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Les start-ups : le nouvel opium du CAC 40
©ERIC PIERMONT / AFP

Bonnes feuilles

Michel Turin publie "Start-up mania" chez Calmann-Lévy. En France, les start-up sont devenues l’objet d’un véritable culte. Elles font rêver les jeunes diplômés comme les investisseurs en tous genres… et les hommes politiques. Vous avez aimé l’éclatement de la bulle de l’internet en 2000 ? Vous allez adorer celle des start-ups ! Extrait 2/2.

Michel Turin

Michel Turin

Michel Turin a été dix ans journaliste aux Échos, et chroniqueur économique à Radio Classique. Il est l’auteur de La Planète Bourse (« Découvertes Gallimard », 1993), Le Grand Divorce – Pourquoi les Français haïssent leur économie (Calmann- Lévy, 2006), Prix de l’Excellence Économique, et Profession Escroc (François Bourin Éditeur, 2010).

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Les extrêmes se rejoignent, dans la vie des affaires comme ailleurs. Il n’y a pas à première vue deux univers entrepreneuriaux plus diamétralement éloignés l’un de l’autre que celui des grands groupes et celui des start-up. Et pourtant… Les start-up sont devenues l’opium du CAC 40. Les grands groupes n’arrêtent pas de jeter des passerelles entre les deux mondes. La passion dont ils font preuve à l’égard des start-up est relativement récente. Jusqu’au début des années 2000, ils s’en souciaient comme d’une guigne. Mais ils ont depuis rattrapé le temps perdu. Si les grandes entreprises sont obsédées par les start-up, c’est qu’elles ont une peur bleue d’être « ubérisées ». Les grands groupes surveillent leur environnement pour ne pas être chahutés par l’arrivée de concurrents qui les délogeraient des marchés sur lesquels ils sont confortablement installés. Ils craignent d’être dépassés par les produits ou les services sortis des technologies les plus récentes. 

Pour se mettre à l’abri d’une mauvaise surprise, les grandes entreprises traditionnelles soit nouent des partenariats avec des plateformes numériques, soit les achètent assez tôt pour qu’elles n’aient pas le temps de venir les bousculer. Certains grands groupes sont allés jusqu’à créer des structures spéciales pour accueillir de jeunes entreprises innovantes ayant une approche originale. Ainsi, ils sont assurés de pouvoir procéder à bon compte à une veille technologique sur leurs métiers, ils siphonnent l’innovation dans ces petites structures pour piloter leur propre transformation. Les grands groupes se comportent comme le faisaient les entreprises japonaises après la Seconde Guerre mondiale ou les entreprises chinoises dans la deuxième moitié du XXe siècle vis-à-vis des entreprises occidentales, dont les unes et les autres ont pillé les technologies. Les start-up en mal de sponsors leur apportent des informations précieuses sur l’état de leurs marchés respectifs. Les grands groupes de l’indice CAC 40, les 40 plus grandes capitalisations cotées à la Bourse de Paris, contribuent ainsi à l’élévation du taux de mortalité des start-up. Celles qu’ils achètent ne grandiront jamais, puisqu’elles auront été fondues dans des périmètres existants. 

Les grands groupes ne sont pas à court d’arguments tendancieux pour justifier l’intérêt, parfois mortifère, qu’ils portent aux start-up. Chargé d’écumer l’écosystème dans le secteur d’activité du groupe Danone, c’est-à-dire l’industrie agroalimentaire, Danone Manifesto Ventures a fait main basse sur 95 % du capital de Michel et Augustin au mois d’avril 2019. Le fonds d’investissement du géant mondial des produits laitiers avait déjà croqué trois ans plus tôt les parts, détenues à hauteur de 40 % par Artémis, le holding de la famille Pinault, dans la start-up à succès. Montée en 2004 par deux amis d’enfance passés par l’ESCP, la grande école de commerce, elle s’était vite rendue célèbre pour ses biscuits et yaourts bobos et rigolos, ses mousses au chocolat et ses cookies. Dans le quotidien Les Échos daté du 16 juillet 2018, le directeur général de Danone Manifesto Ventures, Laurent Marcel, établissait ainsi la feuille de route « officielle » de la structure ouverte à l’été 2016 : « Nous avons une approche différente des acquisitions classiques. Notre rôle est d’investir tôt dans le capital de jeunes entreprises qui réalisent quelques millions d’euros de chiffre d’affaires. Notre objectif n’est pas de les intégrer rapidement, mais plutôt d’entrer dans leur capital, d’accompagner leur croissance en mobilisant les ressources de Danone, puis d’apprendre ensemble à travailler sur un certain nombre de projets. » L’acquisition de Michel et Augustin paraît empreinte d’un drôle de classicisme. « On reste indépendant quant à la façon de vivre notre aventure », devait alors déclarer, visiblement satisfait, Augustin Paluel-Marmont, cofondateur avec Michel de Rovira – des « trublions du goût », comme ils se qualifient eux-mêmes –, au micro de BFM Business après l’annonce. Vive l’indépendance ! Le montant de l’opération n’a pas été divulgué à l’époque, mais Michel et Augustin avait réalisé un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros en 2018, ce qui laisse à penser que l’indépendance financière des deux cofondateurs est tout aussi assurée que celle de leur « façon de vivre ». 

