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Les 1001 dilemmes politiques des gouvernements face à une épidémie
©Bertrand GUAY / AFP / POOL

Populistes ou progressistes dans le même bateau

La lutte pour tenter d'endiguer l'épidémie de Coronavirus se poursuit à travers la planète. La classe politique est confrontée à un dilemme entre les enjeux économiques et la santé des citoyens. Comment les responsables politiques peuvent-ils résoudre cette crise d'impuissance ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Alors que le Coronavirus continue de faire rage dans le monde, les politiques semblent perdus. 

Les politiques doivent-ils faire un choix entre soit se préoccuper des questions économiques, soit de la santé des personnes ? Peuvent-ils s'occuper des deux en même temps ? Avec la même force ?

Christophe Bouillaud : Presque par définition, les politiques doivent opérer selon l’éthique de la responsabilité, pour reprendre le terme bien connu de Max Weber, et celle-ci les oblige à tenir des conséquences de toutes leurs décisions. Il existe en fait bien peu de situations politiques où des considérations diverses n’interviennent pas simultanément, donc les politiques doivent – et c’est vraiment en principe leur métier dans sa spécificité au sens de Max Weber – être capables d’intégrer dans leurs raisonnements et leurs décisions beaucoup d’aspects différents, et donc, en l’espèce, les aspects économiques et ceux liés à la santé des personnes.

Bien sûr, cela suppose un effort intellectuel de leur part. Il faut être capable de définir une stratégie. Or il est vrai que cette épidémie, qui s’est répandue très rapidement dans tous les pays interconnectés par les réseaux aériens, est largement inédite. Le mode de transmission par voie aérienne, la durée possible d’incubation, l’existence de personnes complètement asymptomatiques pouvant contaminer d’autres personnes, etc. autant d’éléments qui compliquent singulièrement l’équation à résoudre pour la combattre. De plus, il est plutôt difficile de définir une stratégie sans disposer de précédents. La comparaison avec la grippe espagnole des années 1918 et suivantes aide sans doute d’autant moins les décideurs actuels que cela date tout de même d’il y a un siècle. La redécouverte de l’arme de la quarantaine pour limiter une épidémie est de ce point de vue plutôt fascinante. 

Quoi qu’il en soit, les politiques n’ont pas d’autre choix que de se préoccuper des deux : économie et santé, parce que, de toute façon, il n’existe pas de vie possible dans nos sociétés industrielles sans que l’économie au sens ordinaire du terme continue à tourner et qu’elle fournisse les biens et services essentiels à tout un chacun. Par contre, il y a sans doute une différence entre laisser ouvert un cinéma, un théâtre ou une bibliothèque, une usine ou encore un supermarché alimentaire… C’est bien là où placer le curseur qui va se révéler difficile. 

Faut-il prendre des mesures à la chinoise ? Les démocraties occidentales peuvent-elles faire de tels choix dans ces moments de crise ?

N’étant pas épidémiologiste, je me garderai bien de répondre à cette question pour tout ce qui concerne ses aspects médicaux. 

Par contre, il me semble que je peux dire trois choses en tant que politiste.  

D’une part, en prenant motif de la situation d’urgence, les pouvoirs politiques, mêmes démocratiques, peuvent très bien prendre des décisions radicales comme les autorités chinoises. Tous les ordres politiques démocratiques connaissent en fait des sorties légales possibles vers des états d’exception, largement comparables à ce qui peut arriver en cas de guerre. En France, nous sommes particulièrement bien dotés en ce sens, avec notre trop célèbre article 16 de la Constitution. Mais l’on voit qu’un régime parlementaire soit disant faible comme le régime italien actuel peut prendre aussi des décisions drastiques,  comme la fermeture des écoles et universités décidé depuis peu, ou des confinements de localités entières. 

D’autre part, comme nous sommes des sociétés démocratiques, où les droits individuels comptent et où les individus ont l’habitude de jouir d’un certain nombre de libertés, ces mesures drastiques peuvent se heurter  très vite à des résistances, ouvertes ou cachées, de la part des individus, voire de groupes organisés de la société civile. La « mobilisation générale », si elle est décidée par les autorités démocratiques, ne peut en réalité fonctionner que si l’immense majorité des personnes veulent bien en fait se laisser mobiliser. Dans une société comme la Chine populaire actuelle, les résistances des populations existent sans doute aussi face à toutes ces mesures liberticides pour raison de prophylaxie, mais elles sont sans doute bien plus risquées pour ceux qui s’y aventurent qu’elles ne le seraient chez nous. De plus, dans nos sociétés démocratiques, même en cas de mesures vraiment drastiques, les médias resteraient libres, et donc, la critique des mesures gouvernementales resterait possible, avec les corrections nécessaires de ces dernières au bout de quelque temps. Même si bien sûr, les autorités démocratiques peuvent aussi théoriquement décider de contrôler tous les médias, là encore comme en temps de guerre… On irait alors vers une situation pour le moins inédite. 

