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Accord talibans - Etats-Unis : 18 ans de guerre pour rien ?
©GIUSEPPE CACACE / AFP

Le début de la fin

Les Etats-Unis et les taliban ont annoncé ce samedi la signature d'un accord prévoyant le départ des troupes occidentales du pays.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Les États-Unis et les taliban ont signé, samedi 29 février à Doha, au Qatar, un accord historique qui doit permettre le retrait sous quatorze mois des troupes américaines d’Afghanistan après dix-huit ans de présence. Lors de la signature, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a demandé aux taliban de ne pas considérer cette signature comme "une victoire", car "la victoire pour les Afghans ne peut être atteinte que s'ils vivent dans la paix et la prospérité". Mais dans les faits, cet accord n'est-il pas une victoire pour les taliban, dans la mesure où il parait déséquilibré en leur faveur ?

Alain Rodier : Il est parfaitement exact que cet accord (qu'il ne faut surtout pas qualifier "de paix") est historique. Après 19 ans de guerre - pour être exact -, les Américains annoncent par là qu'ils vont progressivement se retirer - "si les taliban restent sages", c'est-à-dire s'ils ne permettent pas d'attaques contre les intérêts US depuis l'Afghanistan. C'est d'une certaine manière reconnaître implicitement (et il ne faut pas prendre les officiers de renseignements américains pour des ignares)  que les taliban seront un jour "aux affaires". Ce qu'ils ne veulent pas, c'est que le scénario du 11 septembre 2001 ne se reproduise : les terroristes - à l'époque dépendant d'al-Qaida - avaient lancé leurs actions contre les États-Unis depuis l'Afghanistan où Ben Laden était accueilli. Les taliban ont promis "qu'ils ne le referaient plus, craché, juré". Selon le vieux dicton populaire, "les promesses n'engagent que ceux qui les croient".

Cet accord (signé par l'ancien ambassadeur américain Zalmay Khalizad et le mollah Abdul Ghani Baradar) fait partie d’un processus beaucoup plus large qui est une "opportunité offerte" pour amener à la table des négociations les taliban, le pouvoir en place à Kaboul (le président Ashraf Ghani) et tous les responsables politiques (dont Abdullah Abddullah). De plus, le retrait US qui devrait durer 14 mois sera dans un premier temps partiel; 5.000 hommes en 135 jours. La cérémonie de Doha a été précédée d’une semaine de "réduction de violence" (et pas un cessez-le-feu), ce qui a été globalement respecté (19 membres des forces de sécurité et quatre civils tués, ce n’est pas grand-chose en Afghanistan où 50.000 membres des forces de l'ordre ont été tués depuis 2005).

 Cela dit, les Américains en ont assez de cette guerre - la plus longue de leur Histoire - et pour quels résultats ? La rébellion est toujours là et contrôle même presque la moitié du pays, la corruption est la règle pour les responsables politiques et militaires, le pouvoir se déchire entre Abdullah, héritier de l' "héroïque" commandant Massoud et les président Ghani. Le coût humain est important :3.500 membres de la coalition (40 pays dont la France ont participé à cette guerre) dont 2.000 boys US tués sans compter les estropiés qui sont venus grossir les centres de rééducation spécialisés. Selon l'ONU, de 32.000 à 60.000 civils auraient été tués durant ce conflit.

12.000 Américains sont encore présents en Afghanistan (à un moment, ils étaient 100.000).

Il faut reconnaître que si l'intervention de 2001 étaient justifiée puisque les taliban qui, pour mémoire, n'étaient pas directement liés aux attentats du 11 septembre, avaient refusé d'extrader Oussama Ben Laden vers les États-Unis, ce qu'ils auraient très bien pu faire - ce dernier n'étant pas de nationalité afghane. L'objectif de l'invasion avaient été changé. En plus de détruire Al-Qaida, il fallait "apporter la Démocratie" à ces "arriérés" d'Afghans. Or, les fiers Afghans avaient toujours refusé dans leur Histoire que quiconque - et surtout pas des étrangers - ne leur dicte des règles : les Britanniques, les Soviétiques et encore moins les Occidentaux des temps modernes !

