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Epidémies : Moyen Âge ou XXIe siècle, l’enchaînement des réactions des populations est toujours la même
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Non, non rien n’a changé

Selon un journaliste de The Atlantic ayant vécu la crise du SRAS à Hong-Kong en 2003, les populations auraient toujours tendance à réagir de la même manière lors d'épidémies. Le comportement des individus suivrait ainsi le schéma suivant : du déni, à la panique, en passant par le peur pour revenir à un comportement plus rationnel.

Patrick Zylberman

Patrick Zylberman

Patrick Zylberman est professeur émérite d’histoire de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique (Université Sorbonne-Paris-Cité). Il est l’« invité permanent » du Centre Virchow-Villermé (CVV : Paris-Descartes/Berlin-La Charité), et l’un des organisateurs du Séminaire annuel du Val-de-Grâce sur les maladies infectieuses émergentes, qu’il a co-fondé en 2011.

Il a publié avec Lion Murard L’hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée, 1870-1918 (Fayard 1996), codirigé avec Antoine Flahault Des épidémies et des Hommes (La Martinière 2008), et, avec Susan Gross Solomon et Lion Murard, Shifting Boundaries of Public Health: Europe in the Twentieth Century (University of Rochester Press, 2008). Ses Tempêtes microbiennes, essai sur la politique de sécurité sanitaire dans le monde transatlantique ont paru chez Gallimard en mars 2013. 

Il a été membre du Haut Conseil de la santé publique de 2009 à 2017 ainsi que du Comité d'orientation du débat citoyen sur la vaccination (2016). Il a également contribué, dans le cadre du CVV, à l’élaboration du scénario du « serious game » RSI/IHR3.0 pour la formation à la gestion d’une crise épidémique dans le cadre du Règlement sanitaire international. Il est par ailleurs membres de la Section X (Santé) du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique.

 

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Atlantico : Si l'on en croît cet article de The Atlantic la réaction des populations en période d'épidémies serait très prévisible. Que pensez-vous de cette lecture ? Retrouve-t-on cet enchaînement de réactions lors des grandes épidémies qui ont marqué l'Histoire ?

Patrick Zylberman : L'analyse faite par le journaliste dans cet article de The Atlantic est très intéressante. En revanche, elle est à nuancer. Si l'on observe au fil de de l'histoire des réactions similaires de la part des populations en temps d'épidémies, elles ne suivent pas forcément l'ordre décrit dans l'article. Cet ordre précis, du déni à la réponse plus rationnelle en passant par la panique et la peur ressemble plus au comportement adopté par les gouvernements, or le journaliste ne semble pas avoir analysé le comportement des individus indépendamment des réactions et des décisions prises par les autorités centrales.

Si l'analyse n'est pas totalement fausse, il convient d'en reprendre le fil et de la corriger quelque peu. Avant tout, il paraît évident que les réactions des populations varient en fonction du niveau d'incidence de la maladie. Prenons la période de déni : la réaction ne sera pas la même selon que l'épidémie est à bas bruit ou qu'elle est arrive, au contraire, subitement avec pertes et fracas. Dans le cas présent du coronavirus, on retrouve bien cette courte période de déni mais elle concerne davantage les autorités centrales que la population. En effet, le gouvernement chinois a quand même mis un petit moment avant d'accepter les faits.

Pour ce qui est de la période de "panique" elle est a géométrie variable. Ainsi, contrairement à ce que l'on pourrait penser, à travers l'histoire, les périodes de panique sont très rares. La plus récente date de 1994, en Inde, lors de l'épidémie de peste pulmonaire qui a donné lieu à un réel vent de panique. Vent de panique durant lequel un million d'habitants -dans une région qui en comptait deux millions et demi- a pris la fuite. Mais ce type de véritables paniques sont rares et le plus souvent elles ne naissent pas seules mais découlent de décisions politiques prisent par les gouvernements, c'est-à-dire d'un manque de communication ou alors de mesures excessives qui ont pour effet d'effrayer la population. Une telle situation c'est, par exemple, produite lors de l'épidémie de SRAS en 2003, en Chine, où certains villages se sont barricadés les uns contre les autres.

