Après la baisse record du taux de mortalité par cancer aux Etats-Unis, peut-on l’espérer en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Après la baisse record du taux de mortalité par cancer aux Etats-Unis, peut-on l’espérer en France ?
©Reuters

Baisse record

A l'occasion de la journée mondiale contre le cancer, le docteur Guy-André Pelouze sur cette maladie qui demeure la première cause de mortalité en France. Mais comme il nous l'expliquera dans une série de deux articles, les chiffres peuvent être trompeurs (1/2)

Frédéric Pelouze et Nicolas Deffains

Frédéric Pelouze et Nicolas Deffains

Frédéric Pelouze est avocat et président-fondateur d’Openconso

Nicolas Deffains est économiste, professeur à l'Université Panthéon-Assas et directeur du laboratoire d'économie du Droit. 

Voir la bio »

Dans The Lancet G. Dagenais et coll abordent la question de la transition épidémiologique. Que se passe-t-il sur le plan épidémiologique à l’échelle de la planète?

Parmi les adultes âgés de 35 à 70 ans, les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de mortalité dans le monde. Cependant, dans certains pays à revenu élevé et dans certains pays à revenu intermédiaire, les décès par cancer sont maintenant plus fréquents que ceux dus à une maladie cardiovasculaire, ce qui indique une nouvelle transition des principales causes de décès chez les personnes d'âge moyen. Alors que les maladies cardiovasculaires (MCV) diminuent dans de nombreux pays, la mortalité par cancer deviendra probablement la principale cause de décès. Le taux de mortalité cardiovasculaire élevé dans les pays les plus pauvres n’est pas tant lié à des facteurs de risque plus importants, mais plutôt à un accès plus difficile aux soins spécifiques. De quelles transitions parlons nous?

La première transition: des maladies transmissibles principalement infectieuses vers les maladies non contagieuses et essentiellement chroniques 

À mesure que le PIB/habitant augmente la qualité de l’eau potable s’améliore, l’apport calorique augmente et les soins les plus modernes deviennent accessibles.  Conséquemment la charge de morbidité d'une population tend à subir une transition épidémiologique: les populations présentent moins de maladies principalement transmissibles et plus de maladies à développement principalement non transmissible. C’est l’éradication des grandes épidémies mais aussi d’infections moins épidémiques mais mortelles comme les pneumonies ou bien les infections intestinales. Les moyens médicaux efficaces sont les vaccins et les antibiotiques de même que l'environnement hospitalier pour les soins aigus des patients critiques. 

La deuxième transition: la mortalité par cancer dépasse celle en régression des MCV dans les pays où ces dernières sont prises en charge efficacement.

Ensuite des changements dans le mode de vie, dans l'alimentation et l'environnement parmi lesquels le plus important est l’urbanisation vont allonger l’espérance de vie et en même temps provoquer l’augmentation des maladies non transmissibles, MCV, cancers, maladies auto-immunes et neurodégénératives.  Ces maladies non transmissibles ne recèlent pas le même potentiel de guérison ou de stabilisation par la médecine. La poursuite de la croissance du PIB/habitant permet de solutionner en premier les maladies stabilisables ou curables. Le traitement médicamenteux et interventionnel des MCV fait régresser la mortalité des accidents cardiovasculaires majeurs (infarctus myocardiques et cérébraux principalement) dans les pays à revenu par habitant élevé car il existe des moyens puissants de traiter ces patients. Il n’est pas établi qu’il s’agisse d’une diminution de l’incidence de ces MCV car l’épidémie de diabésité en cours conduit inévitablement à une augmentation de ces mêmes maladies. En revanche dans ces mêmes pays à revenu par habitant élevé l’allongement de l’espérance de vie et la stagnation des traitements contre le cancer augmente proportionnellement la mortalité qui en dépend. C’est pourquoi l’évolution récente des traitements des MCV modifient la répartition des maladies non transmissibles. Sur un plan prospectif, identifier et quantifier ces évolutions de la morbidité est crucial pour optimiser l'allocation des ressources et afin que l'utilisation des soins spécifiques soient adaptée aux changements démographiques aux niveaux local et mondial. Tout en gardant à l’esprit que sans croissance économique les soins spécifiques, médicaments, soins de haute technicité sont difficiles à financer et la découverte de nouveaux traitements entravée.

