambition de nous éclairer à la fois sur l’actualité et notre futur. Jamais sans doute il n’a paru aussi clair que dans une période de crise chacun réagit en privilégiant ses obsessions, c’est-à-dire que  personne n’a vraiment envie de remettre en question ce qu’il pense depuis longtemps à cette occasion, prendre un peu de hauteur. Je suis donc, à quelques exceptions près, très déçu par mes lectures comme par beaucoup de réactions des responsables en position d’orienter les actions publiques ou privées.  

Le premier élément qui saute aux yeux c’est que la population n’est pas préparée au désœuvrement, mais elle n’a pas, non plus , envie de « s’occuper », elle a besoin d’agir et je dirai de « produire ». Les initiatives qui fleurissent dans les quartiers ou sur les réseaux sociaux en France, mais aussi en Italie et en Espagne, montrent bien cette nécessité de « faire ». L’individu « homo sapiens » est un être social, cela ce n’est pas une nouveauté, mais c’est aussi un être qui fait, qui crée, qui invente…le musicien joue pour lui, et pour les autres, il invente des actions confinées qui propagent son art, nos smartphones regorgent de ces actions individuelles à portée collective, puis à ces actions collectives à portée universelle. L’idée, en conséquence, d’une société qui laisserait à quelques spécialistes le soin de produire à travers des structures robotisées à outrance tout ce que la société pourrait désirer en donnant à tous les autres un revenu universel leur permettant de jouir de la vie se heurte donc à la réalité, homo sapiens a envie de faire, de produire, cet avenir qu’on lui décrit et qu’il expérimente depuis quinze jours ne lui convient pas. Le paradigme numérique tel que décrit par les uns et les autres n’est pas le bon, cela n’arrivera pas parce que la société dans son ensemble ne peut pas fonctionner comme cela . C’est toute l’idée du « nouveau monde » et de la « start up nation » qui s’effondre sous nos yeux, on utilise les nouvelles technologies, certes, homo sapiens s’adapte, mais il reste celui qui transforme le monde, ce lui qui fait, qui produit et non celui qui subit. 

Le deuxième élément c’est que la peur qui l’habitait hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Hier Greta Thumberg marchait vers le Prix Nobel, aujourd’hui on attend le vaccin contre le Covid-19 : sic transit gloria ! La santé a remplacé la planète, donc la priorité donnée à la banquise était un faux semblant , une peur indicible, celle de la mort inéluctable était latente. L’image de l’ours blanc qui se noie a marché un temps , c’est une autre qui l’a remplacée , toute aussi impropre, mais qui risque de durer plus car elle est au cœur de chaque homme. Il faut donc balayer rapidement toute la politique liée à la mode ancienne, revenir aux réalités, au revoir les constructions artificielles du monde ancien annoncé comme nouveau, le marché de l’électricité, le marché des transports, le marché de la santé…les dettes abyssales , les normes et règlements, les technocrates, les bureaucrates…Et l’on voit sur le terrain les initiatives nombreuses qui montrent que la volonté première est celle de l’efficacité et non celle du respect des procédures. C’est ainsi que le régime soviétique a explosé, c’est ainsi que la technocratie européenne et française vit ses derniers mois ou années(selon que l’on est optimiste ou pessimiste), mais c’est inéluctable car l’organisation mise en place n’a pas marché alors qu’homo sapiens a besoin d’efficacité. La peur a changé de cible, ce n’est plus la planète qui est en jeu, c’est l’homme lui-même. 

Le troisième élément c’est que le monde critiqué hier avec son fonctionnement décadent, celui de sa production, de ses loisirs, de ses créations, celui que nos sociétés avaient élaboré cahin-caha au cours des siècles, est devenu en quinze jours un eldorado vers lequel on souhaite revenir, la vision des rues désertes et des aéroports inertes demande un « retour à la normale «  le plus rapidement possible , l’aspiration n’est pas à la définition d’un « monde nouveau » comme n’arrêtent pas de le faire valoir les nouveaux prophètes, mais au contraire à la restauration du monde ancien où il faisait bon vivre, les bistrots, les restos, les copains…et le travail en usines, en ateliers, et même dans les bureaux n’en déplaise aux chantres du télé travail. La demande essentielle est donc l’instauration d’un retour à la case départ, avec deux corollaires, celui de revoir un fonctionnement de l’administration du pays qui a fortement ralenti ou même anéanti les initiatives de la population, et celui de la révision urgente des normes et règlements européens qui ont accéléré la chute de nos pays dans le chaos observable aujourd’hui. 

Enfin, puisque chacun y va de ses obsessions, je souhaite revenir sur la mienne qui est celle de la nécessité de l’industrie pour sauvegarder notre pays. Mais je vais traiter ce sujet par le petit bout de la lorgnette, celui de la perte de souveraineté de notre industrie dans le domaine de la santé. On a pu voir comment nous avons rapidement manqué de tout, masques, tests, médicaments, respirateurs tout autant que personnel en quantité suffisante. Il y a quelques moi déjà ,il y avait eu une alerte sur un certain types de médicaments destinés au cancer dont le principe actif était intégralement obtenu en Asie et qui était en indisponibilité pour des soins programmés. L’indignation n’a eu comme effet que l’inaction et même pas l’analyse des causes : information instantanée, aux oubliettes dès le lendemain. Pourquoi, alors que l’industrie chimique nationale produisait l’intégralité de ses principes actifs dans les années quatre-vingt, elle est devenue importatrice intégrale en quarante ans ? On me répond à cause du cout de la main d’œuvre. Mensonge ! Si jamais il vient à l’esprit d’un analyste de visiter une usine , il verra que cet argument ne tient pas une minute. L’industrie chimique européenne dans son ensemble a été mise sous tutelle bureaucratique à partir de 2007 avec le dispositif REACH effectuant un contrôle strict et permanent de tous les produits. La seule solution pour produire et innover était de délocaliser, ce qui a été fait par l’ensemble du secteur et le résultat nous le connaissons aujourd’hui, nous sommes dépendants du monde entier , et en particulier de l’Inde et de la Chine, qui, heureusement pour elles, n’ont pas à obéir aux protocoles ahurissants mis au point par les protecteurs de l’humanité. Cette contradiction entre la générosité bureaucratique (et la pureté espérée) et la nécessité de soigner, nous avons à l’affronter désormais. Notre Eldorado était un leurre, il n’existait qu’avec des comportements hypocrites et connus de tous, nous sommes au pied du mur. 

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