La solution envisageable après avoir détruit l'infrastructure d'Al-Qaida (Ben Laden s'étant échappé vers le Pakistan et il était hors de question de le poursuivre là et encore moins d' "apporter la Démocratie" dans ce pays grand allié des Américains) était de se retirer et de laisser les Afghans poursuivre leurs luttes internes traditionnelles depuis des temps immémoriaux. D'ailleurs, même Mike Pompeo vient de le déclarer: "le futur de l'Afghanistan, c'est aux Afghans de le décider". Si seulement les responsables américains avaient pu raisonner comme cela depuis le début...    

Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a confirmé samedi, peu avant la signature de l’accord, un retrait graduel et immédiat des troupes américaines. Mais les États-Unis « n’hésiteront pas à annuler l’accord » si les talibans l’enfreignent, a affirmé à Doha Mark Esper, le secrétaire à la défense américain. Les négociations entre les talibans et le gouvernement de Kaboul doivent, elles, s’ouvrir le 10 mars, a précisé Mike Pompeo.

Les Etats-Unis estiment que les garanties antiterroristes fournies par les insurgés répondent à la raison première de l’intervention américaine, à savoir la lutte contre Al-Qaïda après les attentats du 11-Septembre. Que sait-on aujourd'hui des liens entre les taliban et les groupes terroristes ?

Ils sont évidents et connus de tous les analystes de la zone. Al-Qaida se fait discret de manière à ne pas indisposer son mentor taleb. Mais ses troupes sont toujours présentes à cheval sur la frontière pakistano-afghane car cette région est considérée comme son sanctuaire qui abrite en particulier la Choura, le "conseil", organisme présidé par le Docteur Ayman al-Zawahiri qui veille aux destinées du mouvement dont le but final reste le jihad mondial (et son rêve est toujours de s'en prendre aux États-Unis).

Par contre, les taliban luttent contre Daech car ce mouvement exige l' "allégeance" des autres musulmans. Il convient de bien voir la différence : les taliban sont les maîtres spirituels d'Al-Qaida et ne veulent pas reconnaître la suprématie de Daech.

Même le président Ghani n'est pas dupe et le Secrétaire à la Défense US Mark T. Esper était à ses côtés à Kaboul pour lui assurer que l'armée américaine continuerait à aider son homologue afghane et que si les taliban n'honoraient pas leur parole, "les États-Unis n'hésiteraient pas à annuler l'accord". Personne ne dit s'il a lui aussi cru à cette promesse ou s'il a commencé à préparer ses valises pour ne pas terminer comme le président Mohammad Najibullah Ahmadzai assassiné après avoir été torturé par les taliban lors de leur prise de Kaboul en 1996.

En 18 ans de présence, les États-Unis ne sont pas parvenus à développer des institutions démocratiques solides en Afghanistan. L'Etat est faible, l'armée manque de moyens et la corruption reste endémique. En quittant le pays, les Américains ne risquent-ils pas de laisser les clefs du pouvoir aux talibans ? 

Je suis un éternel pessimiste et espère me tromper, mais je surine depuis des années que lorsque le dernier soldat étranger aura quitté le sol afghan, les taliban prendront Kaboul. La seule question que je me pose est, en combien de semaines ou de mois? Mais c'est inéluctable parce qu'eux, ils ont l'"idéologie" islamique qui les porte et sont prêts à se sacrifier pour cette cause.

Comme je l'ai dit précédemment, avoir tenté d'importer la manière de penser et de vivre à l'occidentale dans ce pays était une erreur fondamentale qui peut s'apparenter à l'ancien colonialisme. A l'époque, nous avions "le sabre (la force) et le goupillon (l'idéologie)".

Aujourd'hui, l'idéologie "droit de l'hommisme" (que l'on qualifie aussi de "valeur universelle" le monde entier devant se plier à la manière de vivre en Occident) n'a pas remplacé "le goupillon" et le sabre s'est réduit à une dague...

Ce qui se passe en Afghanistan laisse augurer de ce qui se déroulera au Proche-Orient dans les années à venir. Nous voilà prévenus.

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