Finalement la leçon à retenir c’est que le PIB/habitant est le facteur majeur à l’origine des “transitions épidémiologiques” et de l’augmentation de la longévité (Figure N°1). Les orientations de décroissance planifiées ou même de croissance nulle comme ce qui est en train de se passer en Europe depuis la crise de 2007 sont contre-productives en terme de solutions au défi des maladies. J’encourage chacun d’entre nous à prendre quelques secondes pour visualiser la relation entre PIB/habitant et espérance de vie depuis 1800, un travail monumental de Hans Rosling.

Figure N°1: Ce graphique montre la relation entre le PIB/habitant et l'espérance de vie en 2018.

Quelle est le but de l’étude PURE (Prospective Urban and Rural Epidemiology)? 

L’étude PURE est une étude observationnelle à l’échelle planétaire

Dans PURE, les chercheurs ont dénombré les décès et les facteurs de risque chez plus de 150 000 participants âgés de 35 à 70 ans inscrits entre 2005 et 2016, suivis pendant une période médiane de 9,5 ans. Environ 11% de la cohorte provenait des quatre pays à revenu élevé, environ 66% de 12 pays à revenu intermédiaire et 23% de cinq pays à faible revenu. Les décès sont survenus dans 7% de la cohorte et les taux de mortalité globaux sont les plus bas dans les pays les plus riches, soit 3,4 décès pour 1 000 années-personnes, contre 6,9 ​​et 13,3 pour 1 000 dans les pays à revenu moyen et faible, respectivement.

L’épidémiologie mondiale peut elle aider à sauver des vies?

Dans un éditorial d’accompagnement de l’article de G.Dagenais et coll, J. Kocarnik fait cette recommandation: “Les succès futurs dans la lutte équitable contre le cancer nécessitent que les dirigeants aux niveaux local et mondial reconnaissent, agissent et restent vigilants face à ces tendances”. C’est intéressant mais est ce probable? Pour le savoir il faut se pencher sur les causes de mortalité par cancer. La première cause est l’absence de traitements suffisamment efficaces pour les cancers les plus agressifs. En effet les infections par exemple ont attendu la large utilisation des antibiotiques pour régresser. Il est assez clair que la découverte de médicaments très efficaces contre le cancer dépend surtout de la recherche et de son financement. Le rôle de l’épidémiologie est modeste car sur le plan de la prévention nous connaissons les causes majeures c’est à dire le tabagisme, le vieillissement et l’obésité. En réalité il n’y a pas de “lutte contre le cancer” mais plutôt une course dans les découvertes. Accélérer cette course est beaucoup plus efficace que de décréter une guerre contre le cancer comme le fit Nixon en 1971 avec le risque d’échec d’un objectif fixé arbitrairement. L’accélération de la recherche est en cours sur le plan quantitatif puisqu’il n’y a jamais eu dans l’histoire de l’humanité autant de cerveaux humains dévolus à cette tâche. Mais s’agissant de cellules de l’individu c’est beaucoup plus difficile à cibler que des micro-organismes. Au total l’épidémiologie mondiale est utile mais ne permet pas d’envisager d’accélérer cette course. Enfin il est souhaitable que chaque pays prenne à bras le corps la question du big data des données de santé publique afin que ces statistiques soient plus précises et actualisées en continu. Cela ne concerne pas uniquement les pays ayant un PIB/habitant bas mais aussi les autres.

Comment expliquer ces résultats? Quelles sont les conseils pour la France et les pays où la prévalence des MCV est faible?

