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Les risques du Covid-19 vont peut-être sauver l’Union européenne
©FREDERICK FLORIN / AFP

RÉVÉLATION

Eurobonds, plan de soutiens budgétaires, BCE boostée, frontières de l'Union bloquée et coopération médicale, les Européens redécouvrent les vertus, l’utilité et la solidarité de l’Union européenne.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que le coronavirus s’est abattu sur le continent européen pour en faire le noyau dur de cette pandémie mondiale, la plupart des pays de l’Union européenne qui ont joué leur partition très solo dans un premier temps, sont peut-être en train de s’apercevoir qu'ils sont tous dans la même galère et qu’ils auraient intérêt à ramer dans le même sens.

En fait, les bilans de la pandémie ne sont pas très différents d’un pays à l’autre. L‘Italie est évidemment la plus infectée et la plus touchée parce qu’elle a été la première envahie par le virus dans la région de Milan et toute la Lombardie... mais les dégâts en Espagne sont aussi désastreux en termes de décès.

Les courbes de la contagion suivent en France celles de l’Italie et de l’Espagne avec une semaine de retard. Comme les pays de l’Europe de l’est. Les pays de l’Europe du nord ne sont pas épargnés, pas plus que l’Allemagne.

Au niveau de la mortalité, les différences peuvent toutefois être très sensibles. On sait qu‘elles s’expliquent par le décalage dans le temps. Le virus avance telle une vague et la vague emporte avec elle les cas les plus fragiles. Mais les différences sont dues également aux différentiels d’équipements dans le système de santé, et notamment le nombre de chambres équipées pour la réanimation. Les systèmes italiens et espagnols ont été très rapidement submergés.

L’Allemagne, très décentralisée, a mobilisé très rapidement ses équipements et peut offrir près de 20 000 lits. En France, l’hôpital public était loin de cette jauge-là mais avec l’offre des établissements privés, le système français doit pouvoir affronter le pic. Les plus grandes différences d’un Etat à l’autre portent sur les disponibilités en masques et en « tests de contagion ».

Tout se passe dans le débat public comme si la constitution de stocks de masques ou de tests relevait du secret d’Etat. Ça a été le cas dans le passé, mais il faudrait avoir l’honnêteté de reconnaître qu’après l’épidémie HIV et le piteux procès fait à Roselyne Bachelot parce qu’elle aurait à l’époque, gaspiller des fonds publics en commandant des masques et des vaccins qui se sont révélés inutiles, le président de la République de l’époque avait jugé bon de déléguer ce type de décisions aux dirigeants de l’hôpital public. Comme c’est le cas dans les établissements privés qui n’attendent pas l’Etat pour décider de ce qu’ils achètent ou pas. Il faut dire aussi que si la France manque de masques, c’est parce que ceux qui peuvent en avoir besoin ne les avaient pas commandés. Contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne où la construction des stocks dépend des Landers et de leurs hôpitaux et pas de Mme Merkel elle-même.

Mais passons sur cette polémique.

Ce qui est beaucoup plus intéressant mais moins spectaculaire, c’est que les médecins de tous les pays membres de l’Union européenne se sont parlé, y compris avec les Chinois qui ont communiqué leurs informations, y compris avec les labo anglais, israéliens et américains, pour accélérer la recherche de traitement et de vaccins. Si le virus ignore les frontières, les médecins ont dès le début mis le drapeau de leur pays dans leur poche pour collaborer.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que tous les gouvernements en sont arrivés après des divergences d’analyse, à finalement adopter la même stratégie du confinement total ou presque. Y compris la Grande Bretagne qui vient de se brancher sur le même logiciel. Alors, chaque pays exerce ce confinement avec parfois des modalités différentes qui dépendent de leurs habitudes culturelles, de leurs structures sociales et de leur capacité à contrôler l’exercice, ou de leur situation politique qui leur permet de faire accepter avec plus ou moins de succès des mesures qui sont, qu'on le veuille ou non, coercitives et liberticides.

Ce qui est intéressant aussi, c’est que les 27 pays membres ont consenti à accepter des contrôles de passages aux frontières nationales pour certaines et à fermer les frontières de l’Union européenne. L’Union européenne s’est donc enfermée sur elle-même.  Ce qui, historiquement, est la première fois.

Enfin, ce qui paraît très spectaculaire, c’est que l’Union européenne s’est accordée pour reconnaître que la situation économique va toucher l’ensemble des Etats-membres dans des proportions gravissimes. Tous les Etats, les plus pauvres et les plus fragiles comme la Grèce ou l’Italie, et les plus riches comme l’Allemagne.

Ce constat partagé à Bruxelles a généré deux conséquences qui bouleverse le fonctionnement européen.

La première conséquence a été de libérer les Etats de l'obligation de suivre les disciplines budgétaires de Maastricht. Un Etat peut, sans risquer les foudres et les punitions de Bruxelles, dépasser les règles de déficit et d’endettement de façon à libérer des moyens de soutenir les économies nationales : les entreprises et les emplois. Autant dire que l‘Allemagne a accepté, sans même en débattre, d’abandonner un dogme qui lui paraissait fondateur de l’Union européenne. Et l’Allemagne va elle-même mettre le paquet pour soutenir sa demande intérieure, autre contrainte qu‘elle refusait de relâcher depuis des lustres. Cet affranchissement aurait sonné le glas de l’Union européenne en permettant à chacun de faire ce qu’il pouvait seul. En réalité, cet affranchissement à l’égard des règles budgétaires a sans doute renforcé l’Union européenne, parce que de facto, cette liberté-là ne peut s’exercer que s’il existe une solidarité entre les Etats. C’est la deuxième conséquence de la crise.

La deuxième conséquence qui découle de la liberté budgétaire octroyée à chacun, est d’organiser une solidarité financière entre les pays membres. En gros, le système mis en place revient, quoi qu'on dise, à faire payer les plus riches pour que les plus pauvres puissent tenir en équilibre.

Chaque Etat va donc pouvoir lancer les plans de soutien à son économie à la hauteur de ses besoins. Ces plans seront financés par de la dette. La dette ne sera possible que si tous les Etats se portent garants. Trois outils possibles.

La banque centrale va crever tous ses plafonds de distributions de liquidités. Christine Lagarde à parler de garantir dans un premier temps plus de 750 milliards d’euros sous forme de crédit à taux zéro. Ces crédits seront directement distribués par les systèmes bancaires. C’est du Mario Draghi à la puissance 10 ou presque.

La Commission de Bruxelles de son côté a réanimé les mécanismes d’intervention qui avaient été mis au point au lendemain de 2008. Entre le MES (le mécanisme européen de stabilisation) et le FES (le fonds européen de stabilisation financière), l’Union européenne dispose d’une force de frappe que les chefs d’Etats et de gouvernement ont décide de libérer. Les ministres européens des Finances ont d’ailleurs commencé à lancer les moteurs d’une assistance financière, sous la forme d’une ligne de crédit, à l’Italie (le cas le plus urgent) ou à d’autres pays qui en feraient la demande pour atténuer le choc économique lié au Covid-19. L’aide maximale représenterait 2 % du PIB de chaque pays, soit, dans le cas de l’Italie, une enveloppe d’environ 36 milliards d’euros (9 % de la capacité de prêt totale du fonds de sauvetage de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité ou MES). Par ailleurs, on sait qu’en fonction des besoins, le fonds de sauvetage pourrait aller au-delà de 2 %, un chiffre qui n’a pas été pris au hasard, puisque les pays de l’UE ont annoncé des mesures de soutien à leur économie de la même ampleur. C’est à dire qu’on a une force de frappe qui dépasse les 500 milliards d’euros dans un premier temps.

Entre la banque centrale, la Commission européenne et l'action de chaque Etat, l'effort global que l’Europe peut consentir pour protéger son économie dépasse les 2 000 milliards de dollars que Donald Trump va lâcher sur l'économie américaine.

Reste, en Europe, un projet qui fait son chemin et dont on avait déjà beaucoup parlé après 2008 mais sans succès : les « euro bonds » qui seraient désormais baptisés les coronabonds. L‘idée serait d’émettre des obligations paneuropéennes qui permettraient de mutualiser les dettes des pays membres. Beaucoup de ministres de la zone euro ont, lors du sommet de mardi en visioconférence, ressorti ce dossier.

Cette idée a été soutenue par la France. Elle n’a pas été rejetée par l’Allemagne qui, jusqu’alors, s’y était vigoureusement opposée. La Chancelière avait donné mandat à son ministre de l’Economie d’étudier cet outil. Ni la Commission de Bruxelles, ni la banque centrale n‘ont émis la moindre réticence.

Si cette idée d’eurobonds, qui avait été défendue par la gauche française mais avec l’accord de la droite libérale, venait à voir le jour, on pourrait dire que le coronavirus aurait permis de briser un des tabous les plus puissants dans l’Union européenne.

Parce que les eurobonds changeraient radicalement le fonctionnement de l’Union européenne.

Actuellement, chaque Etat peut émettre des obligations (des dettes) que peuvent souscrire les investisseurs du monde entier, publics ou privés, mais ces obligations ont des garanties d’Etat. Si un Etat membre pouvait émettre des eurobonds, ça voudrait dire que ces dettes seraient garanties par l’ensemble de l’Union européenne. Ça change évidemment toute la mécanique puisque ça installe un mécanisme de mutualisation automatique des dettes, ça empêche la spéculation sur les Etats en difficulté et ça lisse les taux d’intérêt.

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