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Cafard résistant à tout ou zombie... : que restera-t-il du capitalisme financiarisé et mondialisé après le Coronavirus ?
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Vague

La France est confrontée à une crise sanitaire majeure face à l'épidémie de Covid-19. Cette crise permet de s'interroger sur la pertinence de notre logique économique et politique. Que restera-t-il du capitalisme financiarisé et mondialisé après la crise ?

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico.fr : La France traverse actuellement une crise sanitaire profonde, qui met à l'épreuve notre système de santé. Cette crise repose la question pour de nombreux Français de la pertinence de notre logique économique et politique. Selon vous que restera-t-il du capitalisme financiarisé et mondialisé après la crise?

Frédéric Mas : La crise sanitaire que nous traversons ne fait que révéler tragiquement celle profonde du système de santé en France. Cela fait maintenant des mois que les personnels hospitaliers protestent, poussant des milliers de médecins à la démission. Et pourquoi une telle dégradation ? Nous payons des décennies de gestion centralisée, technocratique, poussée par des hauts fonctionnaires qui pensent tout pouvoir résoudre par l’hyperréglementation. Comme le disait le Dr Gérard Maudrux, « toutes les augmentations conséquentes de budget passent dans l’administratif afin de respecter une règlementation qui, en santé comme dans toutes les activités dans notre pays, empêche le travail ». Aujourd’hui, notre système de santé hyper-administré et hypercentralisé, qu’on nous a survendu comme le meilleur du monde et qui nous coûte les yeux de la tête, n’est même pas capable de gérer correctement la répartition des masques de protection pour les médecins libéraux.

Rien ne semble avoir été anticipé, et les usual suspects accusent le capitalisme ‘mondialisé’, cet ennemi bien pratique qui a le mérite d’être suffisamment diffus pour ne pas se défendre, des erreurs de gestion et de stratégie des politiques et des bureaucrates.

Après cette crise grave, le système capitaliste, qui a une résilience forte, s’adaptera : la libre circulation des biens et des personnes est à l’origine de notre incroyable prospérité depuis le 18eme siècle, tout comme de l’amélioration extraordinaire de la santé des populations, comme l’a rappelé Angus Deaton dans son livre The Great Escape. La même crise sanitaire sans l’esprit d’innovation et la compétition scientifique du capitalisme pour améliorer nos conditions de vie aurait été cent fois pire. Ce qui risque de changer, ce sont les forces en présent dans le jeu des puissances mondiales : l’Union européenne s’est révélée incapable de manifester une quelconque solidarité à l’endroit de ses Etats membres, en particulier l’Italie, tandis que les Etats-Unis et l’Asie semblent reprendre avec plus d’assurance le leadership mondial.

Yves Michaud : Tout va dépendre de la durée de la crise. 

Si elle est longue et même très longue (disons au moins jusqu’à l’été), les conséquences vont être lourdes et amener des bouleversements considérables. 

Le capitalisme mondialisé en prendra un coup très fort mais bien plus encore le tissu économique de nos pays qui va être dévasté. J’ai peur en revanche que les comportements de la finance spéculative demeurent car on s’oriente vers des remèdes du même type que ceux de 2008. Les banques couineront, demanderont le sauvetage et reprendront leurs opérations en versant des bonus mirifiques à leurs dirigeants et traders. 

Si la crise est plus courte - disons jusqu’en mai – ce sera « youpee les vacances, ! »,  « ouf ! on respire », un rebond démographique qui compensera les décès de vieux et des dettes encore plus astronomiques.

En fait cette crise nous met au pied du mur : elle nous confronte au caractère inévitable de la décroissance (et bien avant la crise du coronavirus!), mais la décroissance (« ralentir travaux ») fait très mal. Surtout nos hommes politiques sont tous des maniaques et des myopes de la croissance. Tout ça leur est impensable et donc ils ne le penseront pas. Comme déjà ils ne pensent pas grand-chose. 

Ajoutons que nos institutions, à commencer par les institutions européennes, ont été conçues pour la mondialisation et la financiarisation. Or des programmes de décroissance sérieux ne peuvent se définir dans un seul petit pays ( sauf un pays parasite comme la Suisse, et encore!). Il faut que tout un groupe de pays s’y mette et que les citoyens retrouvent un esprit civique de solidarité dans les sacrifices. Quand je vois les madrilènes se précipiter sur les plages pour contaminer tout le monde, quand j’entends le président de la Généralité de Catalogne, l’indépendantiste Torra, dire que la seule chose qui lui importe, c’est le « coronacat », j’ai des doutes sur cette solidarité.

