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Boutin : Que retenir de ce 1er tour ? Point de vue constitutionnel
©AFP/Jeff Pachoud

Municipales

Plusieurs responsables de tous bords politiques souhaitent que le second tour du scrutin soit décalé, mais que les résultats de ce dimanche soient conservés. Ce qui paraît très compliqué de l’avis de plusieurs constitutionnalistes.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico: Que peut-on dire du déroulement de ce premier tour des élections municipales ?

Christophe Boutin : Sur le déroulement d’abord, il ne semble pas qu’il y ait eu d’insurmontables problèmes techniques. Visiblement les bureaux ont ouvert et fermé en temps et heure, avec un nombre de membres suffisants – on s’était posé la question au vu du désistement d’assesseurs, et le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, avait été jusqu’à évoquer le pouvoir d’injonction du maire  ou du préfet pour combler les vides… Quant aux conditions spéciales de vote – nettoyage et désinfection, files d’attentes avec distances minimum – elles n’ont pas non plus posé de problèmes. Une question se posait pour le port du masque par des électeurs dont on doit constater l’identité, ce qui interdit – c’est une « dissimulation partielle du visage » (art. L.62 C. électoral) -, mais il suffisait de le soulever à la demande pour résoudre le problème.

Le scrutin s’est donc tenu « normalement »… mais avec un taux d’abstention record de 54,72%, près de 20 points  de plus que d’habitude (36,45% en 2014). Rappelons que dans notre démocratie, comme il n’y a pas de seuil minimum calculé sur le nombre des inscrits, le taux d’abstention n’est pas en lui-même un problème : il a ainsi fréquemment dépassé les 50% pour des élections européennes (1999, 2004, 2009, 2014), départementales (second tour de 2011 et 2015), régionales (premier tour de 2010 er 2015) et même législatives (premier et second tour de 2017), sans que cela n’invalide en rien le résultat de ces élections. On en est seulement quitte pour la minute d’émotion démocratique de début de soirée.

Pour autant, comparaison n’est pas raison car si, bien avant que ne se profile le spectre du coronavirus, on annonçait dans les sondages une progression de l’abstention pour ces élections municipales, ce n’était pas avec cette ampleur. Manifestement donc, pour un certain nombre de nos concitoyens, leur absence du bureau de vote ne s’explique pas par un choix politique, ou par un désintérêt général, mais par la persistance d’une crainte pour leur santé. Or une telle crainte pourrait être considérée comme ayant nui à la « sincérité du scrutin », un élément au regard duquel il arrive que le juge électoral annule des élections.

Un autre élément de ces élections de 2020 est l’éclatement des choix électoraux en trois ou quatre tendances fortes selon les villes - RN, droite, LREM, écologistes et extrême gauche. Comme les seuils pour se maintenir au second tour (10%) ou avoir le droit de fusionner (5%) sont calculés sur les suffrages exprimés et non les électeurs inscrits, cela ouvre la voie à de  nombreuses triangulaires et même quadrangulaires si des accords de fusion n’ont pas lieu d’ici mardi 18h. Mais des accords pour quel second tour ?

Au vu de l’évolution de l’épidémie et de possibles mesures de confinement, vat-on vers un report et/ou une annulation de ces élections ?

Premier élément en l’état actuel des dispositions prises pour lutter contre la propagation du virus, il ne saurait y avoir de meetings importants et certains médias ont d’ores et déjà annulé les débats d’entre-deux tours. Si d’ici dimanche prochain il n’y a pas de mesure de confinement, le second tour peut donc être organisé comme le premier, avec les mêmes mesures de précaution au moment du vote, mais se posera à nouveau la question de la « sincérité du scrutin » avec ce débat démocratique tronqué, sinon sans campagne, au moins sans une partie importante de celle-ci.

Mais surtout, second élément, dans l’hypothèse cette fois d’un confinement de la population il ne pourrait y avoir de second tour, et la question serait alors de savoir ce que l’on pourrait faire.

Pour le code électoral (art. L-56), le scrutin des municipales a lieu un dimanche et, « en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour ». C’est ce que prévoyait le décret qui a fixé les deux tours de ces élections aux dimanches 15 et 22 mars 2020. À partir de là, un certain nombre de questions se posent.

