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Après la crise de la quarantaine de leurs aînés, les millennials inaugurent la crise existentielle de la trentaine
©Reuters

Nouveau monde

Alors que les crises de la quarantaine et de la cinquantaine sont souvent évoquées et connues, les millennials seraient confrontés à la crise de la trentaine.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Jusqu'alors on connaissait la crise la quarantaine ou encore celle de la cinquantaine mais on observe, chez les millennials, une nouvelle tendance : la crise de la trentaine. Vraie crise existentielle ou déprime passagère ?

Les millenials vivraient mal le passage à la trentaine. Pourquoi cet accès d'anxiété ? Est-ce dû à la pression sociale qui voudrait qu'on ait déjà accompli -job, enfant, mariage- bien des choses à trente ans ?

Pascal Neveu : Nous vivons dans un monde qui ne cesse d’annoncer la fin du monde, qui cède à un catastrophisme planétaire et à la mort de notre civilisation humaine.

Ainsi la NASA a elle-même prévue la mort de l’humanité pour 2050.

Aussi, comment ne pas être angoissé suite à de telles alertes, même si restent réelles les guerres dans le monde, ainsi qu’un environnement et un climat perturbés…

Les 30 glorieuses en France sont passées et le monde a changé : chômage, précarité de l’emploi, incivilités, divorces…

Cela veut-il pour autant dire que nous devons nous résigner à une sorte de fatalité anxiogène, plutôt que nous adapter à un monde qui a changé et donc en quelque sorte  nous réveiller ?

En effet, nous berçons toutes et tous dans une sorte d’idéal, un fantasme de la vie dès l’enfance, non seulement à travers les contes de fées (qui ont leur utilité pour le développement  intellectuel, psychique et moral de l’enfant), mais également dans de jeunes années où nous sommes épargnés et « sécurisés » face à certaines réalités auxquelles sont confrontés nos parents, et dans un contexte qui s’est transformé 25-30 ans plus tard.

Or la vie n’est que changement.

Tout dépend comment nous avons été « préparés » au futur, comment nous nous y sommes projetés, certes avec cette forme d’innocence qui fera que pour certains le monde réel sera plus compliqué à appréhender et donc plus sujet à certaines angoisses et la crainte d’échecs.

Certains trentenaires en pleine crise existentielle la justifie par l'actuelle dictature du bonheur. L'optimisme inconscient de la vingtaine entre-t-il en conflit avec le réalisme de la trentaine ?

Je pense qu’il faut déjà partir d’une évidence : le bonheur n’existe pas ! Il n’est qu’illusion et immaturité.

Mais il existe beaucoup de moments de plaisirs à cultiver et vers lesquels il faut tendre via des rencontres, des réalisations, des réussites, sans se focaliser sur des échecs.

A 20 ans nous sommes certainement amplis d’optimisme, d’utopie, de rêves… et tant mieux… car cela donne une force de créativité énorme et peut procurer une capacité de résilience importante face aux épreuves de la vie.

Il ne faut pas oublier que la frustration fait partie de la vie. Et sans doute les trentenaires actuels n’ont-ils pas suffisamment appris qu’il pouvait y avoir un décalage ou un non possible entre désir et réalité.

Il ne faut pourtant pas prendre les jeunes de 20 ans comme des individus stupides ou moins matures que nos générations.


Ce que nous observons est qu’ils évoluent comme chaque nouvelle génération et qu’il est du devoir des plus anciens (parents, oncles, grands-parents, enseignants…) de leur transmettre les meilleurs outils possibles afin de s’adapter.

Il est quelques chiffres intéressants à analyser.

Par exemple, nous observons en France une baisse de la natalité (1,8 enfants par femme ; avec un âge moyen de 32 ans). Lorsque nous interrogeons ces jeunes couples (âge moyen de mariage : 38 ans pour les hommes, 34 ans pour les femmes) ils nous précisent vouloir profiter de la vie, ne pas transmettre un monde effrayant à un enfant, sans compter les craintes financières (surface de l’habitat, surtout chez les parisiens, crainte du chômage) et possibilité d’une séparation (50% des couples se séparent au bout de 5 ans de relation).

Autre donnée intéressante. Environ 1/3 des jeunes diplômes de grandes écoles de commerces, ingénierie se réorientent vers une autre voie professionnelle après obtention de leur diplôme. Tout comme 20% des étudiants en médecine arrêtent leur cursus avant la fin de leurs études.