Doit-on se préparer à ce que ce type de crise se reproduise ? Présente-t-elle un caractère systémique?

Frédéric Mas : Il est possible que la crise se reproduise. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une pandémie, et l’intensification des échanges liés à la mondialisation peut favoriser la propagation de tels virus, comme elle favorise la coopération et la recherche pour la freiner.

Yves Michaud : Oui, ça se reproduira : la planète existe du point de vue écologique et climatique, en aucun cas du point de vue logistique ni du point de vue politique. Il y a eu les crises des bulles spéculatives (bulle internet, bulle immobilière et subprimes 2008),  celles du terrorisme (2001), celle des éruptions d’un malheureux volcan islandais en 2011. Il y en aura d’autres car la « globalisation » est une fiction pour périodes euphoriques. La raison voudrait que nous envisagions sérieusement la décroissance, le changement de nos habitudes de vie, de consommation, de loisir, de déplacement. Le programme est immense et ouvert. Pour le moment, il n’y a rien d’envisagé.

L'incapacité des populistes comme du gouvernement "d'experts" d'Emmanuel Macron à gérer cette crise semble avoir ouvert la voie à la nécessité d'un nouveau modèle de gouvernance qui reste encore à inventer. Quel forme pourrait-il prendre ?

Frédéric Mas : Je crois que les populistes français comme la majorité présidentielle partagent la même « foi » à l’endroit de l’appareil d’Etat et de son efficacité supposée. Comme par réflexe, nos technocrates comme nos politiciens font plus confiance en l’administration qu’en la libre entreprise : ça s’est traduit par la réquisition des masques de protection par décret, le blocage des prix du gel hydroalcoolique, les mesures de confinement autoritaire plutôt que la généralisation du dépistage et l’intervention -et donc l’endettement- massif de l’Etat. Seulement la « rationalité » bureaucratique tout comme l’économie administrée montrent aujourd’hui leurs limites : face à une crise qui demande de la réactivité et une grande coordination, le modèle bureaucratique s’enraye.

Que pourrait-on imaginer comme alternative à la gouvernance bureaucratique ? Regardons les endroits où la crise sanitaire a été nettement ralentie, comme en Corée du Sud ou à Taiwan, c’est-à-dire dans de petits pays qui ont misé sur la technologie et l’innovation. Moins de politique, plus de décentralisation et de science pourraient nous donner une idée de la marche à suivre.

Yves Michaud : Je suis choqué que vous parliez de l’incapacité des « populistes ». Ils sont au pouvoir où ? Le populisme est une formation réactive face aux dérèglements d’un monde aux mains d’une oligarchie financière et politique. Le populisme est une réaction à une situation où les gens se rendent compte qu’on se paie leur tête mais ce n’est pas un programme politique. C’est un refus, pas une vision positive. Quant aux experts, on les sonne selon les besoins du moment et ils rappliquent comme des toutous en visiteurs du soir ou en blablateurs télé. On n’a pas aujourd’hui  besoin d’experts en coupage de cheveux en quatre, mais de vision politique. Ensuite seulement il faut des experts pour mettre en musique la vision. Celle-ci doit être première : vous voulez quelque chose et ensuite vous cherchez les moyens de réaliser ce que vous voulez. Nous ne manquons pas de moyens aujourd’hui mais de fins, nous ne manquons pas de réponses mais de questions !

Ce qui me réjouit dans la situation actuelle, c’est qu’elle va être source de remises en cause profondes et qu’il va falloir inventer. Une des rares choses intelligentes qu’a dites Mao est que le nouveau ne naît pas de l’ancien mais de la destruction de l’ancien.

La toute première chose à inventer – ou réinventer – c’est le civisme contre tous les égoïsmes. Rude tâche. Il nous manque des Churchill ou des de Gaulle, à un moment où il faut annoncer aux gens qu’il y aura du sang et des larmes – et qu’on ne pourra pas faire autrement.

Pour retrouver l'analyse de Laurent Alexandre, de Bruno Cautrès et de Michel Ruimy sur l'impact de la crise sanitaire du Coronavirus sur le modèle libéral et sur le système capitaliste, retrouvez cet article publié sur Atlantico 

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