L’hypothèse la plus crédible serait que l’impossibilité de tenir le second tour entraînerait l’annulation pure et simple de l(‘ensemble de ces élections municipales et leur report à une date ultérieure – ou plutôt à deux dates ultérieures. Tant pis alors pour les candidats élus à ce premier tour, qui seraient obligés de se représenter devant leurs concitoyens, ne serait-ce que pour que les dates de début de mandat soient les mêmes. Ce n’est pas très grave pour eux, car on a remarqué que les électeurs refusent souvent de se déjuger après l’annulation d’une élection et confirment dans la plupart des cas leur choix initial, même si le poids de l’abstention viendrait sans doute tempérer un peu cette quasi-certitude. Mais il serait en tout état de cause peu concevable de valider le premier tour et de faire dans trois mois le second.

Techniquement, ce report peut prendre la forme d’une loi, dans la semaine qui vient, ne serait-ce que pour prolonger le mandat des conseillers municipaux sortants qui expire le 31 mars. Ils devraient dans ce cas rester ne poste plus longtemps. Seraient-ils limités alors dans leurs attributions, et ne devraient-ils que « gérer les affaires courantes » en une sorte d’intérim ? Pas plus que pour les prorogations de mandat que nous avons déjà connu : les maires et conseils municipaux conserveraient bien l’ensemble de leurs attributions et seraient à même d’user de toutes leurs compétences.

Certains évoquent aussi la possibilité pour le chef de l’Etat d’intervenir plus directement, par décret, sur la base de l’état d’urgence – une épidémie étant bien une « calamité publiques » au sens de la loi sur l’état d’urgence. D’autres envisagent même le fondement de l’article 16, arguant du fait que « les institutions de la République [sont menacées] d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». Interprétation certes large, mais pas plus que celle utilisée en 1961 et validée alors par le Conseil constitutionnel. Dans ce cas un décret permettrait de reporter le second tour des municipales.

Quelle que soit la solution retenue, il se pourra qu’il y ait des recours engagés contre cette décision devant les juges compétents mais il est permis de penser qu’au vu de la piètre légitimité démocratique de ce premier tour d’une élection torpillée par le virus, ces derniers valideraient la solution juridique de report.

Pouvait-on agir autrement ?

Oui bien sûr, on le pouvait et on pourrait presque dire qu’on le devait. Comme l’a relevé le président de la région Normandie Hervé Morin, « le parallélisme des courbes italiennes et françaises [de propagation du virus] était connu depuis jeudi », ce qui laissait entrevoir la nécessité à la date du second tour de mesures de confinement incompatibles avec le déroulement d’élections. Six présidents de régions – Xavier Bertrand (Hauts de France), Carole Delga (Occitanie), Renaud Muselier (PACA), Gilles Simeoni (Corse), Hervé Morin (Normandie) et Valérie Pécresse (Ile-de-France) – avaient d’ailleurs appelé à un report de ce scrutin, et, dans vos colonnes, un collectif de spécialistes de santé publique avait fait de même. Mais rien n’y a fait.

Pourtant, en Angleterre, les élections locales prévues pour le 7 mai ont été reportées d'un an. Ce n’est pas une catastrophe, et nous avons déjà joué avec les durées de mandats en France. Pour éviter ainsi de voir se dérouler en même temps en 2007 les élections présidentielle et municipales on avait prolongé d’un an le mandat des maires élus en 2001, et ce sans le moindre problème.

Certes, plus on attendait et moins les choses étaient juridiquement faisables, au moins si l’on tenait à effectuer ce report par voie législative, au vu des délais nécessaires. Mais cela aurait eu l’avantage de la clarté et de nous éviter la catastrophe que nous vivons en termes de légitimité démocratique de l’élection. Bien sûr, si le second tour peut se tenir, dans six mois, une fois oublié le coronavirus et épuisés les quelques recours juridiques, plus personne ne se souviendra de la manière dont ont été élus nos conseils municipaux : comme je l’ai déjà dit, un taux d’abstention important n’invalide pas une élection. Mais cela n’irait certes pas dans le sens d’une réconciliation de nos concitoyens avec une démocratie qui ne leur semble plus être que de façade. On aurait pu faire l’économie de cet épisode.

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