Confinement à J+5 : les Français découvrent que les vaches ne regardent pas Canal Plus et qu’il faut bien fabriquer les yaourts

Au 5^e jour du confinement, la France découvre qu‘elle est peuplée de Français. Et les Français, comme le disait autrefois le Major Towson de Pierre Daninos, ils sont français. Ce qui veut dire aujourd’hui qu’ils respectent les règles, mais déploient beaucoup d’intelligence pour les détourner et éviter de se faire prendre.

Ce qui veut dire aussi qu’ils ont, sans doute, compris que le confinement total était la seule solution pour ralentir la contagion et éradiquer le virus, mais si ce confinement total entraine l’arrêt de toute activité économique, le résultat serait encore plus catastrophique.

Na parlons pas des personnels soignants, ils n’ont jamais été aussi sollicités et précieux. Mais, au delà, si comme on l’a compris, il faut impérativement rester à la maison, les chauffeurs livreurs vont s’arrêter d’approvisionner les magasins. Et si on veut survivre, il faudra toujours des gens pour travailler dans l’agriculture. Les vaches ne vont pas s’arrêter de produire du lait parce que Canal plus est gratuit, il faudra donc toujours des fermiers pour traire les vaches, et ramasser le lait, le transformer en beurre et en fromage, il faudra toujours des fabricants de farine et des boulangers pour faire le pain, il faudra toujours des mécaniciens pour réparer une voiture en panne, des électriciens et des éboueurs pour ramasser les ordures et maintenir un minimum d’hygiène de vie dans la cité. Sans parler des informaticiens pour régler internet qui bugue ou installer le travail à distance.

Ne parlons pas des inégalités sociales qui vont se creuser justement entre ceux qui peuvent se mettre au télétravail et ceux qui font un travail posté. Entre ceux qui ont les moyens de s’exiler à la campagne ou à la mer et ceux qui sont cloitrés dans leur petit appartement entre la fenêtre qui donne sur la rue déserte et la box orange qui commence à chauffer.

Cela dit, tous les Français ne sont pas inciviques, irresponsables, indisciplinés, vulgaires, égoïstes. Mais il y en a quelques uns, beaucoup trop.

Beaucoup trop qui ne respectent pas les gestes qui protègent. Beaucoup trop à se réunir pour un barbecue clandestin, beaucoup trop qui trichent avec leurs autorisations, beaucoup trop qui recherchent leur chien « perdu et sans collier ». Beaucoup trop qui font leurs courses, beaucoup trop qui bravent les instructions parce que c’est si bon de vivre dans la transgression.

Il y en a aussi beaucoup trop qui ont trouvé dans les mesures de confinement l’opportunité de se prendre des jours de congé aux frais de l’assurance chômage. Mais passons. L’heure n’est pas venue d’ouvrir un débat ou de juger.

Comme le dit Jacques Attali, « nous sommes entre dans une période d’auto surveillance. On se protège soi même pour protéger les autres, et cette auto surveillance n’a rien à voir avec la délation. »

Mais beaucoup ont aussi beaucoup d’excuses à des comportements légers, imprudents, et même dangereux.

D’abord, parce que les accessoires de protection sont trop rares, trop difficiles à se procurer : pas de masques, pas de gants, pas gel hydroalcoolique. Et c’est un vrai scandale, notamment pour les personnels soignants et tous ceux qui travaillent

Parce que pour les autres, ces accessoires ne sont pas indispensables : le masque ne l’est pas, mais le respect d’une distanciation sociale serait déjà un gros progrès... les gants et le gel oui bien sûr, mais se laver les mains au savon et les vêtements le plus souvent possible améliorerait la situation et faciliterait la pédagogie.

Ensuite, les Français ont besoin de pédagogie. Les Français ont compris qu’il n’y avait ni traitement, ni vaccin. Mais ils ont besoin de savoir d‘où vient le mal, comment il agit, comment il va disparaître. Ils ont besoin du discours clair et simple des experts dont on doit reconnaître qu’ils font un effort considérable. Le moment n’est pas venu d’ouvrir le débat sur les limites acceptables à la liberté individuelle, sauf qu’on sait très bien ce qu’il faut limiter dans l’expression individuelle pour préserver l’intérêt collectif quand il s’agit de la santé.

