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Le Coronavirus, virus fatal pour le progressisme ?
©Reuters

Cascade

Il est illusoire de prétendre changer la nature des hommes puisqu’ils réagissent toujours de la même manière. De plus, le retour d’une grande peur peut d’un seul coup révéler le côté dérisoire, artificiel et ultraminoritaire de bien des luttes intersectionnelles.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : À chaque nouvelle épidémie apparaissent de grands mouvements collectifs de peur. D’après une étude publiée par Illicomed, 61% de la population se dit inquiète à cause du Coronavirus. Quels comportements similaires adoptons nous ?  Comment expliquer ce phénomène ?

Bertrand Vergely : Avant d’aborder la question des effets de la peur, rappelons qu’il existe trois types de peur.

La première est la peur rationnelle et raisonnable qui réside dans la peur avec objet. La seconde est la peur irrationnelle et déraisonnable qui est la peur sans objet. La troisième peur a lieu quand, face à un danger, au lieu de s’écarter on reste figé, paralysé, tétanisé.   

Quand on est menacé par un danger, on s’écarte de ce danger en le repoussant mentalement. Cette peur qui sauve est rationnelle et raisonnable. C’est ne pas avoir peur qui n’est pas rationnel ni raisonnable.

 Lorsqu’il n’y a aucune menace mais que l’on agit comme s’il y en avait une, on est dans le cas d’une peur irrationnelle et déraisonnable. Loin de sauver, cette peur met en danger.

Enfin, lorsqu’il y a un danger et que l’on reste figé sans rien faire, on est dans une situation critique qui n’est ni rationnelle ni imaginaire.

Actuellement, une chose transparaît : c’est la peur rationnelle qui domine et règle les comportements.

Tout le monde est conscient qu’il y a un problème majeur posé par le Coronavirus. Toutefois,  on n’assiste pas à un affolement général. Cette réaction est en grande partie due au bon sens de la population française qui réagit avec une remarquable maturité. Personne n’a envie de tomber malade. Donc, tout le monde est prêt à respecter les consignes des autorités en matière sanitaire. En même temps, personne n’a pour autant envie d’arrêter de vivre en se terrant chez lui. D’où un juste milieu entre l’irresponsabilité et la panique qui est en train de régler les comportements collectifs.

Dans ce climat résistant à l’affolement, si activation de la peur il y a, celle-ci est le fait des medias plus que de la population. Sous prétexte d’informer, à force de donner des nouvelles de l’évolution du virus heure par heure, à force d’interroger sans cesse les politiques et les professionnels de santé, en faisant leur travail d’information, ceux-ci ne cessent de faire sourdement monter la pression.

On essaie d’établir un rapport entre le Coronavirus et les grandes épidémies du passé : la peste ou bien encore le grippe espagnole.

Après deux mois d’épidémie de Coronavirus,  3500 personnes  sont décédées dans le monde.

En 1350 et dans les années qui ont suivi, lors de la peste,  ce sont près de 50 millions de personnes qui sont décédées dont 25 millions en Europe.

En 1918-1919, lors de la grippe espagnole, ce sont 21,5 millions de personnes qui meurent en Europe.

Avec le Coronavirus, constatons le, on est loin, très loin des épidémies dévastatrices du passé.

En France, à ce jour,  on compte 949 malades. 45 sont en réanimation. 16 personnes sont décédées dont 11 de plus de 70 ans déjà  malades.

Il faut donc être lucide : si l’épidémie frappe du fait de sa propagation mondiale, elle n’est pas comparable aux épidémies du passé.

On a tendance à l’oublier : 85 % des personnes atteintes par le virus guérissent. Quantité de personnes atteintes s’aperçoivent à peine qu’elles le sont, cette grippe ressemblant à un gros rhume.

Si les autorités s’inquiètent, cela vient de ce que l’on ne dispose pas de médicaments pour faire face à la maladie. On ne sait pas l’ampleur qu’elle peut prendre. On redoute que le virus ne mute et prenne de nouvelles formes. Enfin, on n’ose pas le dire, mais on craint par dessus tout un krach boursier.

On s’interroge : les comportements auxquels on a affaire aujourd’hui sont ils comparables à ceux du passé ? Pour l’instant nullement.

Lorsque la peste s’est propagée en 1350, l’Europe a été atterrée. Ce qui n’est pas le cas actuellement.