La période de peur se retrouve aisément lors de toute épidémie et enfin, l'accalmie arrive bien évidement mais elle suppose un reflux assez spectaculaire de l'infection.

Ainsi, l’analyse faite dans cet article de The Atlantic est tout à fait intéressante, mais un peu trop linéaire à mon goût.

Si l'analyse développée par The Atlantic est trop linéaire, peut-on néanmoins que certaines réactions se retrouvent d'épidémies en épidémies et ce, peu importe l'époque et la région du monde ? 

Oui, c'est tout à fait observable. On retrouve bien des comportements et des réactions similaires d'épidémies et épidémies, ce qui les distinguent c'est leur intensité qui elle-même dépend du niveau d'incidence de la maladie.

On peut ainsi remonter à la première trace d'épidémie dans l'histoire, la peste -qui n'en était pas vraiment une- d'Athènes décrite par Thucydide dans La guerre du Péloponnèse. Dans son récit très complet de l'épidémie, l'historien nous fait part d'une crise très grave qui va jusqu'à l'anomie. En effet, la crise est telle que l'ordre disparaît au point que l'on arrête d'enterrer les morts et que Thucydide en vienne même à relater des scènes de cannibalisme. Cette image de la société au bord du chaos en temps d'épidémie, on la retrouve dans l'Apocalypse de Jean lequel décrit des morceaux de chair humaine encore sanguinolente jonchant les rues sans être enterrés.

En ce qui concerne l'enchaînement des réactions décrit par le journalistes je parlerais plutôt d'une alternance entre l'excitation et le calme. Alternance qui dépend toujours du niveau d'incidence de la maladie et de sa perception par la population.

En ce sens, ce qui me frappe le plus c'est que jusqu'en 1978, l'histoire des épidémies est appelée l'épidémiologie gothique. En outre, dans les descriptions qui en sont faites, les épidémies coïncident alors avec de gigantesques mouvements de foules et divers comportements excessifs. On retrouve donc majoritairement la description de la panique dont on parlait plus haut. Pourtant, tel qu'on l'a déjà souligné toute épidémie ne donne pas lieu à des mouvements de panique. Au contraire, une partie de la population tend à rester calfeutrée chez elle par peur d'être contaminée. Ainsi, on retrouve ici la trace des comportements décrit par le journaliste dans l'article de The Atlantic mais de manière non linéaire.

Si les comportements adoptés en temps d'épidémies sont similaires à travers l'Histoire, quel est l'impact de la surmédiatisation sur les réactions des populations ? Alors que les populations sont aujourd'hui plus instruites et mieux informées réagissent-elles plus calmement en temps d'épidémie ou au contraire le cirque médiatique donne-t-il naissance à un sentiment de peur plus fort ?

Personnellement, je vais peut-être vous étonner, mais j'aurais tendance à penser que les réactions ne sont ni plus ni moins rationnelles qu'elles ne l'étaient. Avant tout, il semble important de préciser que les populations d'Ancien Régime n'étaient forcément moins instruites que l'actuelle population mondiale. Objectivement, bien sûr, le nombre d’illettrés étaient très important à l'époque mais néanmoins on ne peut pas pour autant dire que les populations étaient moins informées en tant de crise. En outre, il y avait des moyens d'information extrêmement puissants à l'époque, c'est-à-dire les images que l'on pouvait voir dans les Eglises et les spectacles dans les foires. Or, toute cette imagerie que l'on retrouve dans l'Apocalypse de Jean -les crapauds, les serpents... qui représentant la boue, la saleté et le diable- était très ancrée dans les esprits.

Maintenant, bien sûr, la surinformation actuel et les reportages des chaînes d’information en continue nourrissent l'anxiété de la population. Cela étant dit, la peur peut également également être très bonne conseillère puisque qu'elles nous empêche d'adopter des comportements irrationnels.

Propos recueillis par Aude Solente

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