Enfin, il me semble qu’il existe une différence proprement technique : la Chine populaire se situe vraiment à l’avant-garde d’un néo-totalitarisme où les techniques les plus avancées (reconnaissance faciale par exemple) sont mises au service d’une visée de la part du Parti Communiste Chinois (PCC) d’un contrôle total des moindres faits et gestes de la population, et, derrière toutes ces techniques, il y a aussi une masse de personnel déployé pour mettre en œuvre le contrôle et la répression. Il faut ajouter à ce cauchemar, largement permis par les nouvelles technologies, les restes de l’ancienne période maoïste avec toute une série d’institutions plus artisanales de contrôle au jour le jour des personnes. Les quelques reportages disponibles sur la Chine par temps de coronavirus sont édifiants sur ce mélange d’hyper-modernité totalitaire et de vieux totalitarisme version maoïste. L’un des acquis de cette crise du coranavirus semble bien être d’ailleurs de rappeler à tout un chacun que la Chine communiste demeure une dictature parfaitement haïssable si l’on tient un tout petit peu aux droits de l’homme, à ces libertés fondamentales définies au XVIIIème siècle en Europe qui sont le sel de l’existence humaine. 

Fort heureusement, aucun pays occidental ne consacrait avant même la crise autant de ressources, techniques et humaines, au contrôle de sa population. De ce fait, pour des raisons techniques et de ressources humaines, les démocraties occidentales ne peuvent pas mettre en œuvre à court terme les mêmes méthodes que les autorités de la Chine populaire. Par contre, rien n’interdit malheureusement à nos dirigeants, d’importer, au nom de la santé publique menacée, les techniques de contrôle technologique testées en Chine populaire, et largement utilisées lors de cette crise du coranavirus. Il faut espérer que nos pays sauront préserver leurs libertés, mais cela dépend largement de nos capacités de résistance en tant que citoyens à des injonctions liberticides.

Comment les responsables politiques peuvent-ils, concrètement, palier à cette crise d'impuissance ?

Est-ce vraiment une crise d’impuissance, ou simplement un constat des limites de nos connaissances et des contraintes de notre organisation économique et sociale ? Ce ne sont pas les politiques qui vont découvrir dans la seconde un remède au coranavirus, ils ne peuvent que donner les moyens aux médecins et aux scientifiques de le trouver à terme. Ce ne sont pas les politiques qui vont inventer du jour au lendemain une société où aucun contact interpersonnel direct ne serait nécessaire pour qu’elle fonctionne, et où les divers lieux de la terre ne seraient pas interconnectés pour permettre à l’économie de fonctionner au jour le jour. Le commerce à longue distance et la circulation des épidémies dans l’humanité à la suite de ce commerce existent depuis des millénaires. Cela ne peut guère changer, sauf à revenir aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, et encore est-ce là une grossière simplification de ma part. Une société humaine vraiment isolée d’autres sociétés humaines adjacentes, c’est plus un mythe qu’une réalité historique.

On peut certes sur certains points remarquer un manque d’anticipation de la part des responsables politiques,  comme sur la disponibilité de masques pour les personnels de santé en France, mais, au-delà des problèmes d’intendance, d’organisation, de communication sur lequel peuvent intervenir les politiques, une épidémie reste un moment où les mécanismes naturels se rappellent à notre bon souvenir. Contrairement à ce que notre confort quotidien nous incite à croire, le monde n’est pas fait que de la seule volonté des humains.  Les hommes et femmes politiques ne peuvent pas faire beaucoup plus que la société qui les a portés à leur tête. 

Du coup, la grande erreur à ne pas commettre de la part des politiques serait de trop promettre, de prétendre par exemple qu’il n’y aura pas de victimes. C’est impossible qu’il n’y en ait pas, et la nature de ces victimes dépend largement de considérations qui dépassent nos possibilités humaines de contrôle et d’intervention. Ainsi, par chance, ce nouveau coronavirus semble épargner largement les enfants et les jeunes adultes. Cette particularité serait vraiment, si cela se confirmait, une excellente nouvelle, mais c’est là juste une réalité naturelle qui s’impose à nous. Les politiques doivent aussi apprendre à ne pas créer leur propre impuissance en faisant semblant de tout pouvoir maîtriser. 

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