Enfin, il faut reconnaître que les Français qui sont inquiets, angoissés sont souvent perdus entre des injonctions parfois contradictoires. Si on doit rester confiner à la maison, pourquoi certains devraient-ils aller travailler et d’autre pas, pourquoi ne pas définir précisément les activités nécessaires et qu’il faut maintenir ?

L’exécutif est évidemment responsable de quelques hésitations, mais l’exécutif a parfois cédé à ceux qui lui reprochaient d’être trop dur et ceux qui lui reprochent encore de ne pas être assez réactif. Et puis l’exécutif est au croisement de tous les lobbies, lobbies financiers, industriels, qui défendent chacun leurs intérêts et leur avenir.

Globalement, l’exécutif a fait le job sans provoquer des fractures dans la société française. Et la classe politique n’a pas cédé à la polémique. Sauf quelques exceptions tellement choquantes que leurs auteurs ou auteures se sont très vite déconsidérées.

Le problème de l’exécutif à J+5 est triple et doit trouver le moyen d’échapper à de nouvelles contradictions.

1^er objectif, renforcer les mesures de confinement quitte à sanctionner tous ceux qui auraient un comportement léger et transgressif. Parce que la sortie de crise dépend de la capacité du système de santé à gérer les malades.

2^e objectif, convaincre ceux dont le travail est essentiel à la vie du pays de continuer à travailler... IL faut d’abord organiser ce travail en toute sécurité (d’où les masques et les gants). Il faudra sans doute mettre en place un système de gratification compte tenu du risque pris.

3^e objectif, préserver les valeurs et les contraintes démocratiques. Sauf à tomber dans un État autoritaire, le pays n’est pas prêt à tolérer des mesures liberticides.

On peut s’émerveiller de la réussite des progrès de la Chine dans la lutte contre le virus, mais on oublie un peu vite que la Chine est une dictature dont les dirigeants ont d’ailleurs commencé par nier l’ampleur de la catastrophe (comme les Soviets au moment de Tchernobyl) pour ensuite confiner de façon autoritaire plus de 60 millions de Chinois et en supprimant la liberté de circuler pour 700 millions d’entre eux. Quant à ceux qui n'obéissaient pas, ils finissaient en prison quant ils n’étaient pas fusillés sur le champ.

On peut rêver de l’efficacité de Singapour ou de Taïwan, mais ces pays sont tout petits et ne sont pas des modèles de démocratie.

On peut aussi se pencher sur le cas de la Corée du Sud, un pays démocratique mais où les innovations digitales ont permis d’assurer la traçabilité de tous les habitants et de mettre à l’abri ceux qui n’avaient pas le virus.

Cette pandémie va obliger le monde entier à s’interroger au minimum sur deux phénomènes qui sont en cours du développement, des attaques virales comme celle du corona. Le monde entier parce que le virus n’est ni de droite, ni de gauche. Il se joue de n’importe quel système, capitaliste, libéral ou pas, communiste, militaire, dictatorial, etc… Sauf que le monde entier n’est pas égal dans la lutte contre le virus.

1^ère source d’illégalité. Les démocraties sont beaucoup plus défavorisées dans la lutte contre de telles épidémies. Cette lutte nécessite la participation de tous, et la démocratie commande de ne rien imposer qui soit liberticide. Il faut donc des chefs charismatiques et honnêtes qui puissent convaincre les foules d’accepter l’effort collectif.

2^e source d’illégalité, c’est qu‘il existe des pays plus facilement producteurs de virus que d’autres. La Chine, la plaine du Gange, l’Egypte etc. A partir du moment où les virus développés en Chine affectent et infectent le monde entier, il va falloir que le monde entier se préoccupe des conditions d’hygiène et de santé. Mais il va falloir aussi que les pays émergents acceptent cette injonction extérieure qui pèsera sur leur politique intérieure.