La population mondiale, a beau être préoccupée, elle n’est nullement tétanisée par la panique. Dans ce climat général,  fait nouveau : jamais dans l’historie de l’humanité on a eu affaire à la gestion aussi scientifique d’un mal collectif.

Jusqu’à présent, quand une épidémie éclatait, c’était l’épidémie qui prenait possession de l’humanité et des sociétés. Actuellement,  l’État et les autorités sont en train de prendre possession de l’épidémie. On assiste de ce fait à une première dans l’historie de l’humanité : l’apparition de la peur rationnelle au détriment de la panique qui pétrifie.

Bien sûr, tout peut changer. Si, à brève échéance, on assistait à des millions de morts, il faudrait revoir cette analyse et ranger le Coronavirus au rang des grandes épidémies de l’histoire humaine à côté de la peste et de la grippe espagnole.

A lire également : Les laboratoires du monde entier promettent un vaccin dans les six mois au mieux.

La nature des hommes est-elle donc inchangée ? Sommes nous voués à agir de la même façon à chaque crise épidémique ?

Bertrand Vergely : Lorsqu’il est question de la nature humaine, soit on fige cette nature dans une mauvaise nature, soit on explique que la nature humaine n’existe pas et qu’elle n’est qu’un mythe. La nature humaine n’est ni mauvaise par essence ni dépourvue de toute essence. Elle est dynamique, créatrice, inventive.

Lorsque l’on jette un regard sur les hommes autour de nous : avec des hauts et des bas, d’une manière heureuse ou  pas, les êtres humains déploient une incroyable énergie pour s’adapter aux différentes situations qu’ils sont amenés à rencontrer.

Tous les êtres humains n’ont pas du génie, mais tous font un effort pour vivre malgré tout, comme ils peuvent, avec les moyens du bord. Bien sûr, les hommes ont peur. Parfois, ils paniquent. Parfois, ils délirent, mais une chose ressort malgré tout : ceux-ci ont une incroyable énergie pour survivre malgré les situations calamiteuses qu’ils ont amenés à rencontrer.

La vie a beau être « une histoire pleine de bruit et de fureur dite par un insensé et qui ne signifie rien » ainsi que le dit Macbeth dans Macbeth de Shakespeare, avec  une force de vie incompréhensible et géniale à la fois, l’humanité vit malgré tout en traversant le cauchemar de la condition humaine.

Par le passé, lors des grandes épidémies, les êtres humains ont développé une force et une inventivité étonnantes pour faire face aux malheurs qui s’abattaient sur eux. Aujourd’hui, il en va de même.

Il existe actuellement une cohésion de la nation face à l’épidémie qui dépasse les clivages politiques. Le discours des autorités ainsi que des professionnels de santé se tient. Enfin, la population française sait être intelligente dans l’épreuve en ayant goût de vivre voire même de l’humour.

En sera-t-il de même si les choses s’aggravent et se compliquent du fait d’un krach boursier ?  Jusqu’à présent il importe d’être juste. Dans la catastrophe qui monte, le comportement des Français n’est nullement catastrophique.

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Les périodes de crise révèlent-elles l’aspect dérisoire et  artificiel des luttes intersectionnelles ?

Bertrand Vergely : Les grands drames et les grandes crises ne conduisent pas forcément à relativiser les conflits qui tenaillent l’humanité. Parfois, les conflits s’exacerbent à l’occasion des drames et des crises.

Dernièrement, sur une grande radio nationale, interrogeant des responsables de la santé publique, une journaliste voulait absolument que ces responsables fassent part de leur colère à l’égard du gouvernement à cause du manque de moyens. D’où un étrange décalage entre ces responsables plutôt calmes et sereins et la journaliste très véhémente.

Il ne faut pas rêver. Si la cohésion nationale reste forte et invite tout le monde à se tenir, si les partis politiques font profil bas et modèrent leurs critiques habituelles à l’égard du pouvoir, rien n’est réglé pour autant. Au premier faux pas du gouvernement dans la gestion de la crise, réseaux sociaux, medias et politiques seront prêtes à déchaîner critiques et polémiques.

En démocratie, les politiques ayant besoin d’être clivant pour exister, ceux-ci ne perdent jamais une occasion de l’être. Quand ils ne polémiquent pas, ne pensons pas que c’est par bonté d’âme. Ils le font par  calcul. Être consensuel est parfois bien plus profitable que d’être clivant.

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