Les maladies cardiovasculaires restent la principale cause de mortalité sur l’ensemble de la planète mais ces moyennes sont trompeuses tant les écarts sont grands entre les allèles génétiques qui y prédisposent, les différentes éco-niches et les stades de développement économiques. En réalité les MCV ne représentent que 23% des décès dans les pays à revenu par habitant élevé, comparé à 41% et 43% dans les pays à revenu par habitant  moyen et faible, respectivement. Le cancer, quant à lui, est responsable de 55% des décès dans les pays à haut revenu par habitant, contre 30% et 15% dans les pays à revenu par habitant moyen et faible. Pour l'instant ces conclusions s'appliquent spécifiquement aux pays à revenu élevé ayant participé à l'étude - le Canada, la Suède, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Parmi ceux-ci, le ratio de maladies cardiovasculaires sur les décès par cancer était de 0,40. En outre, quatre autres pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure - l'Argentine, le Chili, la Pologne et la Turquie - avaient également des ratios similaires. Ceci est très important. En effet aucun de ces pays n’a une prévalence faible des MCV comme le Japon, les pays du sud de l’Europe dont la France ou la Suisse par exemple. Il s’agit là d’une limitation majeure de cet article. Les pays à haut revenu par habitant et à faible prévalence des MCV présentent des situations bien différentes. Comme le démontre la Figure N°2 cette transition s’est déjà produite en France depuis au moins les années 2000 chez les hommes alors que les cancers ont toujours été plus prévalents et plus mortels que les MCV chez les femmes françaises. Ces données prises en compte les données de PURE apparaissent comme un non évènement pour les pays à faible prévalence de MCV et singulièrement la France. 

Pour les autres pays l’explication est plus difficile à baser sur des preuves. Il reste que compte tenu de la prévalence croissante de la diabésité ce ne sont pas des mesures de prévention primaire qui expliquent cette baisse de la mortalité des MCV. C’est donc leur traitement qui est une véritable “success story” depuis 50 ans comme l’a souligné Salim Yusuf  un des initiateurs de PURE. Médicaments de plus en plus efficaces, devices de moins en moins invasifs et procédures qui sauvent la vie de moins en moins périlleuses, voilà les causes profondes de cette chute de la mortalité cardiovasculaire dans les pays à prévalence élevée de MCV. Cela a un coût mais grâce à la diffusion globale des solutions médicales dans l’économie de marché ce coût est tendanciellement en baisse. Il suffit d’observer les prix de marché des statines, des anti-agrégants, des stents coronaires et des interventions de pontage aorto-coronarien ou de désobstruction carotidienne.

En France les orientations de la santé publique (et non les dépenses du système de soins) doivent tenir compte de ces données et tout faire pour informer et diminuer l’exposition des français et singulièrement des hommes (Figure N°2) aux principaux facteurs de risque que sont non pas les pesticides ou les perturbateurs endocriniens mais le tabac, l’alcool et l’obésité. Chez les urbains la pollution particulaire est aussi sur la sellette même si il faut affiner les données et en particulier retenir que souvent la pollution à l’intérieur des appartements, des maisons et des lieux de travail est plus importante qu’à l’extérieur.

Conclusion

Les pays où la prévalence des MCV est basse dont la France ont depuis au moins les années 2000 une mortalité par cancer plus élevée que celle des MCV. Les informations publiées sont souvent imprécises à ce sujet. L’étude PURE concerne des pays où la prévalence des MCV est beaucoup plus élevée. C’est pourquoi en matière de choix de santé publique en France deux directions persistent et doivent être considérablement amplifiées: d’une part l’implication de la société civile (école, apprentissage, université, entreprise, établissements de soins) dans l’information sur le tabac, l’alcool et l’obésité facteurs principaux des causes évitables de cancer et d’autre part une dynamique de recherche-développement dans les médicaments biologiques contre le cancer (immunothérapie, thérapie génique, traitements métaboliques ciblés).

Figure N°2 Taux normalisés selon l'âge des cancers et des MCV (population mondiale) sur la période 1970-2012 pour les hommes (carrés) et les femmes (cercles) de l'Union européenne à tous les âges (pleins) et entre 35 et 64 ans (vides) et les modèles de points de jonction calculés (ligne pointillée).

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !