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Fermeture des plages et des parcs : le centralisme aveugle à la française frappe encore
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

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Alors que le gouvernement tente d'endiguer la crise de coronavirus partout en France au travers du confinement, voilà qu'il s'attaque - entre autres - à la fermeture de toutes les plages (même si elles sont extrêmement vastes et sans risque de croiser des gens pour la plupart...)

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Le gouvernement a-t-il raison d'appliquer des décisions qui sont les mêmes partout plutôt que de déléguer ? Peut-on gérer tous les territoires de la même manière ?

Vincent Tournier : Chaque territoire a bien sûr ses spécificités, mais la tradition française est tout de même d’avoir un Etat très centralisé, appliquant des politiques relativement homogènes sur l’ensemble du territoire.

De plus, dans le cas du Coronarivus, la stratégie choisie par le gouvernement français ne pouvait que déboucher sur une politique relativement uniforme au plan national. Au fond, si on résume les choses, on peut dire que la France avait le choix entre trois grandes stratégies. La première était de ne rien faire, stratégie choisie par la Grande-Bretagne (au moins au début) mais aussi la Suède ou les Pays-Bas : l’objectif est de laisser la population s’immuniser progressivement, ce qui nécessite d’avoir un système hospitalier très bien équipé, pouvant absorber un grand flux de malades. La deuxième stratégie est d’organiser un repérage massif et systématique des malades afin de pouvoir les isoler rapidement (stratégie suivie par la Corée du Sud ou Hong-Kong), ce qui nécessite d’avoir une grande quantité de tests et surtout de pouvoir compter sur un haut degré de civisme de la population, laquelle doit suivre à la lettre les consignes et accepter que les services sanitaires s’introduisent de façon très intrusive dans la vie privée. La troisième enfin est de confiner toute la population pour casser la diffusion du virus, ce qui est la stratégie suivie par la Chine ou maintenant par la France.

Ce rapprochement avec la Chine donne évidemment du grain à moudre à ceux qui pensent que la France n’est pas une démocratie, mais on peut se demander si la France avait vraiment le choix. En effet, la première stratégie était clairement inenvisageable en raison du manque de lits et d’équipements pour accueillir un grand nombre de malades. Quant à la deuxième stratégie, elle était également peu réalisable, à la fois pour des raisons pratiques (par manque de tests et de masques) mais aussi pour des raisons culturelles car on pouvait s’attendre à ce qu’une grande partie des Français refuseraient de se plier aux consignes et ne voudraient pas faire des concessions sur leur vie privée.

Bref, quoiqu’on en dise, le modèle du confinement était très probablement le plus adapté à notre pays, justement parce que la France est un pays de « Gaulois réfractaires » et parce que nous avons un appareil d’Etat centralisé qui sait être coercitif. Pour autant, il est clair que la France ne joue pas exactement dans la même catégorie que la Chine, ce qui est heureux. Les autorités chinoises peuvent faire des choses qui ne sont pas faisables en France : elles sont capables d’instaurer un contrôle quasi-total de la population, de construire des hôpitaux à une vitesse vertigineuse, de mobiliser massivement les ressources militaires ou encore de mettre à l’isolement total l’équivalent de la population française. En France, on est très loin de tout ceci. Il a fallu par exemple attendre ces derniers jours pour que l’armée soit mobilisée pour installer un hôpital de campagne.

Est-ce dû à une trop grande centralisation de notre pays ? Peut-on gérer une ville de campagne comme on gère Paris ? 

Non bien sûr, et c’est bien la raison pour laquelle une ville comme Paris dispose d’un statut particulier, au même titre d’ailleurs que d’autres villes ou que certains territoires.

Dans le cas du coronavirus, on peut se demander si cette diversité ne devrait pas conduire à introduire des différences dans la manière d’organiser le confinement car ce n’est pas la même chose d’être confiné dans une grande métropole que dans un petit village.

Plus largement, on peut aussi se demander si le plan de confinement n’aurait pas dû être adapté en fonction de la nature du danger. Fallait-il notamment confiner tout le pays ou seulement les zones contaminées, comme par exemple le Haut-Rhin où la contamination a été considérablement amplifié par un rassemblement évangélique organisé par l’Eglise de la Porte Ouverte ? En Allemagne, pays fédéral, les réponses ne sont pas les mêmes selon les régions.

Mais la France est un Etat centralisé et les Français n’aiment pas les différences de traitement selon les territoires. Il faut aussi admettre que le principe du confinement se prête mal à une réponse diversifiée en fonction des territoires. En faisant le choix de confiner les Français, il était très difficile de dire que certaines zones allaient appliquer le confinement et pas d’autres. Cela pourrait éventuellement avoir du sens dans un pays où les régions sont relativement autonomes les uns des autres, avec peu d’échanges économiques, mais dès lors qu’il existe une forte interpénétration et une forte mobilité, cela devient plus difficile. Pour que le confinement soit efficace, il faut que les mêmes règles soient appliquées partout de la même façon.

Comment faire face à cette centralisation ? La réguler ? Le gouvernement devrait-il  l'assouplir ?

La centralisation n’est pas forcément un mal, et celle-ci n’interdit pas certains aménagements en fonction des caractéristiques locales. Mais les aménagements locaux vont généralement dans le sens d’un renforcement des contraintes. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec le coronavirus puisque, dans certains endroits, les mesures de confinement sont durcies, soit parce que les élus locaux le veulent (des villes comme Nice ou Valence ont décidé d’instaurer un couvre-feu), soit parce que les préfets ont décidé de durcir les règles (le préfet de l’Isère vient par exemple d’interdire toutes les activités extérieures, y compris les ballades et les jogging, sans doute parce que la facilité d’accès aux montagnes environnantes incitent les habitants à se balader trop souvent).

Cette concurrence entre les élus et l’Etat ne pousse pas l’assouplissement des règles : dans les Alpes-Maritimes, face à la multiplication des couvre-feux adoptés par les communes, le préfet vient ainsi de décider d’harmoniser les règles en imposant un couvre-feu unique à 22h pour tout le monde. L’Etat n’aime pas perdre la main !

S’il existe des assouplissements par endroits, c’est plutôt parce que l’Etat n’a pas les moyens de faire respecter les consignes, surtout lorsque les gens se font un devoir de les refuser comme c’est manifestement le cas dans certains quartiers. Certes, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a affirmé que les récalcitrants proviennent de tous les milieux sociaux et de toutes les origines, souhaitant ainsi couper court aux réactions potentiellement racistes à l’encontre de certains quartiers. Toutefois, il ne s’agit pas d’être naïf. Il suffit de regarder la carte de l’abstention ou de la délinquance pour comprendre que le degré de civisme n’est pas le même sur l’ensemble du territoire national. Ce n’est donc pas un hasard si certains endroits comme la Seine-Saint-Denis sont plus souvent mentionnés par les médias à la rubrique des manquements aux règles de confinement ? Même un journal suisse comme Le Temps, peu suspect de rouler pour l’extrême-droite, rapporte des informations étonnantes, comme cette remarque d’un habitant de Saint-Denis qui soutient que l’épidémie est une « fable de Blancs ». Devant les caméras de télévision, le préfet de police de Paris peut faire fièrement la chasse aux promeneurs et aux joggeurs des quais de Seine, mais il n’est pas certain qu’il pourrait faire la même chose dans les quartiers sensibles.

Cela dit, le problème n’est pas forcément la centralisation en soi, c’est plutôt la qualité des décisions qui sont adoptées. Or, dans le cas de la crise du coronavirus, on a le sentiment que l’Etat s’en tient surtout à son rôle de gendarme, sans tenir suffisamment compte des enjeux sociaux. Certes, des mesures ont été adoptées pour soutenir les entreprises, mais que deviennent les individus qui disposent de peu d’épargne et dont les rentrées d’argent se font au jour le jour ? Songeons par exemple aux livreurs à domicile, dont le nombre a fortement augmenté ces dernières années, et qui n’ont pas d’autres ressources que celles tirées de leur modeste activité ? Dans ce genre de cas, l’Etat pourrait créer une aide d’urgence, quitte à la déléguer aux collectivités locales. Après tout, les départements sont chargés de l’aide sociale, l’Etat pourrait donc leur transférer un budget destiné justement à aider dans l’immédiat les personnes qui sont les plus impactées par le confinement, soit sous forme de subventions, soit sous forme de prêt à taux zéro, soit encore sous forme de bons d’achat alimentaire, ce qui permettrait d’amortir les effets de la crise.

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