Que pouvons-nous en déduire ?

De manière positive : nos jeunes continuent à rêver, laissent vivre leurs envies, cultivent leurs idéaux, s’engagent dans des voies de réalisation (peut-être pour certains poussés par leurs parents)

De manière négative : un questionnement identitaire se ferait plus tôt que la fameuse crise de mi-vie, la fameuse crise de la quarantaine, avec sans doute plus d’angoisses que leurs parents au même âge.

Les réseaux sociaux et leur idéal du bonheur  -argent, beauté, réussite sociale- ne sont-ils pas des facteurs aggravants et explicatifs de cette crise ? 

On sait que les réseaux sociaux, et tout monde virtuel joue sur le développement de la conscience à la réalité.

On le voit particulièrement à travers Facebook où l’on peut totalement s’inventer une vie, être en contact avec des amis virtuels, et s’enfermer dans de fausses identités.

Snapshat n’a pas son reste avec une sorte de nécessité à montrer à autrui (entourage, inconnus…) que nous sommes présents à tel endroit incontournable (lieu, événement…). Je me rappelle d’une touriste visitant un lieu historique mondialement connu se filmant en déambulant sans rien regarder du lieu.

Certaines études ont bien démontré le lien avec la nécessité d’exhiber une forme de réussite, de réaliser un selfie avec la star incontournable du moment.

De nouveau, ces comportements sont une manifestation d’une crise identitaire et narcissique.

Or toute faille narcissique et identitaire est susceptible de provoquer au minimum un état dépressif profond.

Les objectifs que la société impose, que l’entreprise mesure sont de plus en plus importants et imposent une nouvelle « philosophie » de la vie… sans la sagesse que l’on acquiert avec les années et qui nous permettent de vivre plus heureux et de nous détacher du superficiel.

Car la société devient, pour de multiples raisons, de plus en plus autocentrée sur elle, égoïste, en quelque sorte auto-érotique et de moins en moins humaniste.

Et une spirale infernale se crée engendrant une société et une jeune plus vulnérable à des questionnements existentiels face auxquels ils n’ont pas de réponses ni de solutions.

Ces questions sont nouvelles et n'existaient pas ou pas autant chez les générations antérieures, quels outils leur manquent-t-ils pour passer le cap de la trentaine avec allégresse ? 

On s’intéresse à ces questions depuis plusieurs années.

A chaque fois on les relie à la crise d’adolescence non achevée.

Que vit un adolescent ? Un besoin de s’émanciper de la structure familiale et de la pensée parentale afin de vivre et exprimer sa propre identité.

Il est déchiré entre le besoin de quitter le foyer, de tout remettre en cause, mais aussi la nécessité de rester confortablement à la maison.

C’est donc une grosse période de conflit psychique intérieur (un état dépressif léger) et extérieur dans les relations avec les parents, sans compter les transformations du corps.

Or, certaines études font ressortir que d’une part la crise d’adolescence dure plus longtemps, soit elle a lieu plus tardivement… en tout cas s’organise différemment.

Le problème n’est pas la trentaine qui n’est pas l’âge le plus terrible, même s’il faut être le meilleur afin de se réaliser affectivement et professionnellement, car il ne faut pas décevoir ses parents, parce que tous les yeux sont rivés sur nous, car c’est un pallier de réalisation, voire de réussites pour certains.

Or, je pense qu’il faut apprendre à nos jeunes que c’est à partir de 40 ans que nous nous réalisons au mieux.

C’est la grosse période de changement : divorces, réorientation professionnelle, reconnaissances.

Rien n’est figé durant toute notre vie, et encore moins à 30 ans.

D’où ce besoin des ainés de transmettre leurs expériences… et de valoriser les échecs qui ne sont pas une fin en soi.

A 30 ans, nous faisons nos classes, nous nous essayons à la vie… même s’il faut penser ses actes afin de ne pas en payer lourdement les conséquences.

Mais qui ne tente rien, se replie sur soi, va se ternir, va faner ses ambitions et ses rêves et sombrer dans une angoisse mortifère.

Pensons à cette anecdote : Picasso, à qui une personne faisait remarquer, lors d’une exposition à la fin de sa vie, qu’il était capable de faire pareil en quelques minutes à peine, répondit : « Moi, monsieur, il m’a fallu 30 ans… Le temps. »

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