Il n’y a en réalité pas un seul secteur d’activité où les grands groupes n’ont pas essayé de prendre des gages sur l’avenir et n’ont pas mis un ou plusieurs doigts dans l’engrenage des start-up. Le bricolage et la décoration ? L’enseigne de grande distribution spécialisée Leroy-Merlin est entrée en 2015 dans le capital de Frizbiz, une plateforme de bricoleurs à domicile, et recommande ses services à ses clients. La grande distribution ? Monoprix a pris en décembre  2017 une participation dans le capital de la start-up Epicery qui a développé une application pour se faire livrer dans l’heure les produits des commerçants de son quartier. Les études d’opinion ? L’institut de sondage Ipsos a repris en octobre 2018 la totalité du capital de Synthesio, une start-up de 130 salariés, très présente à l’étranger, spécialisée dans la veille sur les réseaux sociaux et l’e-réputation. Basé depuis six ans à New York où il réalisait la moitié de son chiffre d’affaires aux États-Unis, Loïc Moisand, cofondateur de Synthesio, est rentré en France après l’opération qu’il commentait dans les termes suivants : « Nos offres se complètent, la société va continuer à exister de manière autonome, la marque demeure, tout comme les équipes de direction. Il y a eu beaucoup de consolidation récemment et il devient de plus en plus difficile de rester indépendant sur ce marché. S’adosser à un grand groupe était la meilleure option. » Ainsi meurent les start-up… 

Le secteur de l’automobile est un de ceux dans lesquels les nouveaux entrants de l’ère numérique, à commencer par le plus célèbre d’entre eux, Uber, ont donné les plus gros coups de pied dans la fourmilière, en France comme ailleurs. Les fourmis les plus vaillantes ne se sont pas laissé piétiner sans résister. Le constructeur automobile PSA a racheté, au début de 2019, la start-up TravelCar. Elle avait plutôt bien réussi sur le marché intelligent que son fondateur, Ahmed Mhiri, avait inventé en 2012 : la location des voitures stationnées près des aéroports ou des gares quand leurs propriétaires sont partis en voyage. TravelCar revendiquait alors 1 million d’utilisateurs dans plus de 60 pays. Quelques semaines plus tôt, Carlos Tavares, président du directoire de Groupe PSA, détaillait le type de relations qu’il avait l’intention d’entretenir avec les start-up dans le numéro de l’hebdomadaire Investir – Le Journal des finances daté du 6 octobre 2018, presque entièrement consacré aux millennials : « Nous avons mis en place des partenariats avec des start-up qui sont le miroir de la génération des millennials et un accélérateur de changement pour notre entreprise. À l’exemple de la start-up de location entre particuliers TravelCar, ou encore une entrée au capital de Communauto, le pionnier de l’autopartage en Amérique du Nord. Avec eux, nous apprenons beaucoup et ils apprennent également. Nous avançons ensemble et l’opposition que certains mettent en avant entre l’ancienne et la nouvelle économie n’a pas cours dans notre groupe. » Le rachat d’une start-up par un grand groupe doit être la forme ultime du… partenariat. 

Les constructeurs automobiles enchaînent, les uns après les autres, les opérations de rachat dans le secteur des VTC (les « véhicules de tourisme avec chauffeur »). Renault a repris discrètement, par l’intermédiaire d’une filiale spécialisée, RCI Bank and Services, 100 % du capital de Marcel en août 2017. Marcel avait utilisé deux leviers pour se distinguer sur son marché : la plateforme prélevait la commission la moins élevée, et plus la réservation avait été faite à l’avance, plus le prix de la course baissait. La start-up avait été lancée par Bertrand Altmayer et Benoît Richard en 2012, au moment où Uber s’apprêtait à débarquer sur le marché français. Renault a racheté Marcel pour améliorer la visibilité de ses nouveaux modèles : la start-up propose de rouler en Zoé, la petite citadine 100 % électrique du constructeur. Mais ce n’est pas le seul but stratégique poursuivi par le constructeur automobile. Pour Bertrand Altmayer, « Renault a compris que la mobilité sera servicielle et qu’un constructeur automobile doit pouvoir proposer un moyen de transport qui corresponde à n’importe quelle demande – qu’il s’agisse d’une trottinette ou d’une location ». 

Le constructeur automobile allemand Daimler a adopté une stratégie identique à celle de Renault. Le propriétaire de Mercedes a pris, fin 2017, le contrôle de Chauffeur-Privé, une autre start-up française de VTC montée en 2012 par Yan Hascoet, ingénieur et ancien banquier, Othmane Bouhlal et Omar Benmoussa, et renommée Kapten au début de 2019. Les trois cofondateurs ont rendu leur tablier à l’été 2019 pour « saisir d’autres opportunités », comme le précisait un communiqué publié par la société de VTC à l’occasion de l’annonce. C’est un ancien d’Amazon, Sébastien Oebel, qui a saisi… l’opportunité de leur succéder au volant de Kapten. Les fondateurs des start-up ne survivent pas toujours aux opérations de rachat par des grands groupes.

Extrait du livre de Michel Turin, "Start-up mania, la french tech à l'épreuve des faits", publié chez Calmann-Lévy

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